C. difficile est une importante cause de diarrhée après antibiothérapie chez les patients hospitalisés. Le diagnostic d'une infection à C. difficile est généralement posé par la mise en évidence dans les selles d'une de ses toxines, par effet cytopathique ou enzyme-immunoassay, ou par culture des selles. Le traitement de choix de la diarrhée et de la colite àC. difficile est le métronidazole, à raison de 3 x 500 mg/j per os pendant dix jours ; il est rare qu'il soit nécessaire d'utiliser la vancomycine. Une récurrence des symptômes après arrêt du traitement est observée dans 5-30% des cas ; les patients doivent être retraités de la même manière ou, en cas de récidives multiples, par des régimes plus complexes. La prévention et le contrôle des in-fections à C. difficile passent par le lavage et la désinfection des mains, l'utilisation de gants, un nettoyage minutieux de l'environnement et éventuellement le placement du patient en isolement, pour éviter la transmission inter-personnelle du germe ; la restriction de l'utilisation des antibiotiques est également une mesure fondamentale dans le but de diminuer le risque de diarrhée.
C. difficile a été décrit pour la première fois en 1935, mais ce n'est qu'en 1978 qu'on a découvert qu'il était l'agent étiologique de la colite pseudomembraneuse associée à la prise d'antibiotiques. Le sujet a été la source de nombreuses publications au début des années 80, époque à laquelle on a appris l'essentiel sur la pathogenèse, les manifestations cliniques, le diagnostic et le traitement des infections à C. difficile. Après une baisse d'intérêt passagère, le nombre d'articles publiés a explosé au début des années 90, lorsque le germe s'est révélé être un pathogène nosocomial majeur et qu'on a reconnu de nombreuses situations épidémiques à travers le monde. En Grande-Bretagne, par exemple, le nombre d'isolats toxigènes de C. difficile est passé de moins de 2 000 en 1992 à plus de 10 000 en 1997 et il a été nécessaire de fermer des unités de soins dans 16% des hôpitaux en 1996.1 La diarrhée à C. difficile a un coût humain et financier majeur, notamment parce qu'elle prolonge sensiblement la durée de l'hospitalisation. Des progrès restent à accomplir dans la compréhension de la maladie, dans son diagnostic et dans son traitement. Sa prévention est particulièrement problématique et C. difficilecontinuera d'être un sujet d'inquiétude pour les épidémiologistes hospitaliers dans de nombreux établissements de soins aigus et chroniques au cours des prochaines années.
C. difficile est la cause la plus fréquente de colite associée aux antibiotiques et est responsable de 10-20% des diarrhées après antibiothérapie.2 Le germe peut être isolé dans les selles de la plupart des nour-rissons normaux et est parfois trouvé chez les adultes en bonne santé, avec une prévalence de 2-15%. Bien que C. difficile puisse faire partie de la flore normale du côlon, la physiopathologie de la diarrhée à C. difficile n'est pas celle d'une prolifération du germe chez un porteur sain, mais passe par l'acquisition exogène de la bactérie, dans la grande majorité des cas nosocomiale. L'incidence de diarrhée à C. difficile chez les patients ambulatoires est basse (8 cas pour 100 000 expositions aux antibiotiques),3 même si les chiffres publiés la sous-estiment. La probabilité d'acquisition du germe lors d'un séjour hospitalier peut atteindre 20% après une semaine4 et augmente en proportion directe avec la longueur du séjour ; seul un tiers des patients qui acquièrent la bactérie développent des symptômes. Presque toutes les diarrhées acquises à l'hôpital pour lesquelles un pathogène est isolé sont dues à C. difficile.5
Le réservoir de la bactérie est le tube digestif des patients colonisés, qu'ils soient symptomatiques ou non, ainsi que les objets inanimés se trouvant dans leur environnement immédiat (toilettes, lavabos, commodes, téléphones). Le personnel hospitalier est un important vecteur à travers le portage transitoire sur les mains.4 L'environnement est souvent une source persistante de C. difficile en raison de la présence de spores qui résistent à l'humidité, à la dessiccation, au nettoyage, et dans une certaine mesure à la désinfection si celle-ci n'est pas assez poussée.
L'exposition à une substance ayant une activité antibactérienne a été identifiée comme un facteur de risque majeur et quasi indispensable pour le développement d'une diarrhée à C. difficile. Le rôle prédisposant de l'administration préalable d'antibiotiques reflète l'impact de ces substances sur la flore colique. Les molécules ayant une forte activité contre les bactéries anaérobes représentent un danger particulier. C'est surtout en association avec la clindamycine, dont l'effet sur la flore anaérobie persiste bien après l'arrêt du traitement, que la colite à C. difficile a été décrite au début des années 80. Cet antibiotique fait probablement courir un risque intrinsèque supérieur à celui des autres agents antimicrobiens, mais la plupart des cas de diarrhée à C. difficile diagnostiqués actuellement sont attribuables aux b-lactamines, à cause de leur utilisation très fréquente. Le métronidazole, un des agents anti-anaérobies les plus puissants, ne favorise qu'exceptionnellement la prolifération de C. difficile parce qu'il est complètement absorbé avant d'atteindre le côlon en l'absence de diarrhée (tableau 1). Il est intéressant de noter que C. difficile est généralement sensible in vitro aux substances qui favorisent son émergence in vivo, notamment à la clindamycine ; une étude récente a cependant montré que des souches résistantes à la clindamycine représentent un danger tout particulier.6 Les symptômes peuvent survenir après une antibiothérapie très courte, notamment une prophylaxie chirurgicale,7 mais un traitement prolongé ou combiné augmente le risque ; ils peuvent survenir jusqu'à deux mois après l'arrêt du traitement.
Les traitements cytostatiques (adriamycine, cyclophosphamide, méthotrexate, 5-fluorouracile) peuvent aussi être responsables de colites à C. difficile. Les autres facteurs prédisposants sont un âge avancé, les procédures invasives et la chirurgie sur le tube digestif, les maladies sous-jacentes sévères et l'admission dans un hôpital à haute endémie ou en situation épidémique.
La séquence des événements menant à une diarrhée à C. difficile après antibiothérapie est sujette à débat. Alors que, selon la théorie classique, l'acquisition de C. difficile précède la prescription des antibiotiques, un modèle récent postule que la diarrhée ne peut survenir que si la colonisation par C. difficile suit la perturbation de la flore intestinale par l'administration d'un traitement antimicrobien. En effet, les auteurs de ce modèle alternatif ont montré que les porteurs asymptomatiques de C. difficile sont à risque particulièrement bas de développer une diarrhée après avoir reçu des antibiotiques si on les compare aux patients non porteurs, ceci indépendamment du caractère toxigène ou non de la souche ;8 ce phénomène de protection pourrait s'expliquer par l'existence d'anticorps dirigés contre la toxine A de C. difficile.9
C. difficileélabore deux toxines : la toxine A, une entérotoxine, et la toxine B, une cytotoxine. La toxine A, qui altère morphologiquement la muqueuse et est exsudative, joue un rôle pathogène majeur, alors que la toxine B a éventuellement un effet additionnel. La production de toxine est nécessaire pour que la souche soit pathogène, mais, comme mentionné précédemment, les souches toxigènes ne sont pas forcement pathogènes sur un plan individuel.
L'infection à C. difficilese présente habituellement comme une diarrhée discrète à modérée, parfois accompagnée de crampes abdominales. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de symptômes systémiques et le status est normal, si ce n'est pour une sensibilité du bas abdomen. Lorsque l'atteinte est plus sévère, le tableau est celui d'une colite non spécifique, avec diarrhée profuse, fièvre, nausées, vomissements, malaise, douleurs et distension abdominale ; l'hématochézie est rare. On note de manière inconstante une hyperleucocytose. Le stade suivant est celui de la colite pseudo-membraneuse classique, dont le diagnostic formel ne peut être fait que par endoscopie. Dans 10% des cas, seul le côlon proximal est touché. Les symptômes sont les mêmes que ceux décrits plus haut, mais gagnent en intensité. L'atteinte la plus dramatique est le mégacôlon toxique, souvent accompagné d'un iléus paralytique, et on assiste fréquemment dans ce cas à une diminution paradoxale de la diarrhée. Le diagnostic du mégacôlon est radiologique, la colonoscopie devant être évitée à cause du risque de perforation. Les bactériémies et les infections extra-intestinales sont très rares.
Le diagnostic microbiologique de la diarrhée à C. difficile peut se faire par culture du microorganisme et par mise en évidence de la toxine A ou de la toxine B dans des selles défaites (tableau 2). La culture de C. difficile a une excellente sensibilité, mais manque de spécificité du fait qu'elle permet la croissance de souches non toxigéniques, et donc non pathogènes ; si l'on teste les isolats pour la production de toxine après culture, les performances obtenues sont maximales. La culture du germe, suivie de typisation moléculaire, est un outil indispensable pour les études épidémiologiques. Pour la toxine, le test de référence, qui a une très bonne sensibilité et une excellente spécificité, est la mise en évidence de son effet cytopathique sur culture cellulaire. Ce test n'est pas pratiqué par tous les laboratoires car il est laborieux ; par ailleurs, son résultat se fait attendre durant 48 heures. Une alternative est l'utilisation d'un enzyme-immunoassay (EIA), qui a une excellente spécificité mais dont la sensibilité est inférieure à celle de la recherche de l'effet cytopathique ; si l'EIA est négatif, il peut être répété une fois sur un nouveau prélèvement ou suivi d'un test cytopathique. L'EIA est simple et prend 2-4 heures. La recherche d'antigènes de C. difficile par agglutination de particules de latex manque à la fois de sensibilité et de spécificité et est déconseillée. La recherche de leucocytes ou de sang occulte dans les selles n'a aucune utilité diagnostique. La PCR est en cours d'investigation.10
Comme mentionné plus haut, la colonoscopie ne détecte efficacement que la forme la plus avancée de la maladie et est parfois contre-indiquée dans ce contexte. Elle ne joue donc qu'un rôle très mineur dans le diagnostic des infections à C. difficile.
Lorsque c'est possible, le traitement antibiotique qui a précipité la maladie devrait être arrêté, ou tout au moins remplacé par un régime qui favorise moins la croissance de C. difficile. Environ 20% des patients répondent à cette mesure en 2-3 jours. Si ce n'est pas le cas, si la diarrhée est sévère ou si l'état du patient est précaire, il est alors nécessaire d'introduire une antibiothérapie spécifique. L'essentiel de l'expérience clinique a été acquis avec la vancomycine et le métronidazole. Le métronidazole, à une posologie de 3 x 500 mg ou 4 x 250 mg/j per os pendant dix jours, est considéré actuellement comme le traitement de premier choix.11,12 Son efficacité est comparable à celle de la vancomycine à la posologie de 4 x 125 mg/j per os pendant dix jours13 et son coût largement inférieur (prix public en Suisse : Fr. 26,70 à 32,25 pour le Flagyl®, Fr. 459,50 pour la Vancocin®). Par ailleurs, on décourage l'utilisation de la vancomycine dans les circonstances où elle n'est pas essentielle, afin de prévenir l'émergence et la dissémination d'entérocoques résistant aux glycopeptides.14 Parce que les concentrations de vancomycine dans la lumière colique excèdent de 2000 fois la CMI du germe, contre 10 fois pour le métronidazole, et parce que de très rares souches de C. difficile résistant au métronidazole ont été décrites, on peut préférer la vancomycine dans les infections menaçant le pronostic vital.
Avec les deux antibiotiques, le traitement doit impérativement être administré par voie orale afin d'obtenir des concentrations suffisan-tes dans le côlon. L'expérience avec le métronidazole intraveineux est limitée et la vancomycine est totalement inefficace par voie parentérale. En cas d'iléus ou de mégacôlon toxique, on peut faire parvenir les antibiotiques au site de l'infection par lavements de rétention. Il faut éviter l'utilisation d'agents antipéristaltiques dans la diarrhée à C. difficile car ils peuvent précipiter la survenue d'un mégacôlon ; de plus, en diminuant l'intensité de la diarrhée, ils pourraient favoriser l'absorption du métronidazole et diminuer les concentrations intraluminales de l'antibiotique.
La quasi-totalité des patients répondent à un traitement de métronidazole ou de vancomycine, en 2-3 jours. Dans ce cas, une recherche de C. difficile ou de toxine ne doit pas être pratiquée en fin de traitement ;11 en effet, elle peut être positive sans que cela n'ait de valeur prédictive sur l'évolution ultérieure.
Un ou plusieurs épisodes de récurrence des symptômes peuvent survenir dans les deux semaines qui suivent l'arrêt du traitement chez 5-30% des patients. Le retour de la diarrhée est le plus souvent dû à une réinfection par une souche différente,15 mais il peut aussi être causé par une rechute. Dans les rechutes, on isole la même souche avec la même sensibilité aux antibiotiques ; le phénomène s'explique par le fait que la forme sporulée de C. difficile n'est pas sensible aux substances antibactériennes et peut secondairement se transformer en forme végétative. Dans les deux cas, un nouveau traitement avec le même antibiotique permet généralement d'obtenir une disparition des symptômes. En cas de rechutes multiples, divers régimes ont été proposés, sans que l'on puisse affirmer la supériorité d'une substance sur une autre sur la base d'études comparatives : vancomycine ou métronidazole plus Saccharomyces boulardii,16vancomycine ou métronidazole plus rifampicine, vancomycine en administration prolongée ou pulsée, bacitracine, colestyramine.
La diarrhée à C. difficile étant une infection exogène et essentiellement nosocomiale, il est logique que la lutte contre la maladie passe par la mise en uvre de mesures de prévention et de contrôle de l'infection. De nombreuses études ont démontré l'efficacité d'un programme de prévention structuré pour contrôler une situation endémique ou épidémique d'infections à C. difficile. Les efforts ont pour but d'une part d'interrompre la transmission horizontale de C. difficile, c'est-à-dire d'empêcher le patient d'acquérir le microorganisme, d'autre part de minimiser la probabilité que l'exposition au microorganisme résulte en une infection clinique. Le tableau 3 présente les mesures qui ont été préconisées pour atteindre cet objectif.
L'hygiène des mains est un point central pour la prévention des infections dues à des germes transmissibles par contact direct et indirect. Les études qui ont comparé l'utilisation d'un savon ordinaire à celle de chlorhexidine ont donné des résultats contradictoires pour C. difficile, avec un possible avantage pour la chlorhexidine. L'utilisation de gants lors de contacts avec des excreta et autres liquides biologiques a démontré son efficacité.
L'isolement de contact des patients souffrant de diarrhée a été employé avec des succès divers. Alors qu'il est recommandé systématiquement par le CDC aux Etats-Unis,17 les recommandations françaises ne le proposent que pour les patients incapables de coopérer ou ayant des trou-bles de la continence. Le cohortage est une alternative si les chambres d'isolement font défaut, avec toutefois un risque de réinfection si les patients traités ne sont pas immédiatement transférés dans une zone propre. Le nettoyage très soigneux des surfaces inertes, particulièrement des surfaces à portée de main et des toilettes, est une mesure importante, d'autant plus que les bactéries sporulées survivent très longtemps à la dessiccation. Les désinfectants chlorés et les aldéhydes sont efficaces pour réduire la contamination de l'environnement, mais aucune étude n'a évalué l'impact de leur utilisation indépendamment d'autres mesures sur l'incidence des infections à C. difficile. Le remplacement des thermomètres rectaux par d'autres modalités de mesure de la température est conseillé. Les endoscopes doivent être nettoyés et désinfectés soigneusement.
Une étude18 a suggéré que le traitement prophylactique des porteurs asymptomatiques par la vancomycine pouvait diminuer l'incidence de la diarrhée à C. difficile au sein d'une communauté. Cependant, cette mesure n'a pas été étudiée indépendamment d'autres interventions. Par ail-leurs, il a été suggéré que la colonisation diminue le risque de développer des diarrhées,8 ce qui pose un problème éthique si l'on veut traiter les porteurs. Les restrictions qui régissent actuellement l'utilisation de la vancomycine et son coût ont déjà été évoqués. Il en résulte que cette approche n'est pas utilisable pour interrompre la transmission de C. difficile.
L'administration d'antibiotiques étant un facteur prédisposant quasi indispensable pour le développement d'une diarrhée à C. difficile, il est logique de penser que la restriction de l'utilisation de ces substances permet de diminuer la morbidité de l'infection. L'efficacité de cette approche a été clairement démontrée pour la clindamycine et est très vraisemblable pour les autres antibiotiques, même si les travaux manquent. Une étude contrôlée19 a essayé de démontrer l'utilité prophylactique de S. boulardii en association avec les antibiotiques ; l'incidence de diarrhée était plus basse dans le groupe recevant la levure, cependant la signification statistique n'a pas été atteinte. S. boulardii n'empêche pas l'acquisition de C. difficile ni la production de toxine, suggérant qu'il bloque l'activité de la toxine.
Enfin, la valeur de l'information et de l'éducation du patient, souvent négligées et peu étudiées dans ce contexte, ne devrait pas être sous-estimée.