L'information issue des données de surveillance épidémiologique des infections nosocomiales permet aux membres des équipes dont la charge est la prévention de ces infections, ainsi qu'aux soignants en général, de déterminer des taux d'infections de base, de détecter des variations de la fréquence ou de la distribution des événements, de mettre en place des investigations pour expliquer l'augmentation des taux, d'instaurer des mesures de contrôle, et de déterminer leur efficacité.1
Les données épidémiologiques collectées permettent également de mesurer l'observance aux recommandations établies, de détecter les situations ou les secteurs dans lesquels des déviances peuvent avoir lieu, d'évaluer les changements de pratiques et d'identifier les domaines à étudier en profondeur.
Cette revue rappelle les principes de surveillance des infections nosocomiales dont les principaux éléments sont cités dans le tableau 1.
Historiquement, l'activité de surveillance des infections nosocomiales a été reconnue par les agences nord-américaines d'accréditation et l'administration des hôpitaux comme un élément essentiel des programmes de prévention de l'infection depuis la fin des années 70. En effet, suite à l'étude SENIC (Study on the Efficacy of Nosocomial Infection Control),2 conduite par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et ayant démontré l'impact des programmes de prévention en termes de réduction des infections nosocomiales, l'activité de surveillance systématique s'est largement développée aux Etats-Unis, pour devenir pratiquement universelle au sein des institutions de soins et nécessaire à leur processus d'accréditation.3
L'étude SENIC a démontré une réduction moyenne de 32% des taux d'infections nosocomiales sur une période de cinq ans dans les hôpitaux disposant des éléments déterminés comme étant efficaces, alors que, dans le même temps, ces taux augmentaient de 18% dans les hôpitaux ne disposant pas d'un tel programme. Les quatre éléments déterminants de l'efficacité d'un programme de prévention de l'infection sont de disposer : 1) d'un médecin épidémiologiste spécialisé pour environ 1000 lits hospitaliers ; 2) d'un(e) infirmier(ère) spécialiste en prévention de l'infection pour 250 lits hospitaliers ; 3) d'un système organisé de surveillance et 4) de restitution des taux d'infection.
Cette pratique est moins systématique pour l'heure en Europe, bien que de nombreuses institutions pratiquent une forme ou l'autre de surveillance.4 Une expérience semblable à celle de l'étude SENIC, récemment conduite en Allemagne, a démontré l'efficacité de la mise en place de programmes de surveillance et de prévention de l'infection intégrés aux cercles d'amélioration de la qualité des soins.5 En Suisse, plusieurs centres hospitaliers, en particulier universitaires, disposent de données solides démontrant l'efficacité de programmes de surveillance et prévention des infections.6,7
La surveillance fait donc partie d'un système plus global dont les éléments efficaces sont maintenant bien établis (tableau 2).8,9
La détection des infections nosocomiales repose sur le principe de leurs définitions. Celles proposées par le CDC sont les plus largement utilisées ; elles ont été expérimentées et validées dans de nombreuses institutions.10 Des définitions légèrement différentes, voire adaptées à une population de patients spécifiques, ont cependant été proposées. Dans tous les cas, une mise à jour périodique des définitions est rendue nécessaire en fonction de l'évolution des techniques de diagnostic médical et des variations des pratiques institutionnelles.
Il existe une grande variété de méthodes appliquées à la technique de surveillance ; chaque approche comprend ses avantages et inconvénients propres. Celle, historiquement et scientifiquement déterminée comme faisant référence, consiste en une surveillance prospective des infections nosocomiales (tous sites infectieux confondus) et impliquant tous les patients hospitalisés dans l'institution. Pratiquement, ce type de surveillance est extrêmement lourd à conduire et les moyens pour le faire ne sont en général pas disponibles. C'est pour cette raison, qu'il n'est plus utilisé.11 Moins lourde, la même approche peut cependant être conduite périodiquement ou n'être réservée qu'aux secteurs de soins à haut risque infectieux.
La technique dite de prévalence permet d'effectuer des surveillances de relativement large envergure rapidement et sans que l'utilisation des ressources ne le soit pour des périodes prolongées. Cette approche est restreinte à une période de temps donnée et les infections survenant en dehors de cette période ne sont bien entendu pas répertoriées. Il est difficile de comparer les taux de prévalence aux taux d'incidence et les enquêtes de prévalence manquent en général les foyers épidémiques d'infection.
Une surveillance orientée sur un type d'infection défini, ou sur une population spécifique, peut être conduite ; les ressources à disposition sont alors concentrées sur le secteur d'intérêt et on peut envisager ainsi d'évaluer des mesures de prévention et d'utiliser au mieux les moyens à disposition. Cette approche ne permet cependant pas de générer d'information par rapport aux populations non surveillées. Les avantages et désavantages des différentes méthodologies de surveillance sont illustrés dans le tableau 3.
Le contrôle des épidémies est une forme additionnelle de surveillance et intervient en cas de besoin. Plusieurs systèmes de détection des épidémies ont été proposés, basés sur les données du laboratoire de microbiologie, l'utilisation des antibiotiques, ainsi que sur des indicateurs qui diffèrent d'une institution à l'autre. Le seuil de détection des épidémies est variable d'une institution à l'autre et dépend étroitement des modes de surveillance en vigueur.
Sources d'information et collecte
de données
Les sources d'information sont nombreuses et le choix de leur utilisation dépend de l'approche méthodologique choisie pour effectuer la surveillance, des objectifs de la surveillance, de la disponibilité et de la facilité d'accès des données, et du temps mis à disposition des observateurs. Ils incluent individuellement ou de façon combinée : la révision des données de laboratoire, du Kardex infirmier, de la courbe thermique, l'utilisation des antibiotiques, l'analyse des rapports d'autopsie, la collaboration de soignants de liaison dans les services, ainsi que l'approche basée sur la détection d'événements sentinelles. En règle générale, plus le temps mis à disposition pour la surveillance est important, meilleure est la sensibilité de détection. Des exemples de méthodes utilisant différentes approches et indices de détection des infections nosocomiales, ainsi que le temps investi dans chaque surveillance et sa sensibilité, sont indiqués au tableau 4.
La collecte d'informations doit être effectuée par un personnel spécialisé, de préférence externe au service de soins.12,13 Une validation des données obtenues par le personnel en question est toujours effectuée.14
L'informatisation toujours plus avancée des données médicales, infirmières, ou de laboratoire, contribue à optimaliser les processus de surveillance des infections nosocomiales, tout en réduisant l'effort consenti dans la collection de l'information.15 La mise en place d'alertes informatisées visant à prévenir immédiatement les équipes de prévention et les soignants de l'identification des germes résistants ou du mouvement de patients colonisés ou infectés par de tels micro-organismes, augmente l'efficience des mesures de contrôle mises en place. L'alerte de réadmission de patients colonisés ou infectés par des staphylocoques résistant à la méticilline au cours d'une réadmission, mise sur pied à Genève, constitue un bon exemple de l'utilisation et de l'impact d'une telle approche.16
Dans le futur, des possibilités d'informatisation encore plus avancée vont améliorer l'efficience des mesures traditionnelles de surveillance et de prévention des infections nosocomiales pour le bien des patients, l'intérêt des institutions de soins et de la communauté en général.
L'organisation des données est fondamentale à la détection des problèmes. La synthèse est réalisée par le personnel en charge de la surveillance dans des délais courts, afin qu'une action, si nécessaire, puisse être entreprise. Le tableau 5 illustre quelques modes de calculs des taux d'infections.
Les procédures de comparaison statistique des taux d'infections ne peuvent pas être détaillées ici. La comparaison des taux entre secteurs et des tendances temporelles ne peut être interprétée que par du personnel expérimenté.
La restitution de l'information est l'un des éléments importants de la prévention des infections.2 Les personnes clés de chaque service et de l'administration bénéficient d'un retour d'information tout en privilégiant la confidentialité de l'information entre les différents services institutionnels. Ainsi, un système de surveillance est régulièrement évalué par rapport à la validité de l'information générée, ainsi qu'à son utilité, sa pertinence et son efficience.
La surveillance des infections nosocomiales est l'un des outils les plus importants en prévention et contrôle de l'infection dans l'hôpital. La diminution de ces infections permet d'éviter des décès inutiles et d'épargner beaucoup de souffrance aux patients. Lorsque le système est efficace, les investissements nécessaires pour monter et maintenir un système de surveillance sont largement rentabilisés compte tenu des excès de dépenses de ressources liées aux infections nosocomiales.17
Les infections nosocomiales représentent de plus en plus un paramètre décisif dans la qualité et le résultat global des soins. Compte tenu des facteurs tels que la diminution de la durée d'hospitalisation, l'augmentation démographique de l'âge moyen de la population et des progrès considérables de la médecine, paramètres universellement liés à un accroissement du risque infectieux nosocomial, la prévention des infections doit suivre la dynamique de changement des pratiques soignantes et apprendre à anticiper ce risque ; la surveillance des infections est, dans ce sens, à la fois un outil primordial, et le premier pas de la prévention.
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