Les carcinomes rhino-sinusiens envahissant la base du crâne sont rares, souvent diagnostiqués tardivement en raison d'une faible symptomatologie. L'abord chirurgical cranio-facial associant un accès neurochirurgical supérieur et une voie faciale inférieure permet une ré-section tumorale en bloc et en tissu sain et les moyens de reconstructions actuels permettent de limiter les séquelles esthétiques et fonctionnelles. Si le pronostic de survie à long terme est sombre, la qualité de vie est considérée comme bonne.
Les tumeurs malignes rhino-sinusiennes sont rares, représentant moins de 4% des tumeurs du tractus aéro-digestif supérieur. Les cavités rhino-sinusiennes ne forment entre elles aucune véritable barrière anatomique et le développement d'une tumeur maligne à l'intérieur des fosses nasales peut prendre des proportions très importantes avant d'entraîner la moindre symptomatologie, la plupart du temps banale telle qu'épistaxis récidivants, obstruction nasale chronique. Le délai entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic en est retardé, raison pour laquelle ces tumeurs sont parfois identifiées à un stade où elles peuvent déjà avoir envahi l'orbite ou la base du crâne.
La résection cranio-faciale pour des tumeurs de l'orbite a été décrite par Dandy1 en 1941. La technique a été étendue aux tumeurs des fosses nasales par Smith en 19542 puis par Ketcham dans les années 60.3 Les progrès de la neuro-anesthésie, des soins péri-opératoires et antibiothérapie, de l'imagerie et de la radiologie interventionnelle conjointement aux nouvelles possibilités de la chirurgie reconstructive ont abouti à la création des équipes multidisciplinaires que regroupe la chirurgie de la base du crâne.
Paul Tessier,4pionnier de la chirurgie cranio-orbito-faciale fut le premier à décrire les abords conjoints intra- et extra-crâniens et à démontrer que les os du crâne peuvent être dépériostés, modifiés en taille et en forme par des ostéotomies sans risquer de se nécroser et que les complications infectieuses de ce type de chirurgie sont rares. Fort de ces principes, le chirurgien cranio-facial dispose d'une série de voies d'abord permettant la dépose du squelette facial donnant accès à des tumeurs étendues de la base antérieure du crâne par voie supérieure, latérale et inférieure.
De 1991 à 1999, quatorze patients ont été opérés de carcinomes rhino-sinusiens envahissant la base du crâne. L'âge moyen est de 59 ans, extrêmes de 28 à 71 ans, neuf hommes et cinq femmes. Huit de ces patients (57%) présentaient des récidives ou des poursuites évolutives de traitements chirurgicaux ou radiothérapeutiques antérieurs. L'histologie de ces tumeurs est très variée : quatre carcinomes épidermoïdes, quatre carcinomes indifférenciés, deux carcinomes transitionnels, deux carcinomes adénoïdes kystiques et deux adénocarcinomes.
La voie d'abord optimale et la technique sont planifiées avec le chirurgien ORL et le neurochirurgien5 en fonction de la localisation et de l'étendue de la tumeur. D'une façon générale, en l'absence de cicatrices dues à des interventions antérieures, on évite tout abord transfacial, préférant une incision coronale pour l'abord supérieur et un dégantage du tiers moyen par voie endobuccale pour la portion inférieure, en y associant éventuellement une ostéotomie de Le Fort I6,7 pour améliorer l'angle d'approche en descendant le maxillaire supérieur vers le bas (fig. 1, 2 et 3). On réserve ainsi la voie trans-faciale, soit trans-labiale supérieure et inférieure, mandibulotomie médiane et incision paranasale aux tumeurs nécessitant un accès à la fosse ptérygo-maxillaire et aux portions postéro-latérales de l'orbite. La résection chirurgicale peut s'étendre à toute la portion antérieure de la base du crâne jusqu'à la selle turcique et au chiasma optique, verticalement, elle peut comprendre toute la fosse nasale et les sinus adjacents y compris le palais dur, latéralement elle peut emporter l'orbite et les annexes cutanées.
On considère comme une contre-indication relative à la chirurgie l'ablation d'un il unique ou l'envahissement des deux orbites et la pénétration massive de tissu tumoral dans le parenchyme cérébral.
L'envahissement tumoral du sinus caverneux ou de la carotide interne est considéré comme une contre-indication absolue. Malgré une exposition optimale, la résection tumorale idéalement en bloc se heurte à des problèmes techniques nécessitant la fragmentation de la masse pour éviter une trop grande morbidité liée au sacrifice des structures neuro-sensorielles de la face et éviter une rétraction trop importante des lobes frontaux.
La reconstruction des pertes de substance liées à l'exérèse oncologique dépend de leur étendue et de leur impact cosmétique. Sur le plan fonctionnel, le but est d'isoler l'étage crânien de l'étage rhino-sinusien, et de séparer la cavité buccale des fosses nasales. La perte de substance dure-mérienne est reconstruite à l'aide de greffon autologue de fascia-lata et de péricrâne. Le sinus frontal est systématiquement crânialisé par ablation de sa paroi postérieure et de sa muqueuse in toto et oblitération des canaux fronto-nasaux. Les pertes de substance osseuse de la base antérieure ne sont reconstruites au moyen de greffons autologues de calotte en demi-épaisseur que si elles ne sont que de faible importance. Pour les résections de grande surface ou associées à une exentération, on aura recours à un lambeau myocutané libre microvascularisé par exemple du rectus abdominis pour assurer l'étanchéité de l'étage crânien et la restauration des contours de la face. Les pertes de substances orbito-palpébrales sont masquées par des épithèses implanto-portées de même qu'une résection du palais bénéficiera d'un obturateur du même type, ou d'une portion de lambeau myocutané si telle est l'option choisie pour la reconstruction de l'étage supérieur.
Les quatorze patients ont subi une résection plus ou moins étendue de la base du crâne, associée à une exentération dans quatre cas. On ne déplore pas de décès péri-opératoire, mais les complications locales sont non négligeables : deux fistules de liquide céphalo-rachidien, spontanément résolutives sous drainage lombaire, une méningite aiguë, un empyème frontal et deux ostéoradionécroses du volet frontal chez deux patientes ayant subi une exentération lors de la tumorectomie et qui avaient eu un traitement de radiothérapie auparavant. Une reprise pour hémorragie aiguë au sixième jour d'une exentération chez l'une des deux patientes précitées. On ne constate pas de déficit neurologique autre que prévisiblement lié à la résection.
Du point de vue oncologique, alors que les quatorze patients ont bénéficié d'une résection macroscopique en tissu sain, on retrouve de la tumeur à l'examen microscopique dans trois cas.
La faible prévalence des carcinomes rhino-sinusiens et leur diversité histologique rend toute analyse statistique de survie à long terme impossible. Le comportement biologique localement très agressif d'un carcinome indifférencié contraste avec l'apparence bien délimitée d'un carcinome adénoïde kystique alors que celui-ci est connu pour faire des métastases le long des gaines nerveuses et rend le pronostic à long terme particulièrement mauvais en dépit d'une résection macro- et microscopique en tissu sain.
Dans une série de cent quinze cas de tumeurs malignes en vingt-trois ans (y compris les mélanomes et sarcomes), l'équipe du Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York8décrit une survie globale de 58% à cinq ans et de 48% à dix ans. L'histologie joue un rôle capital dans le pronostic à long terme et les facteurs affectant la survie de façon significativement favorable sont l'âge inférieur à 60 ans, le faible volume tumoral nécessitant une résection limitée (péjoration du pronostic en cas d'exentération, par exemple) et les limites de résection en tissu sain.
La chirurgie par approche multidisciplinaire reste l'alternative thérapeutique de choix dans les tumeurs rhino-sinusiennes envahissant la base du crâne. L'abord combiné cranio-facial permet une exposition et une ablation complète de ces tumeurs dont le volume est souvent important. Les séquelles cosmétiques et fonctionnelles sont compatibles avec une bonne qualité de vie. D'après la littérature, les facteurs statistiquement favorables sont le type histologique et le volume de résection, l'âge et les marges de tumorectomie en tissu sain.
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