Les femmes présentent un plus grand risque d'entorses du genou lors de la pratique de certains sports, avec une incidence de rupture du ligament croisé antérieur augmentée.Les facteurs qui contribuent à cette augmentation de risque sont en relation avec le genre.Les différences liées au sexe incluent l'anatomie, la différence de force, le mode de recrutement des ischio-jambiers, le cycle hormonal et le niveau d'entraînement.Le mécanisme de rupture le plus fréquent survient lors de décélération brutale sans contact avec l'adversaire. Une meilleure connaissance du problème nécessite une recherche épidémiologique, le but étant d'améliorer la prévention.
Depuis quelques décennies on assiste à un important développement du sport féminin. Des sports autrefois réservés aux hommes sont aujourd'hui de plus en plus pratiqués par des femmes. Le football, le basket-ball mais aussi la navigation hauturière ou l'alpinisme sont souvent exercés par des femmes à d'excellents niveaux.
Aujourd'hui, le football n'est plus un sport exclusivement masculin puisque 22% des licenciés à travers le monde sont des femmes. Aux Etats-Unis le football féminin (soccer) représente 43% des licenciés.1
La pratique d'un sport en amateur ou en élite comporte des risques de blessures. Certains sports sont responsables de blessures spécifiques touchant les deux sexes sans distinction. Par contre, il ressort nettement que dans la pratique des sports à pivot et/ou contact comme le basket-ball, le football, le ski alpin, les femmes sont plus souvent sujettes que les hommes à des blessures ligamentaires du genou et en particulier à des ruptures du ligament croisé antérieur (LCA). Le but de cet article est de présenter l'épidémiologie, les causes et les mécanismes de rupture du ligament croisé antérieur chez la femme. Une meilleure connaissance de ce problème devrait permettre une stratégie préventive de ces lésions.
La fréquence augmentée des lésions ligamentaires du genou chez la femme est bien documentée, plusieurs études sur ce sujet ont été publiées.2,3,4
Arendt et Dick,5 dans une étude épidémiologique, analysent l'incidence des entorses du genou dans un collectif de femmes et d'hommes actifs dans le football et le basket-ball. Ces deux sports étant pratiqués de la même façon par les femmes et les hommes, ils sont par conséquent comparables. Le taux de rupture du LCA est supérieur chez les femmes. Les joueuses de football présentent un taux de rupture du LCA deux fois plus important que leurs homologues masculins, alors que pour le basket-ball le taux de rupture est près de quatre fois supérieur. Ce travail renforce l'impression se dégageant d'études précédentes.
Gwinn et coll.,6 dans une étude réalisée sur un collectif mixte de recrues d'une école militaire américaine, rapportent des observations similaires : l'incidence de rupture du LCA dans la pratique du sport est clairement augmentée chez la femme. Le risque relatif de rupture du LCA chez la femme pratiquant le basket-ball ou le football est identique à celui rapporté par Arendt. L'entraînement militaire spécifique, course d'obstacles, parcours du combattant est encore plus dangereux pour les femmes. Dans cette activité le risque relatif de rupture du LCA est de 11 pour 1 par rapport aux hommes.
Dans nos régions, le ski alpin, sport à pivot sans contact, est aussi responsable de nombreuses blessures du genou. Cet hiver, durant la Coupe du monde de ski alpin dames 1999-2000, plusieurs athlètes se sont blessées au genou plus ou moins gravement. A la fin de la saison on pouvait recenser vingt-cinq filles sur soixante, (41%) des sélectionnées en coupe du monde, ayant dû arrêter prématurément leur saison de compétition en raison d'une entorse grave du genou. La population féminine semble là aussi plus sélectivement touchée. Déjà en 1989 Ellman et coll.,7 observent chez la femme pratiquant le ski alpin de compétition un taux de rupture du LCA six fois plus élevé que chez l'homme. Si dans le ski alpin de compétition féminin la rupture du LCA est plus fréquemment rencontrée que chez les hommes, il n'en va pas de même pour d'autres professionnels du ski. En effet, l'analyse épidémiologique des blessures du genou, sur plusieurs saisons, d'un collectif de moniteurs de ski et de patrouilleurs des pistes ne montre pas d'augmentation du nombre de ruptures du LCA chez la femme.8Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui plusieurs études semblent confirmer une incidence augmentée de rupture du LCA chez les femmes pratiquant un sport de compétition à pivot avec ou sans contact. Par contre dans une population de sportifs amateurs pratiquant un sport à risque hors compétition, il n'existe pas encore d'étude épidémiologique démontrant clairement que ce risque est augmenté dans la population féminine.
Une rupture du ligament croisé antérieur est une entorse grave du genou. Une entorse du genou est due au dépassement d'une position de stabilité de l'articulation par suite d'un choc direct sur le genou ou d'un mouvement forcé dépassant les capacités de défense de l'articulation. Nous distinguons les entorses survenant sur un contact avec l'adversaire ou bien de façon isolée. Noyes a montré que les ruptures du LCA survenaient le plus souvent, dans 78% des cas, lors de mécanisme lésionnel sans contact.9 Le mécanisme lésionnel le plus souvent décrit survient lors d'une décélération brutale, le genou en légère flexion, associée à un moment varisant ou à une hyperextension. Concrètement cela peut correspondre à une entorse du genou sur mauvaise réception de saut se déroulant à grande vitesse lors de la course.
Les hommes présentent une rupture du LCA autant sur des mécanismes lésionnels avec contact que sans contact, alors que chez les femmes la rupture du LCA survient le plus souvent sans contact.1
Les raisons exactes pour lesquelles une athlète féminine est plus susceptible qu'un homme de présenter une rupture du LCA ne sont pas encore clairement démontrées. Plusieurs facteurs semblent jouer un rôle dans l'étiologie de ce type de blessure. On distingue actuellement différents facteurs propres à la femme et des facteurs extrinsèques susceptibles de jouer un rôle dans cette pathologie.
De nombreux facteurs intrinsèques sont actuellement en investigation, ils concernent la force musculaire, la morphologie, le profil hormonal, la coordination, les capacités techniques et l'entraînement, spécifiques aux athlètes féminines.
L'étude comparative de la physiologie musculaire entre la femme et l'homme a montré qu'il existait une différence de fonctionnement synergique du muscle quadriceps et des muscles ischio-jambiers. Lors de la marche, entre 0 et 30 degrés de flexion du genou, le quadriceps est un antagoniste du ligament croisé antérieur alors que les ischio-jambiers sont des agonistes. Dans ce secteur angulaire, le quadriceps induit une force de translation antérieure du tibia par rapport au fémur, force qui est équilibrée par l'action simultanée des ischio-jambiers.10,11 Wojtys et coll.12 ont montré que pendant la marche chez la femme le recrutement musculaire se faisait d'abord dans le quadriceps et ensuite dans les ischio-jambiers alors que chez l'homme le recrutement musculaire est simultané. Ce déséquilibre de synergie musculaire chez la femme qui est majoré par la fatigue, induit une force antagoniste sur le LCA, c'est-à-dire une translation antérieure du tibia par rapport au fémur. Ce retard d'activité musculaire agit comme s'il existait une insuffisance des mécanismes protecteurs du genou pouvant mettre en danger le LCA lors de mécanisme de rupture.
Les différences morphologiques des membres inférieurs de la femme par rapport aux hommes sont peut-être à mettre en relation avec l'incidence augmentée de rupture du LCA. Le valgus des membres inférieurs majoré par la largeur du bassin pourrait induire un moment de force délétère sur le genou.13 Inversement Gray n'a pas pu faire de corrélation entre le morphotype en valgus et la rupture du LCA.4 On a bien montré la relation qui existe entre la taille de l'échancrure intercondylienne et la rupture du LCA ; les athlètes présentant une échancrure intercondylienne étroite sont plus sujets à une rupture du LCA que les autres. Pour certains auteurs il n'existe pas de corrélation entre sexe et taille de l'échancrure,14 pour d'autres, la corrélation entre sexe, largeur de l'échancrure et rupture du LCA est significative.15
Une certaine laxité ligamentaire est souvent observée chez la femme, Nicholas trouve une corrélation entre laxité augmentée et rupture du LCA,16 cette relation n'est pas confirmée par d'autres auteurs.17
Plus récemment on a observé que la fréquence augmentée de rupture du LCA pourrait être en relation avec le cycle menstruel de la femme.18 Pendant la phase ovulatoire (J10 à J14 du cycle), l'imprégnation strogénique est importante, c'est durant cette période du cycle qu'on observe une plus grande susceptibilité de rupture du LCA. Cette phase du cycle semble correspondre à une fragilité ligamentaire périodique induite par l'imprégnation hormonale. De plus, durant cette phase du cycle il a été démontré une baisse de la performance physique, s'exprimant par une diminution de l'habileté.19 On peut émettre l'hypothèse que ces répercussions neuro-musculaires peuvent être responsables d'une baisse de l'efficacité des mécanismes protecteurs du genou sous forme d'un déficit frustre des capacités proprioceptives lors de contraintes physiques inhabituelles. Ces deux éléments liés au profil hormonal de la femme représentent des facteurs intrinsèques indiscutablement liés au sexe ; ils nécessitent encore d'autres investigations pour être validés.
Dans la pratique du sport, un mauvais niveau de préparation physique est synonyme de blessures. Quand un sportif amateur ou professionnel n'atteint pas un certain degré d'entraînement, les risques de blessures de toute nature augmentent. Cette évidence concerne les deux sexes mais elle est particulièrement vraie pour les femmes, chez qui le niveau de base de condition physique n'est souvent pas acquis.20,21 Cette relation entre le niveau d'entraînement et la survenue accrue d'entorses du genou a clairement été démontrée.22,23 A l'opposé, un meilleur entraînement améliore la performance et diminue le risque de blessures.24,25 Dans l'armée américaine où de nombreuses femmes sont engagées, les programmes d'entraînement ont été intensifiés pour devenir semblables à ceux imposés aux hommes. Le résultat a été que le nombre de blessures a significativement diminué.26,27
Le travail proprioceptif intensifié à l'entraînement est synonyme de diminution de rupture du LCA.28,29
S'il existe des facteurs intrinsèques à la femme susceptibles d'augmenter le risque de rupture du LCA, il existe aussi des facteurs extrinsèques non liés au sexe qui sont souvent en rapport avec le matériel utilisé. Les entorses du genou, par un mécanisme de pied bloqué au sol, semblent plus fréquentes si le coefficient de friction entre la semelle d'une chaussure de sport et le revêtement des terrains de sport augmente.30 Par analogie, on a observé qu'en fonction du profil des crampons des chaussures de football, le taux de lésions ligamentaires du genou peut augmenter.31
Enfin, depuis quelques années dans le ski de compétition, avec l'apparition des skis paraboliques permettant une meilleure tenue du ski dans les virages pris à grande vitesse et la surélévation de la chaussure de ski augmentant le bras de levier entre le ski et le genou, le matériel est là aussi suspect de jouer un rôle dans l'accroissement du nombre d'entorses graves du genou. Cette hypothèse, bien que séduisante, n'est actuellement pas encore vérifiée.
La pratique régulière d'un sport fait de plus en plus partie intégrante du mode de vie occidental. Comme dans d'autres domaines, la participation féminine à ce genre d'activité ne cesse d'augmenter. On observe chez la femme un plus grand risque d'entorse grave du genou et en particulier de rupture du ligament croisé antérieur. Les raisons pour lesquelles les femmes présentent plus souvent une rupture du LCA que les hommes restent obscures. Plusieurs facteurs, intrinsèques et extrinsèques au sexe semblent jouer un rôle dans cette épidémie. Hormis les facteurs extrinsèques qui sont propres aux deux genres, la morphologie, le fonctionnement proprioceptif, le profil hormonal, le contexte socio-culturel de la femme apportent des éléments de réponse à cette question.
Le nombre de femmes pratiquant régulièrement un sport à risque augmente aussi le nombre de blessures. Cette traumatologie spécifique représente un coup socio-économique important et si les bienfaits de la pratique régulière d'un sport sont annihilés par un nombre inacceptable de blessures, il est impératif d'établir un programme de stratégie préventive. Aujourd'hui, nous savons déjà que l'accent doit être mis sur l'amélioration de l'entraînement, parallèlement, il est nécessaire de mener de plus amples études épidémiologiques multicentriques afin de mieux identifier les causes de risques. Ce travail de recherche épidémiologique, pour avoir un impact sensibilisateur, doit être réalisé en collaboration avec les professionnels du sport et les pratiquants eux-mêmes.