« Une desserte équivalente pour tous, riches et pauvres, jeunes et vieux, en ville ou en banlieue, est un élément d'une société juste, telle que nous nous la représentons.»(Moritz Leuenberger, Con-seiller fédéral, congrès du parti socialiste zurichois, samedi 8.7.2000).Le Conseiller fédéral parlait du service public. Le système de santé est un service public aussi et il doit rester accessible à tous.C'est dans cet esprit qu'avait été conçue la nouvelle loi sur l'assurance maladie (LAMal), entrée en vigueur le 1.1.1996. Solidarité entre hommes et femmes, jeunes et vieux, extension du catalogue des prestations, libre passage et suppression des réserves, libre choix du médecin. Autant d'avantages qui faisaient de la LAMal une disposition hautement sociale et qui garantissait à l'assuré la couverture la plus avantageuse qui soit. Autant d'avantages supplémentaires qui, logiquement, allaient provoquer une augmentation massive des primes. Augmentation mal évaluée par le Groupe de travail du DFI (GT LAMal) en septembre 1994, puisque la hausse prévue ne devait pas dépasser 4,5% !Selon les chiffres 2000 pu-bliés par l'OFAS, les coûts des prestations engendrés par les médecins privés en ambulatoire, après avoir subi une augmentation de 5,7% entre 97 et 98, sont pratiquement stabilisés à 0,6% pour 98/99. En revanche, les coûts ambulatoires des hôpitaux restent au même niveau, respectivement à 14,1 et 13,7% pour les mêmes périodes.Il est donc peu convaincant de présenter maintenant la fin de l'obligation de contracter pour le secteur ambulatoire privé comme mesure d'économie, alors que le seul secteur visé est celui-là même qui a réussi à stabiliser les coûts qu'il engendre.
Le concept est utilisé de nombreuses fois dans le rapport explicatif du DFI. Cette notion est étonnante à plusieurs titres.
En premier lieu, le terme même de concurrence est illusoire, cette notion s'appliquant à un marché libre, alors que nous nous trouvons dans un marché administré, dont les prix sont fixés, par exemple à Genève, par l'autorité cantonale ; il en va ainsi dans chaque canton en l'absence de convention tarifaire entre assureurs et professionnels de la santé.
Le terme est ensuite malséant s'agissant d'une législation sociale, puisque l'on sait que la concurrence montre généralement peu de respect pour la solidarité et la justice sociale.
Le terme est enfin galvaudé puisque nous nous trouvons dans un domaine obligatoire et que les assurés n'ont pas le choix de l'être et ne peuvent pas se décider en fonction des avantages offerts. Le seul choix est celui d'une caisse-maladie, pour autant que cela concerne l'assurance de base.
La concurrence, telle que la prévoit le projet de loi, n'aurait pour conséquence que la tentation des professionnels à limiter leurs traitements ou à aiguiller leurs cas les plus lourds vers les hôpitaux, créant une surcharge de ces derniers et une augmentation de leurs coûts.
La relation médecin-patient, même si elle obéit aux règles du mandat, ne peut simplement se définir à l'aune de quelques articles du Code des Obligations.
Par la confiance qu'elle exige, par les aspects personnels et intimes qu'elle développe, elle ne peut se résumer à un simple rapport contractuel anodin et soumis aux règles économiques usuelles.
Dénier au patient le choix de son praticien revient à casser la relation thérapeutique et à aggraver la pathologie du patient. Que dire également de patients chroniques ou âgés, obligés de changer de médecin en cours de traitement. Ce changement risque d'ailleurs de se répéter car, le nouveau médecin, en accueillant ces cas lourds, finira par coûter, lui aussi plus cher.
La LAMal a donné le pouvoir à l'assureur. Celui-ci se voit garantir le versement des primes, bel exemple du risque économique qui devrait prévaloir dans un système de libre concurrence alors même qu'aucune disposition ne lui impose un délai de remboursement à l'assuré.
Il est libre d'exiger du médecin rapports sur rapports, retardant ainsi l'échéance du remboursement, de déterminer que les prestations sont ou ne sont pas économiques, sans tenir compte de leur adéquation et de leur opportunité.
Laisser au seul assureur, sans contrôle et sans voie de recours, la possibilité de sélectionner les médecins, revient à dénaturer les principes de la LAMal et à introduire une médecine à deux vitesses.
Il y a quelques années, l'assureur SWICA a établi de façon unilatérale une liste des médecins genevois dits «préférentiels» avec qui il entendait traiter dans le cadre d'un produit d'assurance appelé «Nova Light» (choix limité du fournisseur de prestations). Cette liste ne prenait en compte que les médecins les moins coûteux et éliminait tous ceux dont la patientèle engendrait des surcoûts : cancéreux, personnes âgées, diabétiques, patients chroniques, etc.
Si cette sélection venait à être légalisée comme le propose la révision partielle de la LAMal, un tiers des médecins genevois seraient éliminés du «marché» pour des prétextes purement économiques. Toute la solidarité voulue par la LAMal entre jeunes et vieux, hommes et femmes, patients chroniques et bien-portants serait donc balayée, et ce, toujours dans le cadre d'une loi sociale et obligatoire.
Les hôpitaux, ces dernières années, ont sensiblement développé leurs secteurs ambulatoires. Pour deux raisons au moins : garantir la qualité et la diversité de la formation dispensée aux assistants et facturer au coût réel, et non au forfait (comme c'est le cas du secteur stationnaire) les actes dispensés aux patients.
Sous la pression des assureurs (tiers payant), ils concluent des conventions à des prix inférieurs à ceux pratiqués dans le secteur ambulatoire privé.
Cela n'empêche pas la croissance des coûts (plus de 13% entre 98/99) alors même que l'ambulatoire privé se stabilise (0,6% durant la même période).
On voit à cet exemple que l'institution d'une pseudo- concurrence entre secteur privé et public, pour les mêmes prestations, n'a aucun effet stabilisateur des coûts. De plus, la fin de l'obligation de contracter ne s'appliquant pas aux hôpitaux, elle ne concernera vraisemblablement pas le secteur ambulatoire hospitalier.
La modification partielle de la LAMal, telle qu'elle nous est présentée, doit être refusée en totalité et ce, pour les raisons suivantes :
l'esprit solidaire de la LAMal n'est pas respecté ;
les intérêts de l'assuré ne sont pas préservés ;
les assureurs sont seuls à décider et n'en ont pas les compétences.
Nous soulignerons enfin que le DFI, dans son commentaire, n'apporte aucun argument ni aucune recherche permettant de prouver, de façon précise et scientifique, quelle serait l'ampleur des économies réalisables dans un secteur où, rappelons-le, les coûts viennent de se stabiliser.