L'immunothérapie adoptive con-siste à administrer à un patient une source, le plus souvent auto-logue, de lymphocytes T reconnaissant un antigène (viral ou tumoral) exprimé par des cellulesà éliminer. D'usage encore limité en clinique, ce traitement offre des perspectives nouvelles, surtout en cancérologie, à la suite de la caractérisation moléculaire d'antigènes tumoraux et de la production de réactifs spécifiques permettant d'identifier et d'isoler les lymphocytes T qui reconnaissent ces antigènes. De plus, la possibilité de doter les lymphocytes T, avant leur transfert in vivo, de gènes spécifiques favorisant leur persistance et leur efficacité thérapeutique, est un atout supplémentaire qui explique l'intérêt que suscite actuellement ce domaine de recherche clinique.
Les traitements spécifiques à base immunologique sont encore très limités. Par analogie avec les stratégies immunologiques à but préventif, on distingue l'immunothérapie active, passive ou adoptive. L'immunothérapie active consiste à stimuler ou à moduler une réponse immunitaire spécifique chez un individu ayant déjà été en contact avec l'antigène concerné. Si l'immunoprophylaxie obtenue par l'administration d'un vaccin a fait amplement ses preuves dans plusieurs maladies infectieuses, il n'existe pas actuellement de vaccins thérapeutiques d'utilisation courante, à l'exception des traitements de «désensibilisation» spécifique pratiqués dans certaines formes d'allergies. L'immunothérapie passive, qui consiste à administrer une source d'anticorps spécifiques, est avant tout utilisée comme traitement substitutif en cas de déficits en immunoglobulines. De même que pour les vaccins thérapeutiques, c'est en cancérologie que sont réalisées actuellement des tentatives d'immunothérapie passive à l'aide d'anticorps monoclonaux dirigés contre des constituants membranaires de certaines cellules tumorales. L'immunothérapie adoptive consiste à administrer une source de lymphocytes T spécifiques d'un antigène donné, le plus souvent après expansion de ces cellules in vitro. Etant donné le rôle essentiel joué par les molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (ou HLA chez l'homme) dans la reconnaissance antigénique par les lymphocytes T, un tel transfert doit être autologue, c'est-à-dire la même personne est à la fois donneur et receveur d'une source de lymphocytes T spécifiques. Font exception à cette règle les cas de receveurs de transplantations allogéniques de cellules souches hématopoïétiques chez lesquels le transfert additionnel de lymphocytes T dirigés contre des antigènes du cytomégalovirus (CMV) ou du virus Epstein-Barr (VEB) et provenant du donneur de moelle osseuse peut les protéger contre les infections ou les lymphomes causés par ces virus dans un organisme immunodéprimé.1
Le but d'une immunothérapie adoptive est de compléter le pool de lymphocytes T d'un individu avec une source externe de lymphocytes T d'une spécificité donnée et capables d'exercer une activité protectrice (par exemple, anti-virale dans les cas mentionnés ci-dessus, ou anti-tumorale chez un patient cancéreux). Rappelons qu'un lymphocyte T est monospécifique, c'est-à-dire reconnaît un seul antigène sous la forme d'un peptide particulier associé à une molécule HLA donnée. La fréquence des lymphocytes T d'une spécificité donnée au sein d'une population de lymphocytes T est inférieure à 1 sur 100 000 chez un individu non immunisé. Cette fréquence peut augmenter jusqu'à 1000 fois lors de la réponse immunitaire déclenchée par une infection virale aiguë. A cet égard, il faut signaler que la mise au point de réactifs solubles fluorescents mimant les complexes HLA-peptides antigéniques reconnus par les lymphocytes T à la surface d'autres cellules permet depuis peu de quantifier le nombre de lymphocytes T d'une spécificité donnée qui sont présents dans le sang ou dans toute suspension cellulaire.2 Selon les données connues à ce jour, on peut estimer qu'une fréquence de un lymphocyte T spécifique pour 5000-10 000 lymphocytes T totaux correspond au but à atteindre lors d'une immunothérapie adoptive, ce qui sous-entend le transfert d'au moins 108 lymphocytes T spécifiques chez un individu si l'on tient compte du nombre total de ses lymphocytes T. On comprend dès lors la nécessité de réaliser in vitro une sélection suivie d'une amplification des lymphocytes T ayant la spécificité voulue à partir de la source initiale de lymphocytes T. Grâce à l'utilisation de cytokines favorisant la croissance des lymphocytes T, comme l'IL-2, on peut obtenir une multiplication considérable de lymphocytes T activés in vitro, permettant, dans des conditions de culture adéquates, l'obtention de populations monoclonales, donc monospécifiques, de lymphocytes T.3 Cette stratégie, utilisée avec succès pour l'immunothérapie adoptive de certains receveurs de transplantation allogénique de moelle osseuse développant une complication causée par CMV ou VEB, est très laborieuse et, de ce fait, pratiquée seulement dans quelques centres spécialisés.
Un autre obstacle à surmonter a trait au devenir des lymphocytes T transférés. Il est évident que, pour être efficaces, ces lymphocytes T doivent, d'une part, persister suffisamment longtemps chez le receveur et, d'autre part, être à même de parvenir à l'endroit où se trouvent les cellules (infectées ou tumorales) à éliminer. Des études cliniques suggèrent qu'une fraction des lymphocytes T transférés peut persister pendant plusieurs semaines et atteindre le(s) site(s) antigénique(s) concerné(s), mais ces données sont encore très fragmentaires et peuvent être influencées par le type de receveur.4,5 A cet égard, des travaux chez l'animal indiquent que la régulation du nombre total et du taux de renouvellement des lymphocytes T est très complexe.6 Par exemple, au sein des lymphocytes T, les sous-populations CD4 et CD8, même si elles coexistent partout dans l'organisme, occupent chacune un volume de distribution indépendant. Chez une souris ne possédant pas de lymphocytes T CD8 à la suite d'une manipulation génétique, le nombre de lymphocytes T CD4 n'est pas plus élevé que celui d'une souris normale, et vice-versa. Cette notion se complique encore par le fait que, pour chaque sous-population, le volume de distribution des cellules dites naïves, c'est-à-dire n'ayant pas encore été activées par une source d'antigène, et les cellules dites «mémoires» semblent posséder également des volumes de distribution indépendants. De même, on commence peu à peu à identifier les mécanismes impliqués dans l'écotaxie des lymphocytes T, c'est-à-dire leur propension à migrer vers des territoires tissulaires particuliers. En particulier, le rôle essentiel joué par les chémokines et leurs récepteurs se précise progressivement grâce aux études réalisées chez des souris dépourvues de l'une ou l'autre structure.7Une meilleure compréhension de ces phénomènes chez l'homme devrait permettre d'améliorer l'efficacité des stratégies d'immunothérapie adoptive proposées à l'heure actuelle.
Les progrès récents réalisés en immunologie appliquée au cancer permettent d'envisager l'utilisation d'une immunothérapie adoptive chez certains patients cancéreux dans un proche avenir. D'ailleurs, des tentatives dans ce sens ont déjà eu lieu chez des patients atteints de mélanome métastatique ou d'autres types de cancer. La source autologue de lymphocytes T utilisée dans ces cas d'immunothérapie adoptive a été une suspension cellulaire obtenue à partir de lymphocytes infiltrant une métastase et cultivés in vitro en présence d'IL-2 (souvent désignés par le terme TIL, ou tumor-infiltrating lymphocytes).8 Malgré quelques réponses cliniques indéniables, cette approche n'a pas été poursuivie, étant donné l'absence de données précises sur la spécificité des lymphocytes T transférés. Entre temps, la caractérisation moléculaire d'antigènes tumoraux reconnus spécifiquement par les lymphocytes T CD8 provenant de patients cancéreux9 a stimulé la mise sur pied de diverses stratégies d'immunothérapie active qui sont en cours d'évaluation clinique.10 Simultanément, le développement de réactifs solubles permettant d'identifier par cytométrie de flux les lymphocytes T d'une spécificité donnée permet d'envisager une immunothérapie adoptive très ciblée chez certains patients cancéreux. Parmi les stratégies à l'étude, nous avons exploré la possibilité d'isoler dans un premier temps les lymphocytes T dirigés contre un antigène de mélanome à l'aide des réactifs mentionnés ci-dessus, puis de les faire proliférer in vitro sous l'action d'un mitogène et de cytokines.11Les résultats obtenus indiquent qu'une telle stratégie est réalisable expérimentalement sans difficulté majeure. Toutefois, une application clinique nécessite des conditions de culture conformes aux réglementations en vigueur pour la préparation de produits à usage clinique. A cet effet, nous sommes en train de tester des systèmes automatisés de culture cellulaire en circuit fermé.
Les progrès réalisés dans la technologie permettant d'introduire de façon stable de nouveaux gènes dans des cellules permettent d'envisager de doter les lymphocytes T utilisés en immunothérapie adoptive de propriétés favorisant leur efficacité chez le receveur.12 Par exemple, des études en cours visent à faire produire des récepteurs membranaires chimériques capables de transmettre des signaux de prolifération après liaison de certaines cytoki-nes.13 De cette façon, les lymphocytes T transférés pourraient sélectivement être maintenus en prolifération de par l'administration de la cytokine correspondante. Comme le potentiel de prolifération des lymphocytes T, comme celui des autres cellules de l'organisme, est limité par l'activité de la télomérase,14 un complexe enzymatique impliqué dans la conservation de la longueur des télomères chromosomiques lors de la division cellulaire, une autre possibilité consiste à doter les lymphocytes T avant leur transfert d'un gène supplémentaire codant pour cette enzyme. Dans la mesure où n'importe quel lymphocyte T pourra être «manipulé génétiquement» in vitro, il est même possible d'envisager d'utiliser en immunothérapie adoptive une source de lymphocytes T sans spécificité naturelle pour l'antigène concerné mais dotés secondairement de récepteurs membranaires spécifiques de cet antigène à la suite de l'introduction des gènes adéquats. Si ces quelques exemples illustrent les perspectives attrayantes que présente le domaine de l'immunothérapie adoptive,15ils montrent aussi que le chemin à parcourir est encore long.
L'immunothérapie adoptive n'est pas d'usage courant en clinique. Au vu des développements récents dans le domaine de l'identification des lymphocytes T reconnaissant un antigène donné, de nouvelles stratégies sont à l'étude, en particulier en cancérologie, à la suite de la caractérisation moléculaire des antigènes pouvant servir de cibles in vivo. La possibilité de doter les lymphocytes T, avant leur transfert, de gènes supplémentaires favorisant leur persistance et leur efficacité thérapeutique in vivo ouvre des perspectives nouvelles, dont la réalisation va dépendre à la fois des résultats de travaux de recherche fondamentale et d'études cliniques ciblés sur ce sujet.