Les patients atteints de diabète sucré avec une neuropathie périphérique sont à haut risque de développer des ulcères plantaires. La grande majorité des complications d'un pied diabétique commence par un ulcère. En présence d'une neuropathie périphérique, la diminution, voire la perte de la sensibilité à la douleur associée à des déformations du pied entraîne une mauvaise percep-tion des micro-traumatismes qui par les forces de répétition aboutissent à un ulcère plantaire. Cet article analyse brièvement les facteurs de risque d'ulcération plantaire et décrit une nouvelle approche thérapeutique basée sur le comportement et sur le conditionnement du patient pour diminuer la pression plantaire.
Malgré les progrès indéniables des connaissances diabétologiques ces dernières années, les ulcérations du pied chez le diabétique constituent toujours un problème majeur de santé publique : elles sont grevées d'une morbidité importante, d'un coût élevé pour la société, de handicaps fonctionnels souvent lourds et de répercussions psychologiques profondes chez les malades.1
Le diabète sucré continue à être la cause principale des amputations des membres inférieurs. Les amputations de jambes chez les diabétiques représentent 50 % de toutes les amputations non traumatiques.2 Le risque d'une amputation est environ 15-60 fois plus élevé chez une personne diabétique par rapport au reste de la population.3-5 De plus, la majorité des patients amputés (plus de 50%), souffriront d'une amputation à l'autre jambe dans les quatre ans suivant la première amputation.5,6
Plusieurs facteurs physiopathologiques jouent un rôle déterminant dans la survenue du mal perforant plantaire diabétique. Parmi ces facteurs, le plus important semble la neuropathie périphérique.
La neuropathie diabétique résulte de l'atteinte combinée des nerfs sensitivo-moteurs périphériques et des fibres du système nerveux autonome. La diminution ou la perte de la sensibilité protectrice à la douleur entraîne une mauvaise perception des micro-traumatismes locaux (perte de la sensation d'alarme) qui, par leur intensité mais surtout par leur répétition, aboutissent à la constitution d'une ulcération.
L'atteinte motrice de la neuropathie diabétique contribue au risque par l'atteinte des muscles intrinsèques, avec un déséquilibre des muscles extenseurs et fléchisseurs conduisant à des anomalies de la statique et de la dynamique du pied.7 Il s'agit de déformations caractéristiques, telles qu'un affaissement de la voûte plantaire, des orteils en marteau ou en griffe, et des pieds creux avec prédominance de la pression à la tête des métatarsiens.7 Ces déformations entraînent une répartition anormale des points de pression. Dans une étude prospective Veves et coll.8 ont suivi 86 patients pendant deux ans et demi. Les patients qui ont développé un ulcère plantaire présentaient des points de pression élevée lors du contrôle initial.
Une atteinte du système nerveux autonome est associée à la neuropathie somatique ; elle provoque une diminution de la sudation avec sécheresse de la peau et formation de fissures et callosités, ainsi que des anomalies de la perfusion avec formation de shunt artério-veineux qui conduisent à une augmentation de la température cutanée avec gonflement des veines du dos du pied et diminution du flux capillaire distal.9-11
Cependant, la présence de zones de haute pression locale sous la plante du pied semble être le facteur le plus important dans le développement du mal perforant plantaire chez un sujet avec une neuropathie périphérique. Chez les patients avec une neuropathie diabétique, les ulcères plantaires se développent en général dans les zones à forte pression d'appui (94% des ulcères plantaires).12La détection précoce de zones de pression anormales pourrait permettre de prévenir l'apparition d'ulcères plantaires.
La séquence des événements qui mènent à l'amputation commence par une ulcération de la peau. Stokes et coll.13 en 1975 ont effectué une étude rétrospective sur l'incidence des ulcères diabétiques. Ils ont montré que les ulcères apparaissent typiquement dans les régions avec une pression plantaire élevée et ont suggéré une étiologie mécanique de l'ulcération.
Selon Brand14,15 il y a trois possibilités principales pour endommager un pied diabétique insensible par les forces externes :
I une pression constante maintenue pendant plusieurs heures qui cause des nécroses ischémi-ques (par exemple : patients immobilisés, alités) ;
I une pression extrêmement élevée pendant une période courte (par exemple : marche sur un terrain tranchant) ;
I une pression modérée à répétition.
Cependant, une pression externe due par exemple aux chaussures mal adaptées ou des corps étrangers à l'intérieur des chaussures en présence d'une neuropathie est souvent le facteur déclenchant d'un ulcère. Selon Boulton, 57% des femmes (33% des hommes) diabétiques portent des chaussures trop courtes et 52% des femmes (16% des hommes) portent des chaussures trop étroites.16
L'expérience quotidienne démontre que la mise en décharge qui supprime ou diminue l'hyperpression sur les plaies chroniques est une des conditions essentielles de leur guérison.17 Cavanagh montre que le poids du patient (et donc la charge) est un mauvais critère prédictif d'hyperpression plantaire et il parle d'ulcères non traités plutôt que d'ulcères ne cicatrisant pas lorsqu'ils ne sont pas mis en décharge correctement.18
Plusieurs modalités pratiques de la mise en décharge sont actuellement à disposition : cannes, béquilles, semelles orthopédiques, orthèses plantaires, chaussures orthopédiques, plâtres de décharge, fauteuil roulant ou pour aller jusqu'au bout alitement. Toutes ces possibilités représentent une forme passive dont le patient lui-même n'est pas vraiment impliqué dans le processus de prévention et/ou traitement d'une manière active.
En réalité, la mise en décharge des plaies chroniques du pied diabétique est difficile à observer par les patients. La raison principale de ce défaut d'observance est l'absence de douleur «alarme» due à la présence d'une neuropathie diabétique.
Plusieurs groupes de recherche ont développé différents systèmes de mesure et d'acquisition de la pression plantaire. Les appareils actuellement disponibles n'ont pas d'enregistrement à long terme (jours, semaines). De plus, ces appareils ont uniquement une fonction diagnostique ne permettant pas d'inclure le malade concerné dans un processus actif de prévention. Nous avons développé un appareil pour mesurer les pressions plantaires dans les conditions ambulatoires les plus proches de la vie quotidienne.1 Cet appareil de mesure ambulatoire de la pression plantaire (Ambulatory foot pressure device AFPD) a deux fonctions principales :
1. mesure de la pression plantaire et de la durée d'appui ;
2. avertissement du malade par un signal sonore.
Le développement d'un dispositif d'alarme ouvre une voie pour une approche «comportementale» ; elle pourrait aider le malade avec neuropathie qui a perdu son propre système d'alarme de la douleur, de réaliser par un bip sonore une mauvaise position du pied. Le patient atteint d'une perte de la sensibilité protectrice à la douleur est équipé par un capteur de pression sur un endroit de son pied qui nécessite une certaine décharge mécanique. Ce capteur est relié à un petit appareil d'une taille d'un «Volkman» qui est porté par le malade (dans la poche ou attaché sur la ceinture). Quand le patient, pendant la marche, dépasse un certain seuil de pression propre à lui, l'appareil émet
un signal sonore qui ensuite l'avertit pour un changement d'appui afin de diminuer la pression plantaire à l'endroit à risque.
Il s'agit d'une démarche «comportementale» qui devrait agir sur l'apprentissage de la marche. Pendant un certain temps (quelques jours) ce signal acoustique devrait remplacer la douleur (et la proprioception) et le malade pourrait ensuite marcher de telle manière qu'il décharge l'endroit à risque. Notre appareil dispose d'une mémoire qui offre également une possibilité d'enregistrement de la pression plantaire dans des conditions ambulatoires. Grâce à cette option une détermination de la pression plantaire moyenne (et un seuil limite dangereux) peut être effectuée pour chaque malade.
Une autre application de cette option est dans le domaine de la recherche. Nous avons, par exemple, pu voir une différence de pression plantaire de 1,86 kg/cm2 par pas chez des personnes avec une hyperkératose en comparaison avec des sujets contrôles. En ce qui concerne le temps d'appui, il est prolongé de 116 ms, également en présence de l'hyperkératose.19 On peut se poser la question : est-ce que ces petites différences ont vraiment une importance dans la vie pratique. La réponse est clairement oui ; si l'on considère que l'on fait environ 10 000 pas par jour rien que pour des activités quotidiennes normales. Cette différence de 1,86 kg/cm2 et 116 ms est donc multipliée par 10 000 pas par jour et correspond à 7000 tonnes de plus pour 120 heures d'appui supplémentaire par an. Ceci n'est certainement pas négligeable, surtout s'il s'agit de personnes à haut risque, comme des diabétiques avec neuropathie périphérique.