La gravité du paludisme chez l'enfant nécessite une bonne connaissance de ses particularités cliniques, afin d'instaurer un traitement approprié aussi précocement que possible. Chez l'enfant, les vomissements et la diarrhée sont souvent présents. La maladie peut évoluer très rapidement vers une forme sévère, d'où la nécessité d'hospitaliser précocement l'enfant atteint de paludisme.La prévention repose comme pour l'adulte, sur les mesures de lutte anti-vectorielles et la chimioprophylaxie.
Dans ces régions, c'est avant tout une maladie de l'enfant, responsable d'un à deux millions de morts par an.1
Les habitants de pays exempts de paludisme sont de plus en plus nombreux à se rendre sous les tropiques, et un certain nombre d'entre eux contractent le paludisme à cette occasion.
Si le pourcentage d'enfants parmi les cas de paludisme d'importation n'est pas très élevé, la gravité particulière du paludisme infantile justifie que l'on s'intéresse à ses spécificités.
Ce qui caractérise la symptomatologie du paludisme chez l'enfant c'est qu'elle peut être trompeuse.2 Dans l'accès simple, diarrhées et vomissements occupent souvent le devant de la scène ; ils peuvent s'accompagner de douleurs épigastriques, de céphalées, de myalgies.1
La splénomégalie est par contre inconstante, mais la fièvre ne manque pas et elle est toujours élevée ; aussi le diagnostic de paludisme doit-il être évoqué devant toute gastro-entérite fébrile chez un enfant qui rentre d'une zone tropicale.
Encore plus que chez l'adulte, l'évolution vers la forme grave peut être rapide et c'est ce qui justifie l'hospitalisation.
Seul P. falciparum est responsable de la forme grave, aussi désignée par les termes d'«accès pernicieux», de «neuropaludisme» ou de «paludisme cérébral».3 La mortalité est proche de 15%, même dans les centres hospitaliers les mieux équipés.
La forme grave touche essentiellement les sujets non immuns, et en zone d'endémie les enfants entre 4 mois et 5 ans sont les principales victimes.4
Dans nos pays, où la population dans son ensemble est dépourvue d'immunité, enfants et adultes redeviennent égaux devant le risque de développer un accès pernicieux.
L'OMS utilise dix critères pour définir le paludisme grave : coma, anémie profonde (hémoglobine 2
Chez l'enfant la symptomatologie est dominée par les convulsions, présentes dans plus de 80% des cas.5
Elles se distinguent des convulsions habituelles par leur âge de survenue plus tardif, et aussi par le fait qu'elles peuvent se produire en dehors des poussées fébriles. Elles sont souvent récidivantes, voire subintrantes.
Les convulsions au cours d'un accès de paludisme chez un enfant constituent une urgence thérapeutique car elles témoignent d'un début d'encéphalopathie, qui peut évoluer vers la mort dans les 24 heures, ou laisser des séquelles permanentes.
Aussi toute convulsion fébrile survenant chez un enfant au retour d'une zone d'endémie doit-elle faire aussitôt évoquer une forme grave de paludisme et opérer son transfert en réanimation.
Mais le diagnostic de forme grave doit en fait être évoqué devant tout signe neurologique même mineur, que ce soit une difficulté à marcher, une diplopie ou une simple obnubilation. Les vomissements, qui sont fréquents chez l'enfant comme on l'a vu dans l'accès simple, doivent donner l'alerte également s'ils surviennent après le début du traitement.
Une hypoglycémie est aussi souvent observée d'entrée de jeu dans l'accès pernicieux de l'enfant.6 On sait que chez l'adulte le traitement par la quinine induit un hyperinsulinisme responsable de l'hypoglycémie, mais chez l'enfant celle-ci préexiste à tout traitement.
D'autres signes de gravité peuvent se voir :
I l'anémie, avec un taux d'hémoglobine qui peut être inférieur à 5g/l et traduit une hémolyse massive ;
I une parasitémie élevée, mais chez l'enfant ce signe est inconstant ;
I une oligurie ou une anurie : de mauvais pronostic ;
I une détresse respiratoire.
On peut citer pour mémoire deux autres formes cliniques de paludisme qui ne s'observent pas en principe chez l'enfant européen :
I le paludisme viscéral évolutif, qui touche surtout les enfants de 2 à 5 ans vivant en zone d'endémie ; il se traduit par une splénomégalie importante, une anémie, des dèmes des membres inférieurs et un retard staturo-pondéral ;
I le paludisme congénital, qui est exceptionnel même en zone d'endémie ; par contre l'infestation chronique de la mère pendant la grossesse entraîne un dépôt de pigments malariques sur le placenta, responsables de souffrance ftale et de retard de croissance in utero.
Le diagnostic biologique repose comme chez l'adulte sur l'examen au microscope d'un frottis sanguin, mettant en évidence la présence dans les hématies de trophozoïtes, qui sont les formes asexuées du parasite.1 Ce qui est plus propre à l'enfant, c'est la relative fréquence d'une faible parasitémie même dans l'accès grave, rendant le diagnostic plus difficile.
C'est pourquoi un traitement présomptif doit être instauré devant toute fièvre inexpliquée survenant chez un enfant au retour d'une zone d'endémicité.
Quant au portage asymptomatique, s'il est fréquent en zone d'endémie où l'immunité est forte, cela ne se voit pas dans nos pays ; tout enfant ayant un frottis positif doit donc être traité.
Selon les chiffres fournis par le Centre national de référence pour les maladies d'importation, le risque de contracter un paludisme à P. falciparum pour un voyageur résidant en France qui se rend en Afrique sub-saharienne sans prophylaxie, se situe entre 1 et 2% par mois d'exposition.7
La prévention du paludisme est donc un point essentiel à aborder au cours de la consultation de conseils aux voyageurs ; elle repose sur deux bases : la protection contre les piqûres de moustiques et la prophylaxie.
Pour l'enfant comme pour l'adulte la protection contre les piqûres de moustiques reste la première ligne de défense contre le paludisme,8,9 et les mesures préventives sont les mêmes. Sachant que la femelle de l'anophèle, qui transmet le paludisme, est active du crépuscule à l'aube, on veillera dans la mesure du possible à ce que l'enfant rentre à l'intérieur de la maison dès que la nuit tombe, et à ce que sa chambre soit climatisée. Une moustiquaire imprégnée d'un insecticide tel que la deltaméthrine sera installée au-dessus de son lit. Un répulsif cutané sera appliqué sur les parties découvertes (en évitant le contact avec les yeux et les muqueuses).8
Les produits recommandés actuellement chez l'enfant sont : le diéthyltoluamide (DEET) à une concentration qui ne doit pas dépasser 20% avant l'âge de 10 ans, et l'éthylhexanediol (EHD) à 30%. Leur innocuité n'a pas été établie en dessous de 2 ans.
La durée d'efficacité n'excédant pas deux ou trois heures, les applications devront être renouvelées au cours de la soirée. Par contre, ce sont des substances toxiques qu'il convient d'éliminer par une toilette avant le coucher afin de réduire la pénétration percutanée. On veillera également à ce que l'enfant ne les ingère pas ; pour cette raison, on évitera d'en mettre sur les mains, qu'il a tendance à porter à sa bouche.
Le choix et les modalités de la chimioprophylaxie sont fonction de l'exposition au risque d'acquérir le paludisme, de l'existence d'une résistance à la chloroquine dans la région visitée, et de la tolérance au médicament ; chez l'enfant la posologie doit en outre être adaptée à son poids.
Des variantes existent d'un pays à l'autre. En Suisse, les recommandations concernant la prévention médicamenteuse sont élaborées et régulièrement mises à jour par le Groupe suisse de travail pour les conseils médicaux aux voyageurs.10
Le schéma est indiqué dans le tableau 1.
Un voyageur adulte qui part pour plus d'une semaine en zone d'endémie palustre peut être amené à se traiter lui-même en cas d'accès fébrile, si les conditions ne lui permettent pas de recourir rapidement à un avis médical.7,11 Dans certains cas, on s'abstient même de chimioprophylaxie, ne gardant que les mesures antivectorielles et le traitement de réserve.
La prescription d'un auto-traitement de réserve à un voyageur doit toujours s'accompagner d'explications aussi détaillées que possible sur ses indications et ses modalités.12 Toutefois, le risque persiste que ces explications n'aient pas été bien comprises.
La version pédiatrique de l'auto-traitement, c'est-à-dire la prise en charge par les parents en situation isolée du traitement de leur enfant, est encore plus délicate en raison des pièges diagnostiques évoqués plus haut, et de la possibilité d'évolution rapide vers une forme grave. Il faut donc, dans la mesure du possible, éviter d'avoir à y recourir, et discuter d'une éventuelle chimioprophylaxie selon le type de voyage et le risque d'exposition.
Même dans le cas d'un accès non compliqué, compte tenu de la rapidité de l'évolution possible vers une forme grave, il est préférable que l'enfant soit hospitalisé.
Pour l'accès simple, le protocole en vigueur en Suisse est le suivant :10
I zones sans chloroquino-résistance : chloroqui-ne (Nivaquine ®) 25 mg/kg répartis sur trois jours ;
I zones de chloroquino-résistance : méfloquine (Lariam ®) 25 mg/kg (soit 1/4 cp/2,5 kg) en deux à trois prises.
Les associations atovaquone-proguanil (Malarone ®) ou artéméther-luméfantrine (Riamet ®) sont une alternative en cas d'intolérance connue ou de contre-indication à la méfloquine ou en cas de paludisme acquis dans une zone de multi-résistance (cf. article de ce numéro sur les nouveaux médicaments antipaludéens).
Pour l'accès pernicieux la quinine est utilisée en perfusion intraveineuse :3,12 on administre d'abord une dose de charge de 16,7 mg/kg de quinine base en quatre heures sous surveillance étroite en service de soins intensifs en raison du risque de collapsus, puis 8,3 mg/kg de quinine base en quatre heures toutes les huit heures, ou en continu (à la seringue électrique). Dès que le malade est conscient et ne vomit plus, le relais peut être pris par la voie orale de quinine en complétant une semaine de traitement ou par un autre antimalarique oral (méfloquine, co-artéméther, ou atovaquone-proguanil).
Les traitements adjuvants visent à corriger les troubles qui accompagnent l'accès pernicieux :
I perfusion de glucosé, sans dépasser 120 ml/kg en raison des risques de surcharge ;
I culots globulaires ;
I éventuellement : anticonvulsivants (phénobarbital).
Les antibiotiques, utilisés en complément de la quinine sur les souches plasmodiales de sensibilité réduite, sont en fait rarement prescrits chez l'enfant : les cyclines sont contre-indiquées, nous l'avons vu, avant l'âge de 8 ans et les quinolones sont contre-indiquées pendant toute la période de croissance en raison de leur toxicité articulaire.
On peut au besoin, recourir aux macrolides tels que la clindamycine ou l'érythromycine. L'intérêt de l'exsanguinotransfusion, est par contre discuté, quant aux corticoïdes, leur principal effet est de prolonger le coma et d'augmenter la fréquence des complications : ils sont donc à proscrire.
Les modalités de la prévention du paludisme chez l'enfant doivent être bien con-nues des médecins qui voient en consultation des familles avant un départ sous les tropiques, mais aussi bien comprises par les parents. Le message peut être difficile à faire passer, surtout s'il s'agit d'immigrés qui repartent dans leur pays d'origine, en raison des barrières linguistiques et culturelles. La prise régulière de comprimés ou de fractions de comprimés n'est pas aisée et la non-compliance à une chimioprophylaxie augmente de beaucoup le risque d'accès palustre, évoluant rapidement chez l'enfant vers une forme sévère. C'est pourquoi l'OMS déconseille «d'emmener des nourrissons et de jeunes enfants dans des zones impaludées, en particulier où il y a transmission de P. falci-parum chloroquino-résistant».13