La malnutrition protéino-calo-rique (MPC) favorise la survenue d'infections, retarde la cicatrisa-tion, prolonge la durée d'hospitalisation et augmente les coûts globaux. La prévalence de la MPC lors de l'admission à l'hôpital dans les pays industrialisés varie de 30 à 50% et peut atteindre des valeurs supérieures dans des services spécialisés (oncologie, gériatrie). L'évaluation de l'état nutritionnel est basée sur l'anamnèse et l'examen clinique, dont les résultats sont confirmés par des examens complémentaires. Cette démarche doit être précoce afin d'optimiser les chances de succès du support nutritionnel. Elle permet de relier l'évaluation nutritionnelle à la dynamique de la pathologie et de décider si le support nutritionnel doit être immédiat ou différé, maximal ou partiel.Cette revue décrit les principales méthodes connues et suggère les modalités et attitudes pour l'évaluation nutritionnelle en pratique clinique.
Introduction
La malnutrition protéino-calorique (MPC) favorise la survenue d'infections, retarde la cicatrisation, prolonge la durée d'hospitalisation et augmente les coûts globaux. La prévalence de la MPC lors de l'admission à l'hôpital dans les pays industrialisés varie de 30 à 50%1 et peut atteindre des valeurs supérieures dans des services spécialisés (oncologie, gériatrie). Elle survient lors de pathologies affectant les prises alimentaires, les besoins protéino-énergétiques et/ou l'absorption intestinale des nutriments ainsi que lors de certaines maladies chroniques (neuromusculaires, respiratoires, etc.).2-4 Dans le futur, le vieillissement de la population, l'augmentation de l'incidence des maladies chroniques et des procédures médico-chirurgicales de plus en plus invasives et prolongées, devraient aggraver l'incidence et l'intensité de la MPC.
Cette revue décrit les principales méthodes connues et suggère les modalités et attitudes pour l'évaluation nutritionnelle en pratique clinique.
L'évaluation de l'état nutritionnel initial, puis de son évolution durant la maladie et/ou le traitement, précise l'adéquation des apports par rapport aux besoins nutritionnels, les réserves de l'organisme, les fonctions métaboliques et immunologiques. Cette démarche doit tenir compte du potentiel vital du patient et du bénéfice présumé lié au support nutritionnel dans une optique de contrôle de qualité des soins.
L'évaluation globale de l'état nutritionnel conclut si le patient est bien nourri, modérément ou sévèrement dénutri, et si les causes de la malnutrition existante vont disparaître, s'atténuer ou s'amplifier. Elle permet de décider si le support nutritionnel doit être immédiat ou différé, maximal ou partiel (tableau 1).
Il n'existe pas de paramètre unique permettant de diagnostiquer l'existence et l'importance de la MPC. L'anamnèse et l'examen physique ont une importance critique dans l'évaluation nutritionnelle alors que les autres paramètres permettent essentiellement de confirmer l'appréciation clinique.
L'amplitude de la perte pondérale est corrélée à la morbidité et la mortalité lors de pathologies médicales ou chirurgicales. L'anamnèse nutritionnelle explore de nombreux facteurs (tableau 1), et tout particulièrement les variations du poids en fonction du temps. Ainsi, une perte pondérale de 2% du poids habituel en sept jours correspond à un amaigrissement de 5% en 30 jours ou de 10% en 180 jours.5 Le caractère involontaire d'une perte de poids doit impérativement être enregistré car il suggère l'existence d'un processus morbide conduisant à la MPC (tableau 2).
Le praticien relèvera également les facteurs susceptibles d'influencer la dépense énergétique tels que les pathologies associées (tableau 2), l'état psychique et intellectuel (humeur, difficultés de concentration et de mémorisation), la qualité du sommeil, le tonus vital (asthénie). Pour déterminer les causes d'un apport énergétique inadéquat, le praticien s'intéressera à la collaboration lors des prises alimentaires orales. Les traitements médicamenteux (antipyrétiques, hormone thyroïdienne, etc.) et chirurgicaux (niveau de stress) sont enregistrés car susceptibles de modifier le métabolisme, l'absorption et les pertes digestives d'aliments.
La MPC est associée à des signes cliniques corrélés à des carences spécifiques et des modifications des compartiments corporels (tableau 3).
La taille et le poids doivent être mesurés lors de l'évaluation initiale afin de permettre des comparaisons ultérieures. Le poids se quantifie de préférence le matin, à jeun, après miction alors que le patient est déchaussé et peu habillé. Des variations pondérales physiologiques de l'ordre de 1 à 1,5 kg sont normalement observées chez un adulte de 60 à 90 kg. Vu que le poids corporel est nettement influencé par l'eau corporelle (qui représente 60-70% de la masse corporelle), il est important de tenir compte des apports (par voies orale, entérale ou en perfusion), des pertes (transpiration, vomissements, diarrhées, fistules digestives, drains chirurgicaux, plaies exsudatives, diurèse spontanée ou sous diurétiques, filtration rénale extracorporelle) et des rétentions d'eau (dèmes sous-cutanés et pulmonaire, ascite).
L'indice de masse corporelle (poids en kg/taille2 en cm) s'avère utile pour classer grossièrement les patients en différentes catégories d'état nutritionnel : dénutri, normal, en surcharge pondérale, obèse et obésité morbide (tableau 4).6
Les réserves corporelles adipeuses et musculaires peuvent être quantifiées par la mesure des plis cutanés (bicipital, tricipital, sous-scapulaire et supra-iliaque) à l'aide d'une pince calibrée et de la circonférence musculaire du bras, respectivement. Les valeurs sont transformées par des équations et reportées sur des tables de références.7 La précision de ces mesures effectuées par un investigateur entraîné est au maximum de 5% chez le sujet normal et sain.8Leur fiabilité chez le sujet malade est certainement bien plus faible et rend délicate leur utilisation occasionnelle.
La bioimpédance électrique (BIA) est une méthode de mesure simple, rapide, non invasive et peu coûteuse de la composition corporelle. Des électrodes cutanées autocollantes sont collées sur la main, le poignet, la cheville et le pied droits. Un générateur applique alors un courant alternatif indolore, de faible intensité (0,8 mA) et de haute fréquence (50 kHz). Ce courant traverse facilement les tissus riches en eau et électrolytes comme le muscle, mais est freiné par le tissu graisseux. La résistance des tissus au passage du courant est convertie en masse grasse et non grasse à l'aide de formules, adaptées à la population concernée.3,9
Les résultats sont influencés par la position du corps, l'état hydro-électrolytique, la tempé-rature de la peau et la géométrie corporelle. La standardisation de la mesure de BIA est donc critique. Le patient est couché sur un lit d'examen, les bras et les jambes légèrement écartés de façon à ne toucher aucune autre partie du corps. Il doit être bien hydraté et ne pas avoir fait d'exercice physique notable trois heures avant la mesure.
La méthode de BIA à 50 kHz est fiable chez les sujets sains et les patients ayant une pathologie chronique et/ou stable en utilisant des équations de prédiction adaptées. C'est le suivi de ces mesures qui s'avère particulièrement utile pour la pratique clinique (fig. 1). Chez les patients de réanimation, la BIA à 50 kHz est à interpréter avec prudence. En revanche, un récent consensus du National Health Institut suggère que la BIA offre une évaluation fiable de l'état nutritionnel, du niveau d'hydratation et de l'adéquation de l'hémodialyse10. Dans ce contexte, le futur est probablement dans le développement de méthodes de BIA plus fines basées sur l'impédance segmentaire11ou l'utilisation de fréquen-ces multiples (5 à 200 kHz).
L'hydrodensitométrie constitue une des méthodes de référence pour mesurer la composition corporelle mais nécessite un matériel important pour peser le sujet immergé dans l'eau. Elle précise la densité corporelle, convertie en masse grasse grâce à l'équation de Siri. L'absorptiométrie biphotonique consiste à balayer le corps humain avec un double faisceau de rayons X. Ceux-ci subissent une atténuation dépendant des tissus traversés. En utilisant des faisceaux d'énergie différente, les masses calcique, grasse et non grasse peuvent être très précisément quantifiées. Cette méthode présente un coût relativement élevé par rapport à la BIA et nécessite une logistique importante ce qui limite son utilisation. Elle est néanmoins répandue pour la quantification de la masse osseuse. L'anthropogammamétrie précise le capital de potassium 40, isotope radioactif naturel du corps humain. Sachant que le potassium est le cation principal du milieu intracellulaire, le comptage de sa radioactivité permet la mesure de la masse cellulaire, ensuite convertie en masse non grasse par l'équation de Forbes. Cette méthode présente le désavantage de nécessiter un appareillage lourd et très coûteux. L'interréactance à infrarouge (IR) quantifie la graisse sous-cutanée grâce à un faisceau d'ondes infrarouges, au niveau tricipital, puis extrapole la masse grasse de l'organisme.12L'IR a les mêmes limitations méthodologiques que la mesure du pli cutané par une pince calibrée, à savoir une trop grande dépendance de la répartition graisseuse sur les différents sites corporels.
Les dosages biologiques peuvent être sanguins, urinaires ou tissulaires. Les variations observées reflètent la stabilité du compartiment considéré : le sang est particulièrement sujet aux fluctuations, l'urine intègre les variations de l'activité métabolique durant la période de récolte, les tissus, bien que très difficiles d'accès, offrent les valeurs les plus fiables.
L'hypoalbuminémie a une valeur prédictive de la morbidité et de la mortalité,13,14 mais elle est mal corrélée à la masse protéique corporelle, car trop influencée par l'état inflammatoire et le niveau d'hydratation. Une analyse similaire peut être faite pour la préalbuminémie et la protéinémie totale. Plus récemment, le taux d'excrétion urinaire d'Insuline-Growth Factor-1 a été corrélé à l'état nutritionnel.15 Les marqueurs du métabolisme protéique musculaire (3-méthylhistidine et créatinine urinaires) sont fortement influencés par les prises alimentaires carnées, la masse musculaire et la filtration glomérulaire ce qui rend leur interprétation délicate.16 La balance azotée, différence entre les apports et les pertes azotées, permet de conclure si le métabolisme protéique est équilibré, positif ou négatif. Des valeurs négatives >= 10 g azote/jour signent un catabolisme sévère. L'azote urinaire peut être directement mesuré par chemiluminescence, ou extrapolé à partir de l'urée urinaire comme suit : azote urinaire (g) = (urée (mmol) x volume uri-ne (litres/24 h) x 0,028) + 2 g.
Des hypo-calcémie/magnésémie/phosphorémie sont observées lors de dénutritions importantes et de renutritions rapides.17, 18Elles sont associées à des troubles de la fonction neuromusculaire (transit gastro-intestinal, muscles respiratoire et périphérique). Il est utile de doser leurs concentrations sériques. Ces dosages sont complétés par une recherche urinaire de protéines, de corps cétoniques et de sucre, afin d'évaluer le degré existant des carences organiques ainsi que les pertes en cours. Les résultats des dosages sériques des vitamines et oligo-éléments sont habituellement différés et coûteux. Ils sont surtout utiles pour confirmer une suspicion clinique de carence.
Ces indices offrent une prédiction de l'évolution clinique, plus qu'une évaluation ponctuelle de l'état nutritionnel. Les trois principaux indices, soit le Prognostic Nutritional Index (PNI),19 le Prognostic Inflammatory and Nutritional Index (PINI)20 et le Minimal Nutritional Assessment (MNA)21sont présentés ci-dessous.
Le PNI
Le PNI est un indice pronostique sensible à l'évolution de l'hospitalisation, il tient compte du taux sérique de transferrine (TFN), d'albumine (ALB), de la réaction d'hypersensibilité à une batterie d'antigènes (HR) et de l'épaisseur du pli cutané tricipital (TSF), selon la relation suivante : PNI = 158 16,6 (ALB) 0,78 (TSF) 0,20 (TFN) 5,8 (HR). Mullen et coll.19ont classifié les valeurs de PNI : haut risque >= 50 ; risque intermédiaire = 40-49 ; bas risque ¾ 39.
Le PINI
Le PINI utilise quatre protéines reflétant l'inflammation (C-Reactive Protein (CRP), alpha-1-glycoprotéine (GPA)) et le métabolisme protéique (albumine (ALB), Thyroxine-binding prealbumine (TBPA)). L'albumine a une bonne spécificité mais une sensibilité faible à l'état nutritionnel, car sa demi-vie (20 jours) est longue, ce qui la rend inadéquate pour des suivis à court terme.20 La TBPA (demi-vie de 48 heures) reflète plus la synthèse protéique à court terme. La CRP (demi-vie de 4-6 heures) reflète la gravité de la pathologie et la GPA (demi-vie de 5-7 jours) reflète la réaction à l'inflammation du corps. Le PINI est calculé comme suit : (GPA (mg/l) x CRP (mg/l))/(ALB (g/l) x TBPA (mg/l)). L'appréciation du PINI est la suivante : = 31 : risque de décès.20
Le MNA
Le MNA est un questionnaire21incluant des questions simples sur la vie quotidienne, la prise médicamenteuse, la mobilité physique, des mesures anthropométriques (poids, taille et perte pondérale), des questions diététiques (nombre de repas, apports de fluides et solides, autonomie de se nourrir) et une évaluation subjective de l'état de santé et de nutrition. L'interprétation du MNA est la suivante : > 24 : état nutritionnel adéquat, 17-23,5 : risque de malnutrition, ¾ 16,5 : sous-nutrition. Ce score a une sensibilité de 96%, une spécificité de 98% et une valeur prédictive de 97%. Le MNA s'adresse aux sujets âgés qui ont des troubles fonctionnels (mobilité ou cognition), vivant seuls ou dans des institutions.
L'évaluation des fonctions corporelles visent à intégrer la fonction à la masse corporelle. Par exemple, en situation de déficit énergétique aigu, un muscle de masse normale mais déplété en glycogène a une performance fonctionnelle fortement réduite. Dans cette situation, la mesure fonctionnelle permet de conclure à un déficit énergétique sur apports insuffisants sans mesurer le glycogène tissulaire et ensuite d'objectiver l'effet de sa correction. L'approche fonctionnelle de l'état nutritionnel est particulièrement intéressante car elle est proche des critères qualifiant l'évolution du patient, mais est de réalisation difficile.
La fonction musculaire lors de MPC est altérée à un stade où les mesures de composition corporelle demeurent inchangées1. Sa mesure offre la possibilité de détecter précocement la MPC ou d'objectiver le processus initial de la renutrition. La mesure de la force musculaire peut être subjective ou objective. La force manuelle de serrement volontaire explorée à l'aide d'un dynamomètre mécanique ou d'un vigorimètre à poire est de réalisation aisée. Par contre, elle dépend de la collaboration du sujet. Sa reproductibilité et sa précision sont variables chez le sujet malade.22 Des valeurs de références de la force musculaire ont été établies pour de nombreux groupes musculaires afin de qualifier les résultats enregistrés chez un sujet donné.23
Afin de circonvenir aux limites méthodologiques liées à la collaboration du sujet, la stimulation électrique calibrée du nerf afférent au muscle testé (par exemple le nerf radial pour le muscle abducteur du pouce) a été développée.1 De nombreuses études ont corrélé la MPC et la renutrition aux caractéristiques de la contractilité musculaire (force maximale, taux de relaxation, fatigue). Une réduction significative de la force musculaire, en l'absence de déficit électrolytique ou neurologique, suggère une amputation importante de la masse maigre et donc du capital protéique. Le recrutement maximal des fibres musculaires exige un stimulus électrique de niveau nociceptif, très désagréable, en particulier pour certains malades dont la tolérance à la douleur est baissée. La génération d'un courant électrique calibré et la mesure de la force générée requièrent un équipement informatisé complexe qui réserve cette méthode à la recherche.1
Au plan clinique, la force musculaire peut être appréciée par l'anamnèse ou l'observation des possibilités physiques d'un patient (tableau 1).24
Durant l'évolution d'une pathologie, les variations favorables ou défavorables de ces paramètres représentent une intégration grossière de tous les paramètres nutritionnels influençant la fonction musculaire (glycogène et ions intracellulaires). Bien sûr, un handicap physique (con-tention plâtrée, vertige, etc.), la douleur à la mobilisation physique, un état dépressif adynamique influencent massivement le résultat. Néanmoins, lorsqu'elle est applicable, cette méthode est simple à effectuer au lit du malade.
Au plan pratique, il est possible de dépister grossièrement la malnutrition ou son aggravation en quelques minutes sur la base de signes d'alarme clinique (tableau 5).
L'évaluation de l'état nutritionnel est essentiellement basée sur l'anamnèse et l'examen clinique, dont les résultats sont confirmés par des examens complémentaires. Elle permet de préciser si le patient est bien nourri, modérément ou sévèrement dénutri, et si les causes de la malnutrition existante vont disparaître, s'atténuer ou s'amplifier. Cette démarche doit être précoce afin d'optimiser les chances de succès du support nutritionnel. Elle permet de relier l'évaluation nutritionnelle à la dynamique de la pathologie et de décider si le support nutritionnel doit être immédiat ou différé, maximal ou partiel.