Les maladies cardiovasculaires représentent la cause principale de mortalité chez les patients atteints d'insuffisance rénale chronique et la prévalence de l'hyperlipémie est plus élevée chez ces patients par rapport à celle de la population générale. Le profil lipidique et la sévérité de la dyslipidémie varient en fonction de l'étiologie et de la sévérité de l'insuffisance rénale ainsi que du type de traitement d'épuration. L'élévation du cholestérol total et du LDL-cholestérol est plus marquée chez les patients souffrant d'un syndrome néphrotique, d'une insuffisance rénale chronique, en dialyse péritonéale et chez les transplantés rénaux. L'hypertriglycéridémie est présente chez moins de 50% de ces patients toutes catégories confondues. Ces patients doivent être considérés comme étant à haut risque pour une maladie cardiovasculaire et bénéficier d'un traitement conformément aux directives du groupe Lipides et Athérosclérose de la Société suisse de cardiologie 1999. Une diète est généralement insuffisante pour corriger le profil lipidique et un traitement hypolipémiant est indispensable.
Les maladies cardiovasculaires représentent la cause principale de mortalité chez les patients atteints d'une insuffisance rénale. Ces patients cumulent les facteurs de risque. Mis à part son rôle dans l'athérosclérose, l'hyperlipémie pourrait contribuer à la progression de la néphropathie.1-4La prévalence de l'hyperlipémie chez ces patients est plus élevée que celle observée dans la population générale. Nous étudierons successivement ses mécanismes et son approche thérapeutique dans trois situations néphrologiques caractéristiques : syndrome néphrotique, insuffisance rénale chronique et transplantation rénale.
Les mécanismes par lesquels l'hyperlipémie accélère la progression de l'atteinte rénale demeurent largement inconnus. Chez l'animal, elle augmente la pression intraglomérulaire,2 active la prolifération mésangiale et favorise la production de la fibronectine1,5,6 et les inhibiteurs de la HMG Co-A réductase inhibent la prolifération mésangiale.7 Chez l'homme, l'expression des récepteurs du LDL au niveau des cellules épithéliales et mésangiales ainsi que les dépôts lipidiques dans les aires mésangiales sont augmentés en cas de glomérulopathie.8 Dans l'étude prospective de Samuelsson9 sur un collectif de 73 patients en IRC modérée, le cholestérol total, le LDL-cholestérol et l'apo B corrélaient avec la progression de l'insuffisance rénale, et le déclin de la fonction rénale chez les patients atteints de glomérulonéphrite, corrélait également avec les taux de triglycérides et du HDL-cholestérol.9,10 Des résultats similaires ont été également rapportés chez des patients atteints d'une néphropathie diabétique.11Il n'y a pas jusqu'à présent d'étude interventionnelle contrôlée de large échelle appréciant le bénéfice d'un traitement hypolipémiant sur la progression de l'insuffisance rénale.
Une hyperlipémie est constatée chez des patients avec une protéinurie supérieure à 3 g/24 h. Elle se caractérise par une hypercholestérolémie dépassant 10,3 mmol/ dans 25% des cas12 associée à une hypertriglycéridémie, et une élévation de la Lp(a).12-15 Alors que les taux de HDL-cholestérol sont habituellement dans les limites de la norme ou abaissés, la fraction HDL2 est considérablement abaissée. L'augmentation de la concentration plasmatique de la protéine de transfert du cholestérol favorise le transfert d'esters de cholestérol du HDL2 cardioprotecteur vers le VLDL-cholestérol. Les concentrations plasmatiques des apolipoprotéines reflètent les altérations du profil. Les taux d'apo B, C-II et E, associées aux VLDL et aux LDL, sont élevés tandis que ceux de l'apo A-I and A-II, associées aux HDL, se situent dans les normes.16
L'hypercholestérolémie est favorisée, tout au moins en partie, par la baisse de la pression oncotique plasmatique. Sa sévérité dépend de l'importance de la protéinurie et elle est inversement proportionnelle à l'hypoalbuminémie.17-19 La guérison du syndrome néphrotique, à elle seule, peut suffire à corriger l'hyperlipémie.17 Une augmentation de la synthèse hépatique des lipoprotéines contenant l'apo B a été initialement incriminée dans l'élévation des taux plasmatiques de cholestérol.15,18 In vitro, une baisse de la pression oncotique stimule la transcription du gène hépatique de l'apolipoprotéine B et l'élévation de la pression oncotique par la perfusion d'albumine ou de dextran l'inhibe.19 Des évidences récentes attribuent plutôt un rôle prépondérant de la diminution du catabolisme des LDL dans l'augmentation des taux de l'apolipoprotéine B.20,21 Une perturbation du métabolisme des triglycérides, par un mécanisme encore non éclairci, contribue à l'hypertriglycéridémie retrouvée chez un nombre de patients atteints de syndrome néphrotique. La conversion des VLDL en IDL puis en LDL est ralentie et une diminution de la clairance des LDL et des IDL par les récepteurs du LDL est également rapportée.21,22
Les patients atteints d'un syndrome néphrotique ont un risque plus important de développer une maladie cardiovasculaire et ceci en particulier chez les individus qui cumulent les autres facteurs de risque.12,13 Peu d'études épidémiologiques contrôlées ont examiné la relation entre l'hyperlipémie et les maladies cardiovasculaires dans le cadre du syndrome néphrotique. Il n'y a également aucune étude interventionnelle analysant l'efficacité d'un traitement hypolipémiant sur la mortalité cardiovasculaire chez ces patients. Ordonez,23en excluant le diabète, a comparé la prévalence de la maladie coronarienne chez 142 patients atteints d'un syndrome néphrotique à celle d'un groupe contrôle comparable pour l'âge, le sexe. Le risque relatif, ajusté pour l'hypertension et le tabagisme, était de 2,8 et le risque relatif pour un infarctus du myocarde était de 5,5.
I Rémission du syndrome néphrotique : est certainement le traitement le plus efficace pour corriger l'hyperlipémie.
I Limiter la protéinurie : si l'effet d'une diète hypoprotéinée sur l'évolution de l'hyperlipémie chez les patients souffrant d'un syndrome néphrotique n'est pas encore vérifié, les IEC, en réduisant la protéinurie, permettent de diminuer de 10-20% les taux des LDL-cholestérol et de la Lp(a).24 Des résultats similaires ont été rapportés avec l'administration de Losartan®, un antagoniste du récepteur à l'angiotensine II.25
I Diète pauvre en graisse : réduit le cholestérol total et le LDL-cholestérol mais est peu efficace pour corriger l'hypertriglycéridémie.26 La diète doit être associée à un traitement médicamenteux.
I Traitement hypolipémiant : les inhibiteurs de la HMG Co-A réductase sont le traitement le plus efficace chez les patients atteints d'un syndrome néphrotique. Ils permettent de réduire le cholestérol total et le LDL-cholestérol de 20-45% et augmentent le HDL-cholestérol.27-29Généralement bien toléré, une myosite peut survenir à haute dose ou en association avec d'autres médicaments (ciclosporine, fibrate). Les fibrates diminuent également le cholestérol total de 10-30% mais leur action est plus marquée sur le métabolisme de triglycérides en les réduisant jusqu'à 40%.
Les troubles lipidiques peuvent être observés chez des patients en insuffisance rénale même à un stade modéré. L'hypertriglycéridémie caractérise le profil lipidique chez ces patients. Le cholestérol total tend à être normal, parfois le reflet d'une dénutrition alors que le HDL-cholestérol est modérément abaissé à l'origine d'une élévation du rapport athérogène.30 La Lp(a) est élevée.31
La prévalence de l'hyperlipémie s'accroît avec la péjoration de la fonction rénale. Attman32 a décrit une augmentation des triglycérides et du VLDL-cholestérol chez un groupe de patients atteints d'une insuffisance rénale chronique alors que le cholestérol total et le LDL-cholestérol ne différaient pas de ceux d'un groupe contrôle. Grutzmacher33 a constaté une tendance à l'augmentation des triglycérides, du VLDL-cholestérol, et à une réduction du HDL-cholestérol, chez 21 patients atteints d'une insuffisance rénale chronique. L'élévation des triglycérides et la baisse du HDL-cholestérol sont plus marquées chez les patients avec la fonction rénale la plus altérée.32-34 Ce type de profil lipidique est encore plus marqué chez les patients souffrant d'une néphropathie diabétique.34
L'hyperlipémie est relevée chez environ 45-50% des patients dialysés. Le même profil lipidique que celui des patients en IRC est retrouvé alors que la prévalence de l'hypercholestérolémie totale et de l'élévation de la fraction LDL ainsi que de la Lp(a) élevée est plus marquée chez les patients en dialyse péritonéale.35,36
L'élévation des taux des triglycérides résulte d'une diminution du catabolisme. L'altération de la composition des triglycérides riche en Apo C-III et une réduction de l'activité de la lipoprotéine-lipase et de la triglycéride-lipase hépatique y contribuent.37,38 L'hyperparathyroïdie secondaire diminuerait l'activité de la lipoprotéine-lipase, dans un modèle animal, une parathyroïdectomie normalise l'hypertriglycéridémie et l'activité de la lipase hépatique.39 Un inhibiteur circulant de la lipase chez les patients en insuffisance rénale fait figure d'une autre hypothèse. Cet inhibiteur serait mal dialysé par les membranes de dialyse conventionnelles mais mieux épuré par une membrane de haute efficacité. Cette hypothèse expliquerait l'amélioration du profil lipidique observé en hémodialyse à haute efficacité.40 Cet inhibiteur a été identifié dans le plasma de patient urémique.41 Il s'agirait d'une pré-b-HDL, une forme d'apo A-I.
Jungers42 a examiné de façon prospective la relation entre le profil lipidique et la survenue d'infarctus chez 147 patients atteints d'une insuffisance rénale avec une clairance allant de 20 à 50 ml/min/1,73 m2. L'incidence d'infarctus était 2,5 fois supérieure dans ce collectif comparé à celle d'une population générale. Les 41 patients qui ont développé un infarctus du myocarde durant le suivi avaient un taux de HDL-cholestérol plus bas alors que les triglycérides, le LDL-cholestérol, l'apo B et Lp(a) étaient plus élevés.
Dans une étude transversale consacrée à 252 patients en hémodialyse, Hahn43a constaté que les patients atteints d'une cardiopathie ischémique avaient des taux de triglycérides et de VLDL-cholestérol plus élevés et des taux d'HDL-cholestérol plus bas.
Une diète appropriée permet de réduire le cholestérol et les triglycérides. Néanmoins, l'effet des conseils diététiques est limité. L'exercice physique permet également d'abaisser le cholestérol, et dans une moindre mesure les triglycérides. Ces mesures d'hygiène de vie ne suffisent généralement pas et doivent être associées à un traitement pharmacologique. Le clofibrate et le gemfibrozil sont les plus efficaces pour abaisser les taux de triglycérides.44 Les effets indésirables les plus fréquents de cette classe d'hypolipémiant sont la myosite et la rhabdomyolyse.45 Ce risque peut être atténué en adaptant la posologie au degré de l'insuffisance rénale et en évitant une combinaison. Chez les patients souffrant d'une hypercholestérolémie, les inhibiteurs de la HMG Co-A réductase sont efficaces.46 En l'absence d'une élévation du LDL-cholestérol, il n'y a pas d'études prouvant l'utilité de traiter une hypertriglycéridémie ou un abaissement du HDL-cholestérol chez les patients en hémodialyse. L'EPO a un modeste effet hypolipémiant, en abaissant le cholestérol total et les triglycérides de 7-10%.47 L'administration d'stradiol chez les femmes ménopausées élève le HDL-cholestérol de 16%.48 Les inhibiteurs de la HMG Co-A réductase sont le traitement de choix chez les patients en dialyse péritonéale, permettant d'abaisser le choles-térol et le LDL-cholestérol. La limitation des échanges hypertoniques et le contrôle du diabète peuvent également améliorer le profil lipidique.
L'hyperlipémie est retrouvée chez la majorité des patients transplantés quelle que soit la fonction du greffon. Elle est encore plus marquée chez les patients souffrant d'une protéinurie. L'hypertriglycéridémie est l'anomalie du profil lipidique la plus fréquente bien que certains patients souffrent d'une hypercholestérolémie isolée.49-51
L'origine de l'hyperlipémie chez ces patients est multifactorielle :
I Les stéroïdes ont un rôle prépondérant. L'arrêt des stéroïdes permet de réduire le cholestérol total de 17%.52 Les stéroïdes induisent une résistance à l'insuline. L'hyperinsulinisme est à l'origine d'une augmentation de la synthèse hépatique de VLDL. Le freinage de l'ACTH contribue également à l'hyperlipémie, l'administration d'ACTH durant trois semaines chez neuf patients sous stéroïdes a amené une réduction du cholestérol et du LDL-cholestérol et des triglycérides et a élevé les taux de HDL-cholestérol.53 L'ACTH pourrait augmenter l'activité des récepteurs du LDL. Le sevrage des stéroïdes n'apporte pas néanmoins un bénéfice chez les patients sous ciclosporine, car malgré la baisse du cholestérol total, l'abaissement plus marqué du HDL-cholestérol aggrave l'index athérogène.
I La ciclosporine favorise également l'hypercholestérolémie de façon dose-dépendante.54 Les patients sous ciclosporine ont également des triglycérides et des taux de Lp(a) plus élevés que les patients sous azathioprine.55 Le mécanisme par lequel la ciclosporine agit sur le profil lipidique demeure obscure.
I L'effet du FK506 (tacrolimus) sur le métabolisme lipidique est similaire à celui de la ciclosporine mais moins prononcé.56 La substitution de la ciclosporine par du tacrolimus améliore le profil lipidique.57
I Approche diététique et perte de poids chez les patients obèses.58
I Doses minimales de stéroïdes.
I Traitement hypolipémiant.59-60
La réduction de la dose des inhibiteurs de la HMG Co-A réductase, en raison de l'interaction avec la ciclosporine, permet de diminuer le risque de toxicité musculaire. Cette classe de médicaments a par ailleurs d'autres effets bénéfiques chez le transplanté si elle est instaurée immédiatement après la greffe : le risque de rejet aigu et l'incidence des rejets chroniques sont abaissés améliorant ainsi la survie des greffons.61-62
Tous les patients atteints d'une maladie rénale sont à haut risque de développer une maladie cardiovasculaire. Un profil lipidique doit être effectué chez chacun d'eux afin d'identifier les patients candidats à un traitement. Les conseils diététiques sont souvent insuffisants et la prescription d'un traitement hypolipémiant est indispensable. Les inhibiteurs de la HMG Co-A réductase sont le traitement de première intention pour abaisser le LDL-cholestérol. Sous ce traitement, une myosite peut survenir particulièrement à haute dose ou en traitement combiné. Une réduction de la posologie est requise chez les patients transplantés sous traitement de ciclosporine ou de tacrolimus. Les fibrates sont également efficaces mais une attention particulière doit être apportée à la posologie en cas d'atteinte de la fonction rénale.