Il est largement admis que l'asthme est une manifestation clinique de l'atopie. Particulièrement pertinente chez l'enfant, cette notion est moins évidente chez l'adulte où existe la classique distinction entre asthme «extrinsèque» (allergique) et «intrinsèque» (non allergique). L'asthme intrinsèque est volontiers tardif, une prédominance féminine est classique, de même que l'association à une polypose naso-sinusienne, une intolérance à l'aspirine et une moindre corti-cosensibilité imposant le recours plus fréquent à une corticothéra-pie orale. Ces patients n'ont pas d'antécédents allergiques, les tests cutanés sont négatifs pour les aéro-allergènes et les concentrations d'IgE sériques totales et spécifiques sont basses. La majorité des travaux publiés soulignent néanmoins l'existence de marqueurs cliniques ou biologiques d'inflammation «allergique» au sens large chez l'asthmatique, même d'apparence intrinsèque.
Il est très largement admis que l'asthme est une manifestation clinique de l'atopie.1 Cette notion sous-entend qu'une exposition à des aéro-allergènes induit une sensibilisation allergique caractérisée par la production inappropriée d'anticorps de la famille des immunoglobulines E qui vont se fixer à des cellules portant à leur surface des récepteurs spécifiques (au premier rang desquels les mastocytes et les polynucléaires basophiles). La persistance de l'exposition allergénique favoriserait le développement d'une hyperréactivité bronchique entretenue par une réaction inflammatoire riche en polynucléai-res éosinophiles recrutés localement par l'action conjuguée d'un réseau complexe de cytokines et d'autres médiateurs de l'inflammation comme les leucotriènes. Parallèlement apparaissent les manifestations cliniques de la maladie asthmatique (toux, oppression thoracique, sifflements respiratoires et dyspnée évoluant par crises et réversibles spontanément ou sous traitement bronchodilatateur). Ce concept se vérifie dans la majorité des asthmes de l'enfant, en particulier lors de sensibilisation à la poussière ou aux animaux domestiques.2 Elle semble moins évidente chez l'adulte où existe la classique distinction entre asthme allergique «extrinsèque» et asthme non allergique «intrinsèque».
L'asthme allergique «extrinsèque» débute dans l'enfance ou chez l'adulte jeune (avant la trentaine). Il s'associe souvent à d'autres manifestations de l'allergie (rhinites saisonnières ou perannuelles, conjonctivites, eczéma, etc.). Son évolution est en général favorable grâce à des mesures d'éviction et un traitement inhalé adapté à la gravité clinique. Il peut néanmoins con-naître une évolution péjorative avec le risque d'asthmes aigus graves lors d'expositions allergiques massives ou la constitution d'un asthme sévère difficile à traiter, en particulier lorsque les mesures d'éviction sont mal comprises ou mal suivies. L'asthme non allergique «intrinsèque» a lui aussi quelques particularités cliniques. Il apparaît souvent à la quarantaine ou après. Une prédominance féminine est classique, ainsi que l'association à une polypose naso-sinusienne, une intolérance à l'aspirine et une moindre sensibilité aux traitements inhalés imposant le recours plus fréquent à une corticothérapie orale. Par définition ces patients n'ont pas d'antécédents personnels d'allergie, les tests cutanés sont négatifs pour les aéro-allergènes testés et les concentrations d'immunoglobulines E sériques totales et spécifiques sont basses. Selon les séries, 10 à 40% des asthmes ne sont pas allergiques. Les proportions les plus importantes sont en général rapportées dans des populations sélectionnées (sujets âgés, asthmes sévères cortico-dépendants, cliniques d'altitude, etc.).
Régulièrement citée par les tenants d'une théorie simplifiée de l'asthme considéré comme une maladie allergique au sens large, la Tucson epidemiologic study of obstructive diseases indique que des mécanismes IgE-dépendants joueraient un rôle dans la grande majorité des asthmes.1Cette conclusion lourde de conséquences puisqu'elle contredit l'expérience clinique de la majorité des cliniciens repose en fait sur une argumentation indirecte claire mais contestable. Dans ce travail, 2657 habitants blancs de la ville de Tucson, Arizona, ont rempli un questionnaire détaillé dans lequel se trouvaient des questions concernant les antécédents d'asthme et de rhinite allergique. Il n'y avait pas de confirmation médicale de la maladie asthmatique ou de son absence par un examen clinique ou des explorations fonctionnelles respiratoires. Le terrain atopique était documenté par des tests cutanés (mais le nombre d'aéro-allergènes testés était faible) et le dosage des IgE sériques totales. Les taux d'IgE sériques chutant avec l'âge et étant moins élevés chez les femmes, les auteurs ont pondéré ces résultats sous la forme d'un score Z après standardisation selon l'âge et le sexe. Dans ce travail, la survenue d'un asthme était d'autant plus probable que les taux d'IgE sériques (standardisés selon l'âge et le sexe des patients) étaient élevés (fig. 1). Cette étude ne per-met pas néanmoins d'écarter l'existence d'une population asthmatique particulière, probablement minoritaire mais apparemment non allergique. En effet, des taux d'IgE modérément élevés mais sans aucune spécificité et sans hypersensibilité immédiate documentée aux tests cutanés ne correspondent pas à de l'allergie selon les canons actuels de l'allergologie.
La Swiss study on Air Pollution And Lung Diseases In Adults (SAPALDIA) a été mise en uvre en Suisse en 1991.5 Elle concerne 8357 adultes de 18 à 60 ans. Dans ce travail, la population est étudiée dans un environnement moins extrême qu'en Arizona et constitue pour l'Europe un meilleur témoin que Tucson. De même, les différents paramètres analysés sont définis de façon plus satisfaisante que dans la cohorte de Tucson : l'atopie est définie objectivement par l'existence d'un test cutané positif (>= 3mm) pour l'un au moins des huit principaux aéro-allergènes responsables d'allergie respiratoire en Suisse ; ces tests sont complétés par un dosage des IgE totales et la réalisation d'un Phadiatope permettant de détecter l'existence d'IgE spécifiques dirigées contre les principaux aéro-allergènes responsables de manifestations respiratoires ; le diagnostic d'asthme était retenu lorsque les sujets affirmaient souffrir d'asthme et que ce diagnostic avait été affirmé par un médecin. En utilisant ces critères dans une population étudiée en climat tempéré, il apparaît que la prévalence de l'asthme est d'environ 7% chez l'adulte dont un tiers de sujets non atopiques (asthmes «intrinsèques») (fig. 2).
L'analyse de ces deux articles démontre qu'une majorité d'asthmatiques sont sensibilisés contre divers allergènes fréquemment rencontrés dans leur environnement quotidien (acariens, animaux domestiques, pollens, moisissures, etc.). Il en ressort que l'asthme est une maladie majoritairement allergique. Néanmoins, une grande minorité de cette population asthmatique n'a pas d'allergie documentée. De plus, force est de constater que certains asthmatiques étiquetés allergiques n'ont pas une symptomatologie expliquée de façon satisfaisante par les allergies documentées (comment expliquer un asthme chronique perannuel chez un allergique exclusif aux pollens de graminées ?). Comme l'indique Pearce dans une revue générale récente, il n'est pas discutable que l'atopie joue un rôle majeur dans le développement de nombreux asthmes.6Néanmoins, le rôle des allergies est surestimé chez certains patients et pourrait faire négliger d'autres facteurs étiologiques importants.
Dans le travail de Pirson, l'âge moyen au moment des premiers symptômes de la maladie est de 13,6 ans plus élevé au cours de l'asthme intrinsèque.7 Cette différence est probablement sous-estimée car Pirson excluait de son analyse les patients âgés de moins de 25 ans, majoritairement atopiques. Le groupe de Marseille a retrouvé un âge moyen de début de l'asthme de 23,5 ans chez dix-sept asthmes allergiques contre 43 ans chez dix-sept asthmatiques non allergiques.8 De même les asthmatiques intrinsèques que nous avons analysés dans l'Intrinsic asthma study étaient si-gnificativement plus âgés que les asthmatiques allergiques (53 ans (39-62) contre 33 ans (23-55), p 4 Ces résultats confirment les travaux pionniers de Rackemann puis Peppys qui avaient montré une corrélation négative entre l'âge de début de l'asthme et le degré d'atopie.3
L'asthme intrinsèque est plus fréquent chez la femme. Cette tendance ressort dans la majorité des travaux publiés. Dans l'Intrinsic asthma study, la proportion de femmes était de 60% dans le groupe asthmatique non allergique con-tre 33% dans l'asthme extrinsèque.4 Quant à l'étude SAPALDIA, elle estime la prévalence de l'asthme non allergique en Suisse à 2,6% chez la femme contre 2,1% chez l'homme.5
Il est largement admis que l'asthme intrinsèque est plus sévère que l'asthme extrinsèque. Ainsi, Charpin et Vervloët indiquent une plus grande sévérité dans l'asthme intrinsèque en termes de score clinique de gravité (évalué selon l'échelle de Aas), de débit expiratoire de pointe (exprimé en pourcentage des valeurs théoriques) et de recours à une corticothérapie orale (soulignant la moindre sensibilité aux traitements de fond inhalés de l'asthme).8 Par ailleurs, dans leur travail d'évaluation de la ciclosporine dans l'asthme grave, Lock et coll. signalaient une prévalence particulièrement importante de patients non allergiques dans l'asthme persistant sévère cortico-dépendant (42% de patients non allergiques).9
Rackemann avait beaucoup insisté dans ses descriptions cliniques sur certaines affections associées à l'asthme intrinsèque. La triade de Widal associant polypose naso-sinienne, intolérance à l'aspirine et asthme volontiers sévère décrit un sous-groupe d'asthmes majoritairement intrinsèques.
Les polynucléaires éosinophiles classiquement associés à l'inflammation de type allergique sont retrouvés en abondance dans la sous-muqueuse bronchique d'asthmatiques intrinsèques. Cette éosinophilie tissulaire est caractéristique de l'asthme, mais semble plus marquée en l'absence d'allergie.10 De même, l'éosinophilie sanguine est classiquement plus marquée chez les asthmatiques intrinsèques que dans l'asthme allergique.10 L'éosinophilie tissulaire est en grande partie sous la dépendance d'un puissant réseau de cytokines pro-éosinophiles qui recrutent, activent et prolongent la survie des polynucléaires éosinophiles circulants. La libération locale de protéines basiques par ces éosinophiles activés joue probablement un rôle essentiel dans la genèse de lésions épithéliales et l'apparition d'une hyperréactivité bronchique. Les corrélations étroites entre l'expression de l'IL-5 et divers marqueurs de sévérité et d'activité de la maladie asthmatique plaident en faveur du rôle central de cette cytokine pro-éosinophile dans l'asthme.11 De même l'éotaxine et les autres chimiokines interagissant avec le récepteur CCR3 (éotaxine-2, RANTES, MCP-3, MCP-4, etc.) sont essentielles à l'apparition et l'entretien d'une éosinophilie bronchique.12
L'asthme intrinsèque est caractérisé par des taux sériques d'IgE dans les limites de la normale. En pratique quotidienne, on insiste surtout sur le fait que le diagnostic d'asthme intrinsèque n'est retenu qu'en l'absence d'allergie clinique et de réaction immédiate aux tests cutanés. Dans les études scientifiques, les critères sont plus drasti-ques. Ainsi dans l'Intrinsic asthma study nous exigions des tests cutanés négatifs (et un test contrôle positif à l'histamine) ainsi que la négativité des RAST pour une batterie de vingt-cinq aéro-allergènes communs.4 Signalons néanmoins que, malgré ces précautions et la normalité des taux d'IgE, les concentrations d'IgE totales des asthmatiques non allergiques de l'Intrinsic asthma study étaient significativement plus élevées que celles du groupe de sujets-contrôles non asthmatiques (66 UI/ml (17-108) contre 12 UI/ml (3-29), p 10 La différence aurait été encore plus importante si nous avions normalisé nos résultats en fonction de l'âge car les asthmatiques intrinsèques étaient plus âgés et comportaient plus de femmes que les sujets contrôles. Par ail-leurs, nous avons très récemment montré une production d'IgE dans la sous-muqueuse bronchique d'asthmatiques allergiques et non allergiques (une telle expression étant par ailleurs indétectable chez les sujets contrôles).4 Ce travail suggère la possibilité de réactions à IgE restrein-tes à un organe cible chez des patients dont les concentrations sériques en IgE sont basses.
Le rôle potentiel des IgE dans les formes non allergiques de la maladie asthmatique reste très discuté. Dans nos travaux, les concentrations sériques totales d'IgE (de spécificité inconnue) et l'expression bronchique de la chaîne lourde e et de FceRI plaident indirectement en faveur de mécanismes IgE-dépendants dans l'asthme d'apparence non allergique.4 De même nous avons démontré une expression bronchique accrue d'IL-4 et d'IL-13 (cytokines promotrices de la réponse à IgE) chez l'asthmatique, quel que soit son statut atopique.11,13 Ces constatations soulignent l'importance probable de l'atopie «au sens large» chez l'asthmatique.
La spécificité des IgE produites peut-être de façon restreinte au niveau pulmonaire chez les asthmatiques non allergiques est inconnue. Ces patients sont peut-être allergiques à un agent non identifié dans notre environnement. L'hypothèse virale (voire bactérienne) est attrayante,4 certains auteurs ayant retrouvé des IgE dirigées contre des agents infectieux communs comme le virus respiratoire syncitial ou le pneumocoque. Enfin, l'hypothèse auto-immune a ses partisans qui s'étonnent de la distribution particulière de l'asthme «intrinsèque» (prédominance féminine en particulier). Ainsi, Lassalle et coll. ont identifié un anticorps de type IgG dirigé contre un antigène de 55kDa présent dans les plaquettes et les cellules endothéliales chez l'asthmatique non allergique.14 Ces travaux sont intéressants, mais ils demandent confirmation et leur signification exacte est encore incertaine. Enfin certains asthmes apparemment intrinsè-ques résultent probablement d'expositions professionnelles méconnues.15
Les seules particularités biologiques relevées dans l'Intrinsic Asthma Study sont en faveur d'une activation cellulaire particulière au cours de l'asthme intrinsèque qui comporte une infiltration bronchique riche en cellules de la lignée des monocytes/macrophages (reconnues par le marqueur CD68).4 Cette inflammation macrophagique va de pair avec une expression accrue de cytokines favorisant l'accumulation de ces cellules (en particulier de l'interleukine-3 et du Granulocyte-Macrophage Colony Stimulating Factor ou GM-CSF).4Enfin le récepteur du GMCSF (aGM-CSFR) est plus exprimé dans la sousmuqueuse des asthmatiques non allergiques. Cette tendance à une activation macrophagique tissulaire pourrait refléter l'existence d'une activation immunitaire locale particulière (rôle d'une part auto-immune, exposition à un agent infectieux induisant une réponse macrophagique) ou plus simplement la chronicité de l'inflammation bronchique chez ces patients plus âgés.
En pratique clinique, il est intéressant d'individualiser les variantes allergiques et non allergiques de la maladie asthmatique afin de proposer des mesures d'éviction adéquates chez les allergiques. L'absence d'allergie imposera les mesures habituelles d'éviction des irritants non spécifiques au premier rang desquels le tabac, et, en cas d'intolérance, la contre-indication à la prise d'aspirine et d'anti-inflammatoires non stéroïdiens. Le traitement de fond et le traitement des crises dyspnéiques est identique chez les asthmatiques allergiques et non allergiques. Dans l'optique des nouveaux traitements envisagés dans les asthmes difficiles à contrôler, l'activation lymphocytaire T et l'inflammation riche en éosinophiles orchestrée en partie par l'IL-5 et l'éotaxine ne laissent pas présager non plus de différences d'approche (ciclosporine A, anticorps monoclonaux anti-CD4, anticorps anti-IL-5, bloquage du récepteur de l'éotaxine, etc.). Enfin, l'existence de mécanismes IgE-dépendants n'étant pas exclue dans l'asthme intrinsèque, les traitements visant à contrôler l'inflammation asthmatique par anticorps anti-IgE devraient donc être évalués dans cette variante de la maladie.