Les méningiomes de la base du crâne sont des tumeurs dont le traitement est essentiellement chirurgical, pouvant être complété par la radiochirurgie. Ils ont la réputation d'être souventtrès difficiles d'accès et représentent un véritable challenge pour l'équipe chirurgicale qui doit tout mettre en uvre pour éviter des lésions des artères et des sinus veineux de la base ou des nerfs crâniens. Ceci est d'autant plus important que les déficits préopératoires sont souvent mineurs malgré l'ampleur de certaines tumeurs dont la croissance est lente. Ces processus sont donc souvent classés par leur topographie et leur histologie dans une catégorie semi-maligne. Le traitement a grandement bénéficié des techniques modernes de neuroradiologie diagnostique (CT et IRM) et thérapeutique (angiographie avec occlusion et embolisation) ainsi que des nouvelles techniques chirurgicales (microchirurgie, abords cranio-faciaux complexes, reconstruc-tions de la base, neuronavigation assistée par ordinateur).
Les patients porteurs d'un méningiome de la base sont pratiquement toujours référés au neurochirurgien, lequel doit pouvoir analyser idéalement la situation et répondre aux principales questions diagnostiques et thérapeutiques.
Les méningiomes ne viennent non pas de la dure-mère, mais d'amas de cellules arachnoïdiennes dont l'origine mésodermique ou de la crête neurale est encore débattue. Ceci comporte deux implications importantes pour la chirurgie : d'une part le plan arachnoïdien qui devrait permettre de disséquer la capsule au large des éléments vasculo-nerveux n'est pas constant, d'autre part une vascularisation piale (branches d'artères cérébrales) est fréquente. L'étiologie est inconnue, mais des facteurs génétiques ont pu être démontrés dans des cas de neurofibromatose II et de méningiomatose familiale (chromosome 22). Une irradiation à faible dose (classiquement pour une teigne du cuir chevelu) peut développer un méningiome radio-induit d'apparition tardive ;1 ceci pourrait paraître contradictoire avec l'utilisation de la radiothérapie dans le traitement des méningiomes. Des facteurs hormonaux ont également été mis en cause : la prédominance d'atteinte de femmes post-ménopausées, la progression démontrée de la tumeur lors de grossesse et la présence de nombreux récepteurs (progestérone, dopamine D1, somatostatine, sérotonine) intra-tumoraux ont débouché sur des tentatives de traitements hormonaux dont les résultats ont toutefois été décevants.2Enfin la relation avec un état inflammatoire chronique, une virose (herpès, papova) ou un ancien traumatisme n'a été qu'épisodiquement évoquée.
Si les méningiomes de la convexité, qui représentent 20% des tumeurs intracrâniennes, constituent un danger relatif par la proximité de zones éloquentes (zone centrale notamment) ou par la présence de vei-nes corticales et de sinus (notamment le sinus veineux sagittal supérieur qui, en cas d'envahissement, en définit la sous-catégorie dite «parasagittale»), les méningiomes de la base (20% des méningiomes crâniens) ont une tendance nettement plus infiltrative, volontiers une progression en plaque et non nodulaire, interfèrent avec les structures osseuses et surtout englobent artères de la base et nerfs crâniens dans des zones difficiles d'accès. Ils ont donc acquis à juste titre la réputation de processus intracrâniens agressifs, même pour ceux qui sont bénins. L'histologie cependant est comparable aux méningiomes de la convexité et comprend, dans une sorte de progression de bénignité à semi-malignité les formes endothéliomateuse, fibroblastique, transitionnelle (combinaison des deux précédentes), angiomateuse, l'hémangiopéricytome et le méningiome anaplasique. A noter que la forme à cellules claires est proliférative avec des modifications diploïdes de l'ADN.3
Ce sont avant tout les métastases durales et le gliosarcome avec infiltration durale. D'autres, plus rares, peuvent être évoqués selon la localisation du méningiome. Pour la fosse antérieure le carcinome nasal, l'angiofibrome nasal juvénile et l'esthésioneuroblastome (dans notre expérience les méningiomes plongeant dans les sinus antérieurs représentent des difficultés particulières pour l'histologie). Pour la partie du planum sphénoïdal ou de la selle turcique un macro-adénome hypophysaire ou un chondrosarcome ; pour le clivus un chordome, pour le golfe jugulaire une tumeur glomique et pour l'angle ponto-cérébelleux un schwannome. L'aspect et le comportement du méningiome basal au CT et à l'IRM en fait toutefois un diagnostic assuré correctement la plupart du temps.
Dans notre expérience les méningiomes de la base sont souvent une découverte semi-fortuite sur la base de signes relativement peu spécifiques longtemps négligés tels que céphalées (la dure-mère de la base est notamment innervée par la première branche du trijumeau), démarche ataxique ou atteinte progressive d'un nerf crânien. Les crises comitiales, signe d'appel fréquent d'un méningiome de la convexité, sont rares, de l'ordre de 6% des cas.4 Il existe en fait une grande disparité de présentation clinique en fonction de la localisation de la tumeur ; or l'implantation peut se faire sur n'importe quelle structure durale de la base. De plus, 3% des méningiomes sont multiples et ne présentent pas de signes focaux spécifiques.5 La grande taille d'un méningiome n'implique pas forcément une sémiologie plus importante, mais bien plus son évolutivité dans le temps et la proximité ou non de structures neuro-vasculaires (fig. 1 et 2). Voici quelques localisations typiques, illustrées à la figure 3 :
I Gouttière olfactive : se rencontre dans 3% des méningiomes intracrâniens.
Habituellement lent et insidieux, il peut atteindre une taille considérable avec expansion fronto-basale bilatérale avant de toucher des zones évocatrices de déficits, l'anosmie unilatérale (voire bilatérale) étant pratiquement toujours manquée lors d'examens cliniques de routine. Dans 15% des cas son extension se fait en direction du sinus ethmoïdal.6 Même dans ce cas son exérèse ne présente pas de difficultés majeures si l'on maîtrise l'approche combinée cranio-faciale antérieure.
I Planum sphénoïdal, tubercule et diaphragme sellaire : ce groupe de méningiomes peut être à l'origine de troubles frontaux (changements lents de la personnalité, troubles de la programmation), de troubles endocriniens (compression de la tige) et de diverses atteintes du chiasma optique, dont le syndrome de Foster-Kennedy (atrophie optique homolatérale par compression directe du nerf optique et stase papillaire controlatérale par effet indirect de l'hypertension intracrânienne). Malgré les troubles frontaux théoriquement imputables à la tumeur il nous est rarement apparu que l'exérèse de celle-ci rétablisse parfaitement les fonctions supérieures.
I Clinoïde antérieure ou tiers interne du sphénoïde : c'est une localisation dangereuse car la tumeur peut être très adhérente à la carotide interne et à sa bifurcation, ainsi qu'au nerf optique. De plus l'extension du méningiome se fait très souvent en avant en direction orbitaire, réalisant le syndrome de l'apex orbitaire (exophtalmie, parésie de l'oculomotricité unilatérale) ou en arrière (invasion du sinus caverneux rajoutant au syndrome précédent une stase veineuse orbitaire et une hypo-esthésie de la première branche du trijumeau). Cette localisation, du fait de sa richesse sémiologique, est généralement diagnostiquée rapidement ; par ailleurs, dans notre expérience, nombre de méningiomes touchant le sinus caverneux restent relativement stables dans leur évolutivité.
I Fosse cérébrale moyenne : c'est la variété externe du méningiome sphénoïdal avec crise comitiale inaugurale dans 20% des cas, pouvant éliciter des paresthésies des deuxième et troisième branches du trijumeau et laissant des possibilités d'approche chirurgicale bien contrôlée, surtout si le côté incriminé est celui de l'hémisphère mineur, n'impliquant pas le langage.
I Angle pontocérébelleux : la sémiologie est très proche de celle du schwannome vestibulaire (abordée ici dans un autre article) mais s'en différencie par la préservation habituelle d'une audition normale et des fonctions des nerfs crâniens de l'angle jusqu'à ce que la tumeur atteigne une taille considérable. Le premier signe en est de ce fait souvent une ataxie cérébelleuse.
I Attache de la tente : méningiome classiquement nourri par une branche artérielle naissant postérieurement du siphon carotidien, devenant visible sur l'angiographie du fait de son débit augmenté. Atteint une grande taille avant de se manifester ; expansion plus habituelle vers la fosse postérieure que vers la fosse moyenne. Le cavum de Meckel, abritant le ganglion de Gasser, représente un lieu de passage possible de la fosse moyenne à la fosse postérieure.
I Clivus : de loin la localisation la plus difficile, si elle est combinée avec l'apex pétreux, réalisant la catégorie du méningiome pétro-clival. La sémiologie préopératoire peut être très discrète, touchant l'un ou l'autre des nerfs crâniens dans moins de 25% des cas4 ou ne réalisant des signes d'atteinte du tronc cérébral que pour les cas avancés,7 augmentant de ce fait les risques inhérents à la chirurgie, du fait notamment de la présence du tronc basilaire. La combinaison classique de l'apex pétreux associe une atteinte du trijumeau et du nerf oculomoteur externe (syndrome de Gradenigo).
I Trou déchiré postérieur : occasionne une atteinte des nerfs mixtes (IX-X-XI) et une compression du golfe jugulaire. Le diagnostic différentiel important est la tumeur glomique dont l'aspect très vascularisé peut souvent être perçu par simple examen otoscopique.
I Foramen magnum :le passage du tronc cé-rébral inférieur et des amygdales cérébelleuses provoque une sémiologie habituellement précoce avant tout développement excessif. Un signe très classique quoique peu explicable est pour certains de nos cas une atteinte paresthétique intense et bilatérale dans tous les doigts.
Comme examen non invasif c'est en premier lieu le CT avec coupes osseuses, où le méningiome est souvent caractérisé par un aspect isodense avec fort rehaussement homogène. Il faut savoir rechercher la «queue de comète», élargissement méningé à la naissance de l'implantation durale tumorale, très spécifique du méningiome et bien apprécier l'importance de l'hypodensité périlésionnelle dans le parenchyme cérébral, traduisant une tumeur évolutive et surtout une participation importante de la vascularisation piale.
L'analyse fine des structures de la fosse postérieure est meilleure pour l'IRM. Un aspect inhomogène comportant des images de nécrose et kystes est synonyme d'un méningiome d'évolutivité plus rapide. Aussi bien sur le CT que sur l'IRM on peut apprécier les effets indirects du méningiome (hypertension intracrânienne, herniations de parenchyme ou distorsions) et l'hydrocéphalie obstructive (surtout pour une tumeur de la fosse postérieure). Aucun de ces examens ne peut malheureusement prédire le degré d'adhérence de la capsule tumorale aux structures vasculo-nerveuses piales, même si des grosses artères englobées de tumeur sont analysables en IRM. Par ailleurs l'appréciation de l'invasion osseuse est minimisée dans les examens radiologiques par rapport à l'ostéocon-densation physiologique, surtout dans la fosse moyenne.8 Enfin le système de neuronavigation utilise le CT et l'IRM pour des repères millimétriques pointant les coordonnées pendant l'opération.
D'autres examens non invasifs (EEG, scintigraphie à l'octréotide, spectroscopie IRM, PET) peuvent représenter des compléments intéressants, mais modifient peu l'attitude thérapeutique ; une exception est représentée par la mesure du débit et de la capture de thallium au SPECT et CT-xénon qui semblent indiquer de manière prédictive la possibilité de réponse à l'irradiation.9
L'angiographie représente un intérêt certain pour son versant interventionnel caractérisé par des tests d'occlusion artérielle (extrêmement importants pour la stratégie chirurgicale et déterminant la possibilité de sacrifice éventuel d'un gros tronc artériel ou son occlusion temporaire) ; l'embolisation, très utile pour les méningiomes de la convexité dépendant de la carotide externe, est plus limitée pour les méningiomes de la base dépendant du réseau de la carotide interne.
Les approches combinées cranio-faciales (fig. 4) visent à réduire la distance jus-qu'à la tumeur pour des localisations souvent très centrales et médianes et à limiter au maximum la rétraction cérébrale. Par ailleurs la reconstruction, aussi bien musculaire qu'osseuse, est importante. Une multitude d'approches différentes peut être répertoriée dans les articles chirurgicaux.4,10,11,12 Nombre d'équipes, dont la nôtre, sont pluridisciplinaires. Avec un planning très amélioré par l'imagerie, une connaissance de la vascularisation fonctionnelle préparée par angiographie, un repérage millimétrique assuré par neuronavigation, un monitoring continu recensé pendant l'intervention (potentiels évoqués auditifs, monitoring du facial, potentiels somesthésiques), une vision peropératoire optimale obtenue par microchirurgie, nous cherchons à atteindre préférentiellement la zone d'implantation (abord extra- ou endodural) de manière à dévasculariser précocement la tumeur, la morceler et disséquer plus facilement, et sous vision directe, les structures importantes. Les complications possibles d'une chirurgie complexe sont la fistule de LCR, une infection par ouverture des sinus osseux, une coagulation intra-vasculaire disséminée pour les méningiomes volumineux et des déficits neurologiques ciblés, notamment des nerfs crâniens. La proportion d'exérèse complète de 88% pour une large série de méningiomes de la base dans la fosse postérieure et une mortalité péri-opératoire de 3,7% donnent un reflet à notre sens correct de cette chirurgie.13
La stratégie peut aller dans le sens d'une abstention (malade âgé peu symptomatique), une surveillance de l'évolution par IRM annuelles (tumeur sans répercussions notables), une chirurgie d'exérèse totale, une chirurgie partielle complétée par radiothérapie ou encore la radiothérapie seule. Préférence sera donnée pour ces dernières possibilités à la radiochirurgie même si elle peut entraîner des atteintes de nerfs crâniens,14 car elle cible très précisément ses effets sur des tumeurs au volume limité et peut stabiliser des reliquats tumoraux. La discussion de cette alternative thérapeutique, incluant également la radiothérapie conventionnelle15 et le faisceau de protons16 est illusoire dans le cadre de ce court aperçu, mais montre bien la nécessité de stratégies pluridisciplinaires ; ainsi tous nos cas sont évalués dans un «tumor board». C'est le seul moyen d'aider à résoudre une problématique des plus difficiles pour des tumeurs qui, si elles sont défavorablement placées, ne laissent aucun patient à l'abri d'une progression lors de l'évaluation à 20 ans.17