La rhumatologie est sûrement l'un des champs d'application favori de l'homéopathie et, de plus, nos patients atteints de rhumatismes chroniques y ont fréquemment recours. Il paraît donc utile d'évaluer son efficacité. La croyance que les critères d'évaluation de médecine allopathique ne peuvent s'appliquer à l'homéopathie dénote une méconnaissance de méthodologie, et il est légitime d'appliquer une approche de médecine fondée sur les preuves («Evidence-based medicine») à ce domaine.Malheureusement, les données disponibles concernant le traitement homéopathique des maladies rhumatismales sont trop limitées et méthodologiquement critiquables pour permettre une quelconque évaluation et en tirer des recommandations. Finalement, le fait que souvent la médecine allopathique manque encore de données capables de supporter un examen rigoureux du niveau de preuves, ne dispense nullement les médecines alternatives de se soumettre aux mêmes contraintes.
Cet article n'a pas pour but d'entrer en polémique sur le fondement scientifique de l'homéopathie, mais bien d'essayer d'analyser les quelques données disponibles dans la littérature médicale sur sa valeur thérapeutique en rhumatologie au moyen des méthodes standard d'évaluation utilisées en médecine allopathique traditionnelle.
L'Evidence-based medicine (EBM) ou médecine fondée sur les preuves, ou encore médecine factuelle, est certainement une approche à la mode. Il semble utile d'en redéfinir son cadre, ses buts et ses moyens avant de l'appliquer à l'homéopathie.
L'EBM est un type d'approche médicale où les données de la recherche clinique sont analysées et évaluées systématiquement dans le but d'optimaliser les soins aux patients. L'EBM est un processus multifacettaire qui commence par la production des dites preuves, obtenues par l'étude des données scientifiques et cliniques disponibles dans la littérature ou d'autres sources. Malheureusement, toutes les données scientifiques et cliniques disponibles ne sont pas de même qualité et il a donc été nécessaire d'évaluer la qualité des informations qu'elles apportent et leur importance dans l'évaluation globale que nous allons porter sur un traitement ou un examen diagnostique. La plus haute valeur est accordée aux études contrôlées, randomisées et de taille adéquate et aux méta-analyses qui sont des revues systématiques de plusieurs essais cliniques randomisés et contrôlés. Une étude contrôlée, mais non randomisée ou de taille inadéquate, aura une valeur un peu moindre mais supérieure aux études de cohorte prospectives ou, pire, rétrospectives. Finalement, les études cas-témoin, les séries de cas ou l'opinion d'experts sont celles qui en auront le moins.
Une fois classées, ces preuves serviront de base à la production de recommandations pour la pratique clinique («clinical guidelines») établies par un collège d'experts. Quatre niveaux de recommandations sont généralement admis : du niveau A, qui dénote la présence de preuves considérées comme solides à l'appui de la recommandation, au niveau D traduisant l'absence de données suffisantes pour appuyer une quelconque recommandation.
L'EBM visera ensuite la diffusion et la mise en application de ces recommandations dans l'espoir de favoriser une pratique clinique plus efficiente et rentable. C'est surtout cet espoir de rentabilité, bien que non confirmé, qui a favorisé le développement de cette médecine factuelle. L'EBM est apparue aux politiciens et aux assureurs comme un moyen apte à favoriser une maîtrise des coûts de la santé. Leurs exigences quant à la pratique d'une médecine basée sur des recommandations pour la pratique clinique ne peut que s'accroître dans les années à venir.
Finalement, et idéalement, le processus devrait se terminer par une évaluation de l'importance de l'application de ces recommandations et de son résultat sur le traitement des patients.
L'EBM est-elle applicable à l'homéopathie ? D'un point de vue purement scientifique et méthodologique, il me semble qu'il n'existe aucun élément s'opposant à son application à toute forme de médecines alternatives. Quel est le point de vue des homéopathes sur le sujet ? Si le Royal London Homoepathic Hospital NHS Trust est convaincu du bien fondé d'une telle approche,1 les homéopathes suisses semblent plus dubitatifs quant à la validité de l'application de méthodes d'évaluation scientifique traditionnelles à leur spécialité.2Néanmoins, et malgré leurs réticences, il apparaît que les homéopathes sont condamnés à prouver le bien-fondé de leur traitement en utilisant ce type d'approche s'ils veulent conserver à long terme ce statut de «médecine reconnue» obtenu récemment du fait de son remboursement obligatoire dans le cadre de l'assurance maladie de base.
Une évaluation de l'efficacité de l'homéopathie en rhumatologie a d'autant plus de sens que le recours aux médecines alternatives, et en particulier à l'homéopathie, est un phénomène important dans notre spécialité. Dans une étude australienne, 68% de 199 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde recouraient ou avaient recouru aux médecines alternatives, dont un peu plus de 40% spécifiquement pour l'homéopathie.3 A Lausanne, sur 103 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, 52% avaient eu recours à l'homéopathie, cette fréquence augmentant avec la durée de la maladie.4
Le nombre d'études contrôlées testant un traitement homéopathique en rhumatologie est des plus limité. Quatre concernent la polyarthrite rhumatoïde (dont une dans une revue non disponible), une l'arthrose et une la fibromyalgie. Que le résultat soit en faveur ou en défaveur de l'homéopathie, leur méthodologie est loin d'être irréprochable. Avec si peu d'études à disposition et qui plus est de qualité limitée, toute recommandation serait ridicule et nous nous attacherons plutôt à soulever les problèmes méthodologiques de ces diverses études.
Polyarthrite rhumatoïde
Une première étude en faveur de l'homéopathie dans la polyarthrite rhumatoïde a été publiée par Gibson en 1980 déjà.5 Le bénéfice de l'association d'un traitement homéopathique aux AINS a été étudié dans le cadre d'une étude en double-aveugle, contrôlée par placebo, mais non randomisée, évaluant les patients sur douze semaines.
Plusieurs paramètres, dont un indice articulaire, la force de préhension, la douleur mesurée par une échelle analogique, un indice fonctionnel ainsi que la durée de la raideur matinale, démontrent une différence significative à douze semaines entre le groupe traité par homéopathie et le groupe traité par placebo. Il n'y par contre pas de différence significative entre les deux groupes pour des paramètres de laboratoire comme la vitesse de sédimentation ou le titre de facteur rhumatoïde.
Malheureusement, ces résultats positifs sont desservis par une méthodologie défaillante. En effet, après une évaluation initiale par deux médecins homéopathes, les patients ont été répartis en deux groupes de manière non aléatoire par un médecin tiers dispensant également le traitement. Cette méthodologie n'a pas permis d'obtenir un équilibre et une comparabilité des groupes initiaux. C'est un des gros défaut de cette étude. Tous les paramètres démontrant une différence statistiquement significative à la fin de l'étude sont ceux-là même qui n'étaient pas comparables au début. Ces résultats sont donc tout au plus intéressants, mais discutables pour ne pas dire inutilisables.
Comme souvent, il existe encore une multitude d'autres petits problèmes méthodologiques avec cette étude : un petit nombre de patients inclus, une absence de définition claire des critères d'inclusion, une absence complète de définition des critères d'exclusion ou des causes de drop-out et le manque du nombre de patients éligibles.
Un point intéressant de cette étude est le nombre de médicaments à disposition des homéopathes. On évite ainsi les critiques aux étu-des à dose fixe et sans «individualisation» de la prescription peu représentative de la prescription homéopathique. En ce sens, cette étude prouve qu'une méthodologie «classique» est applicable à l'étude de l'homéopathie.
Une deuxième étude en faveur de l'homéopathie dans la polyarthrite rhumatoïde émane d'un groupe de médecins allemands affiliés à une caisse-maladie.6 Elle compare également l'association d'une préparation homéopathique à un AINS et, si on ne lit que le résumé, cette étude est quasiment idéale : double-aveugle, randomisée et contrôlée par placebo sur douze semaines. Pour un homéopathe «puriste», le choix médicamenteux est par contre moins adéquat puisqu'il s'agit d'une préparation à dose fixe de différents médicaments homéopathiques.
Les problèmes surgissent à la lecture plus critique de l'article. Si les critères d'inclusion et d'exclusion sont mieux définis que dans la première étude, on note un nombre important de drop-outs (65 sur 176), sans définition de leur cause, et l'absence complète de description du mécanisme de randomisation et d'évaluation. Il paraît difficile d'admettre la randomisation et le double insu dans ces conditions. Finalement, bien que l'on clame un résultat positif, une seule variable démontre une différence statistiquement significative. Cette variable est un indice composite, tombé du ciel et non validé, mélangeant la consommation de médicaments et l'intensité des douleurs pour définir un succès ou un échec thérapeutique. Sa valeur est donc difficile à apprécier, d'autant plus que tous les paramètres, y compris la consommation de médicaments et l'intensité des douleurs pris isolément, ne démontrent aucune différence significative.
La dernière étude sur l'efficacité de l'homéopathie dans la polyarthrite rhumatoïde date également de 1991 et étudie de nouveau l'association à un AINS.7 C'est aussi une étude en double-aveugle, randomisée, contrôlée par placebo, mais cette fois sur six mois avec essai croisé (cross-over). D'un point de vue méthodologique, c'est la meilleure avec des critères d'inclusion, d'exclusion et les causes de drop-outs définis ainsi qu'une méthode de randomisation adéquate et définie. De nombreux médicaments homéopathiques étaient à la disposition des médecins homéopathes avec évaluation mensuelle et possibilité de modifier le traitement.
Cette fois-ci, les résultats ne démontrent aucune différence significative entre le traitement homéopathique et le placebo en fin de traitement. Si cette étude est méthodologiquement supérieure aux deux autres, il faut néanmoins noter que le nombre de patients est petit (n = 44) avec 25% de drop-outs. Finalement, la permutation du traitement se fait sans interruption (wash-out) alors que l'effet thérapeutique rémanent est une des caractéristiques dont se prévalent les homéopathes. Le groupe initialement traité par homéopathie aurait pu bénéficier d'un effet thérapeutique résiduel sous placebo et ainsi fausser le résultat.
Une seule étude évalue un traitement homéopathique (Rhus toxicodendron (Rhus tox.)) dans l'arthrose de genou et de hanche.8 Il s'agit d'un essai croisé sur six semaines, en double-aveugle, contrôlé par placebo, et comparant le Rhus tox., à dose fixe et unique, à un placebo et un AINS.
Bien que ces données aient été publiées dans le Lancet, elles sont simplement ininterprétables. L'assignation aux groupes de traitement est randomisée, mais non décrite. Les critères d'inclusion sont ouverts à toutes les interprétations. De plus, il n'y a aucune interruption (wash-out) entre les changements de traitement toutes les deux semaines.
Les résultats établissent une différence significative entre l'AINS et l'homéopathie ou placebo, mais l'absence de toute différence significative entre les deux derniers. Néanmoins, une fois de plus les problèmes méthodologiques doivent nous faire prendre ces résultats avec précaution, quels que soient nos a priori concernant l'efficacité des traitements homéopathiques.
Pour finir, une étude parue cette fois-ci dans le BMJ, a étudié le même traitement homéopathique (Rhus tox.) selon un schéma méthodologique identique à celui de l'étude sur l'arthrose.9Il s'agissait donc d'un essai croisé sur deux mois, en double-aveugle et contrôlé par placebo. De nouveau, on retrouve une assignation randomisée pour la séquence des traitements, probablement sans wash-out, mais une fois de plus les détails ne foisonnent pas. Le résultat est par contre en faveur de l'homéopathie avec une différence significative pour le nombre de points douloureux et l'échelle analogique de la douleur. Malheureusement, et une fois de plus, les mêmes critiques que pour les études précédentes doivent être faites.
A une heure où l'homéopathie obtient une reconnaissance de fait, de par son remboursement dans le cadre des prestations de l'assurance maladie de base, il paraît légitime de lui appliquer les mêmes critères d'évaluation que la médecine traditionnelle. La croyance que l'homéopathie est incompatible avec une approche scientifique classique de qualité ne dénote qu'une méconnaissance des problèmes méthodologiques.
L'homéopathie est malheureusement avare en études randomisées et contrôlées, en particulier dans le domaine de la rhumatologie, bien que ce soit un de ses domaines d'application de choix. Le nombre d'études contrôlées fort limité, leur qualité souvent variable, et l'absence d'études de confirmation, font qu'il est actuellement impossible de définir une attitude quelconque basée sur une lecture critique de la littérature. La seule évidence actuelle est qu'il n'y a pas d'évidence ; ce qui n'est pas synonyme d'absence d'efficacité, mais souligne juste notre absence de connaissances. La médecine allopathique traditionnelle n'est pas toujours meilleure que les médecines alternatives dans la recherche de ces preuves et beaucoup de nos thérapies standardisées ne sont pas basées sur des données capables de supporter un examen rigoureux du niveau de preuves.10