La transfusion de globules rouges et de plaquettes sanguines est une thérapie cellulaire établiedepuis longtemps. Elle a permis le développement de nombreuses techniques chirurgicales et de la chimiothérapie des maladies malignes. Bien que les risquesactuels de la transfusion ne soientpas nuls, les produits sanguins labiles préparés sont plus sûrs qu'ils ne l'ont jamais été. Par ailleurs, de multiples approches d'épargne transfusionnelle se sont développées au cours de la dernière décennie, mais aucun substitut du sang capable de transporter l'oxygène ou de remplacer les plaquettes n'a été introduit jusqu'à maintenant dans la pratique clinique courante. Les concentrés érythrocytaires et plaquettaires répondent à des normes précises et sont systématiquement déleucocytés depuis 1999 en Suisse. L'administration de ces produits doit se faire en fonction d'une évaluation individuelle des patients, en tenant compte des répercussions ou des risques liés à l'anémie ou à la thrombocytopénie.
La thérapie par les composants du sang, en particulier les globules rouges et les plaquettes, remonte au milieu des années 1960. C'est l'introduction de poches multiples en plastic, qui a permis la centrifugation de l'unité de sang complet prélevée chez un donneur et sa séparation en globules rouges, plaquettes et plasma en circuit fermé.1 Dans les années 1970, le développement de séparateurs de cellules automatisés par centrifugation a ouvert la voie aux prélèvements sélectifs et massifs de cellules sanguines (hémaphérèses), telles que les plaquettes et les globules blancs (thrombocytaphérèse et leucocytaphérèse).2
L'introduction de l'hémothérapie par les composants a été un progrès majeur de la transfusion sanguine aux plans de la sécurité et de l'efficacité. La séparation des différents éléments du sang au moment du prélèvement ou peu après a permis la conservation de chacun de ceux-ci dans des con-ditions optimales, ainsi que le remplacement spécifique du (des) composant(s) manquant au patient. Comme corollaire, elle a évité l'administration des composants dont il n'a pas besoin. Par ailleurs, elle a eu une influence positive sur le ravitaillement des hôpitaux, en favorisant une meilleure utilisation des ressources disponibles auprès des donneurs de sang bénévoles.
C'est grâce aux concentrés de globules rouges et de plaquettes surtout, qu'ont pu se développer les techniques chirurgicales, en particulier la chirurgie cardiaque, au cours des décennies 1970-1980 et la chimiothérapie des maladies malignes, en particulier de la leucémie aiguë, au cours des décennies 1980-1990.
Les techniques actuelles d'hémaphérèse cellulaire (cytaphérèse) permettent de prélever des fractions hautement enrichies de différents types de globules blancs, chez des donneurs sains ou des patients, pour la transfusion et la transplantation ou pour des manipulations ultérieures ex vivo et un stockage. Les transfusions de granulocytes sont utilisées, dans certains centres, comme appoint aux traitements des infections par les antibiotiques et comme prévention des infections progressives chez les patients neutropéniques. Les résultats de ces transfusions restent controversés dans la littérature.3 En revanche, les séparateurs de cellules sont utilisés de plus en plus pour de nouvelles formes de thérapie cellulaire. Des techniques de laboratoire permettent de séparer les lymphocytes, de purger les cellules tumorales et de sélectionner les progéniteurs hématopoïétiques dans les produits prélevés par hémaphérèse. Ainsi, des progéniteurs périphériques peuvent être administrés pour reconstituer la moelle de patients ayant reçu une chimiothérapie ablative et des concentrés de lymphocytes infusés, dans le but d'une immunothérapie de tumeurs solides, de leucémies ou de complications virales des transplantations de moelle osseuse.
Cet article traite de la transfusion des produits sanguins cellulaires utilisés le plus couramment depuis plusieurs décennies, à savoir les concentrés érythrocytaires et plaquettaires.
Depuis ses origines, la transfusion sanguine a été confrontée à de nombreux aléas. Dans les années 1980, l'émergence du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) a contribué à rappeler les risques potentiels de cette thérapie. Une perception nouvelle de ceux-ci s'est développée. Bien qu'on sache que la transfusion de produits sanguins homologues (allogéniques) n'est pas (et ne sera jamais) exempte de danger, tout risque pratiquement évitable est devenu inacceptable. La question de l'acceptabilité des risques se pose aujourd'hui avec acuité, particulièrement face aux menaces, telles que celle représentée par les prions (maladie de Creutzfeldt-Jakob, encéphalopathie spongiforme bovine) perçue récem-ment. La transfusion doit faire face à un enjeu majeur, qui est celui de la garantie d'une sécurité maximale, face à des risques résiduels et à des risques émergents ou potentiels. Elle est également confrontée au principe de précaution, qui est devenu une obligation légale.
En Suisse, les produits sanguins labiles (con-centrés érythrocytaire et plaquettaire, plasma frais congelé) proviennent de donneurs de sang bénévoles, dont l'aptitude au don est évaluée selon des critères stricts. Par ailleurs, l'arrêté fédéral sur le contrôle du sang, des produits sanguins et des transplants et son ordonnance d'application imposent de pratiquer sur chaque don une série d'analyses, en utilisant les tests admis par l'Office fédéral de la santé publique, afin de réduire les risques de transmission des maladies suivantes : hépatite B, hépatite C, syndrome d'immunodéficience acquise (Sida) et syphilis. Hors obligations légales, certains centres effectuent chez leurs donneurs une recherche d'anticorps dirigés contre le cytomégalovirus. En outre, les groupes sanguins ABO et Rhésus D des donneurs sont contrôlés lors de chaque don et une recherche d'anticorps érythrocytaires irréguliers est effectuée chez les nouveaux donneurs (ses), ainsi que chez les donneurs (ses) ayant été transfusé(e)s et les donneuses ayant eu une grossesse. Les produits non conformes aux prescriptions sont rejetés. Enfin, l'utilisation de codes à barres et de l'informatique dans la gestion de la chaîne de production permet d'assurer : l'identification, le lien avec les donneurs et le traçage des produits préparés, facilitant ainsi les recherches de type «look back».
En 1999, les autorités fédérales ont imposé deux mesures supplémentaires de sécurité aux producteurs de produits sanguins allogéniques destinés à la transfusion. La première est le dépistage chez les donneurs de l'ARN du virus de l'hépatite C (VHC), qui s'est ajouté au dépistage des anti-VHC, permettant de réduire la fenêtre diag-nostique à 2-3 semaines après la contamination et le risque d'infection par transfusion de plus de 70%. La seconde est la déleucocytation systématique de tous les produits sanguins allogéniques, afin de réduire le risque hypothétique de transmission de prions par transfusion. Cette dernière mesure était justifiée également dans le cadre de la prévention chez les receveurs de l'alloimmunisation HLA, des réactions fébriles non hémolytiques et de l'immunomodulation,4 associées à la présence de globules blancs dans les produits.
Le risque de contracter, par transfusion d'un concentré de globules rouges ou de plaquettes, une infection due à un microorganisme reconnu est aujourd'hui très faible.5 Dans le cadre du Service de transfusion sanguine de la Croix-Rouge suisse (STS CRS), la probabilité qu'un don se trouve dans la fenêtre diagnostique des tests de dépistage des anticorps dirigés contre les différents virus a été évaluée en 1997. Elle se situait à une valeur de 1/705 000 dons pour le VIH, de 1/310 000 dons pour le virus de l'hépatite B (VHB) et de 1/52 000 dons pour le VHC.6 Depuis 1999, date de l'introduction du dépistage systématique de l'ARN viral sur les dons de sang, la probabilité de transmission du VHC a certainement été sensiblement réduite. De fait, les produits sanguins labiles préparés actuellement sont plus sûrs qu'ils ne l'ont jamais été.
Au cours de la dernière décennie, de multiples approches d'épargne transfusionnelle se sont développées, afin d'éviter d'exposer les patients aux risques résiduels des produits sanguins allogéniques. Elles vont de la transfusion de sang autologue, prélevé en période pré-opératoire ou récupéré en période per- ou postopératoire, à l'injection d'érythropoïétine.7 Les recherches se sont également intensifiées pour tenter de mettre au point des substituts du sang capables de transporter l'oxygène, tels que des solutions d'hémoglobine et des émulsions de perfluorocarbone,8 mais sans qu'aucune de celles-ci n'ait été introduite jusqu'à maintenant dans la pratique clinique courante.
Lors de l'acte transfusionnel, des contrôles des groupes sanguins du receveur et de la compatibilité entre le produit provenant du donneur et le receveur doivent être effectués, en accord avec les règles établies dans chaque établissement. Il faut rappeler que, malheureusement, la majorité des accidents hémolytiques transfusionnels résulte d'erreurs administratives concernant l'identification des échantillons de sang, des poches ou des patients.9Des procédures strictes doivent être établies et suivies pour minimiser ce type d'erreurs.
Aujourd'hui, le clinicien désirant augmenter la capacité de transport d'oxygène d'un patient va utiliser, de préférence, un concentré érythrocytaire. Plusieurs «conditionnements» de ce produit sont possibles. La préparation fournie actuellement par le STS CRS est le «concentré érythrocytaire en solution additive déplété en leucocytes». Selon les «prescriptions du STS CRS», il est préparé soit à partir d'une unité de sang complet prélevé sur citrate phosphate dextrose (CPD) et déleucocyté par filtration, soit à partir de sang complet CPD non déleucocyté, le concentré étant filtré secondairement. La filtration est effectuée au plus tard 48 heures après le prélèvement du sang. Le nombre résiduel de globules blancs est 6/concentré. Cette procédure élimine également plus de 95% des plaquettes contenues dans le sang complet. Les globules rouges sont suspendus dans une poche satellite contenant 100 ml d'une solution additive, cons-tituée de NaCl, de glucose, d'adénine et de mannitol, ce qui permet de réduire de plus de 90% la quantité de plasma par rapport à l'unité de sang complet. Le produit final a, en moyenne, un volume de 260 ml, un contenu en hémoglobine de 50 g et une valeur hématocrite de 0,60, ce qui lui donne une fluidité comparable à celle du sang complet. Sa durée de conservation est de 42 jours à 4°C, en l'absence de rupture de la chaîne de froid.
Sans hémorragie ni destruction augmentée ni séquestration des globules rouges chez le patient, la transfusion d'une unité de concentré érythrocytaire permet d'augmenter la concentration d'hémoglobine d'environ 10 g/l. Les problèmes de l'indication à la transfusion de globules rouges, en particulier en phase péri-opératoire, ainsi que de la quantité d'hémoglobine à administrer en présence d'une anémie aiguë ou chronique ont été abondamment débattus depuis une dizaine d'années, au cours desquelles la perception des risques transfusionnels a contribué à revoir les pratiques. Même si la règle classique des valeurs d'hémoglobine de 100 g/l, respectivement d'hématocrite de 0,30, semble pouvoir être mise en cause, la décision doit être prise sur la base de la physiopathologie et de la réponse clinique des patients à l'anémie.9,10Cependant, la multiplicité des paramètres à considérer peut rendre la décision de transfuser complexe (tableau 1). En définitive, rien ne semble pouvoir remplacer le jugement clinique d'un médecin expérimenté, pour évaluer toutes les données disponibles et décider de transfuser.
Les plaquettes peuvent être administrées sous forme de concentré de plaquettes, provenant d'une ou de plusieurs unités de sang complet, ou de plaquettes prélevées par aphérèse.
Le concentré de plaquettes de sang complet est préparé actuellement le plus souvent à partir de la couche leuco-plaquettaire (buffy coat), obtenue par centrifugation de sang complet CPD frais. Après un temps de repos, le buffy coat est centrifugé à son tour pour séparer les plaquettes, qui sont extraites dans une poche satellite et suspendues dans le plasma du même donneur ou dans une solution additive. Le produit final, provenant d'un ou de plusieurs buffy coats (pool), est ensuite filtré pour être déleucocyté. La préparation habituellement fournie par le STS CRS est le «concentré plaquettaire poolé de buffy coat de sang complet, déplété en leucocytes». Selon les «prescriptions du STS CRS», il est préparé à partir de buffy coat de 4 à 5 unités de sang complet, provenant donc de quatre à cinq donneurs ; il a un volume de 220-440 ml et il contient un nombre de plaquettes > 2 x 1011 et de globules blancs 6/concentré.
Il est habituel de prélever chez un seul donneur, par aphérèse, quatre à huit fois la quantité de plaquettes contenue dans le buffy coat d'une unité de sang complet. Les plaquettes sont suspendues dans le plasma du donneur. Le produit est déleucocyté par le procédé d'aphérèse ou par une filtration ultérieure au prélèvement. La préparation habituellement fournie par le STS CRS est le «concentré plaquettaire de thrombocytaphérèse déplété en leucocytes». Selon les «prescriptions du STS CRS», il a un volume variable de 100-600 ml et il contient un nombre de plaquettes > 2 x 1011 (en général entre 2, 5 et 4 x 1011) et de globules blancs 6/concentré. Sa durée de conservation est de cinq jours à une température de 22°C.
Grâce à la diminution du nombre de donneurs auxquels est exposé le receveur, l'avantage principal des plaquettes d'aphérèse se situe au niveau de la diminution des risques d'alloimmunisation et de transmission de maladies infectieuses. Par ailleurs, en cas d'état réfractaire aux transfusions de plaquettes comme conséquence d'une alloimmunisation dans les systèmes HLA ou HPA, le prélèvement d'un nombre suffisant de plaquettes chez un donneur compatible impose pratiquement le recours aux plaquettes d'aphérèse.11
De façon surprenante, la majorité des transfusions de plaquettes est administrée dans un but prophylactique. Il a été montré qu'un patient avec une numération plaquettaire > 50 x 109/l supporte généralement une intervention chirurgicale sans perte excessive de sang. Pendant la phase opératoire, on admet qu'il faut maintenir cette valeur pendant trois jours en cas de chirurgie majeure et une valeur > 30 x 109/l en cas de chirurgie mineure.12 Chez les patients sous chimiothérapie, la limite traditionnelle de 20 x 109/l est controversée.13 Beaucoup de patients thrombocytopéniques stables peuvent tolérer une numération plaquettaire 9/l sans hémorragie.14Mais tous les patients ne présentent pas le même risque hémorragique et, une fois de plus, une approche transfusionnelle individualisée est recommandée. Elle doit se fonder sur le contexte clinique et sur l'efficacité transfusionnelle, fondée sur des numérations plaquettaires chez le patient et sur le calcul de l'«augmentation de la numération plaquettaire corrigée» une heure après les transfusions (tableau 2).
Grâce aux multiples mesures prises par les services de transfusion sanguine, la transfusion de globules rouges et de plaquettes n'a jamais été aussi sûre qu'actuellement. Malgré ce fait, les indications à administrer ces produits doivent être posées avec discernement et individualisées pour chaque patient, sur la base de son contexte clinique et biologique particulier.