Récemment des anticorps chimériques dirigés contre le TNFa ont été utilisés dans le traitement de la maladie de Crohn. L'infliximab est l'anti-corps qui a été le plus largement utilisé. Il est commercialisé aux Etats-Unis et a récemment obtenu une AMM européenne. L'infliximab est efficace en perfusion unique (5 mg/kg) dans le traitement de la maladie de Crohn sévère, réfractaire au traitement corticoïdes et/ou immu-nosuppresseurs. Il est également efficace dans la maladie de Crohn fistulisante (trois injections de5 mg/kg à 0, 2 et 6 semaines). Un re-traitement est possible en cas de rechute. La tolérance du produit est bonne mais le risque à long terme n'est pas connu et justifie une surveillance au long cours.
L'étiologie de la maladie de Crohn (MC) est toujours inconnue même si l'hypothèse actuellement admise attribue un rôle à l'association d'une prédisposition génétique et de facteurs environnementaux. Du fait de l'absence d'étiologie précise, le traitement médical de la MC, largement empirique, vise à diminuer les phénomènes inflammatoires. Une meilleure caractérisation des perturbations du système immunitaire muqueux à l'origine de l'inflammation intestinale a permis le développement de traitements immunomodulateurs plus ciblés (antagonistes, anticorps) dirigés contre plusieurs cytokines spécifiques en particulier contre le tumor necrosis factor-a (TNFa). Le but de cet article est de passer en revue les bases rationnelles et les données cliniques concernant l'efficacité du traitement de la MC par des anticorps monoclonaux anti-TNFa.
A l'état normal, il existe dans l'intestin un équilibre entre un état pro-inflammatoire et un état anti-inflammatoire. Un rôle important est actuellement attribué dans la pathogénie de la MC à un déséquilibre entre les productions de cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires. Le TNFa, cytokine pro-inflammatoire, semble être le médiateur central, véritable chef d'orchestre de la cascade immuno-inflammatoire.1
A l'état normal, le TNFa n'est pas présent dans la circulation. Dans les états inflammatoires, comme la MC, le TNFa est capable de favoriser le recrutement local de cellules inflammatoires responsables de l'dème, d'une activation des facteurs de coagulation et de la formation de granulomes. Des taux élevés de TNFa ont été trouvés dans le sérum, dans le surnageant de cultures organotypiques de biopsies coliques, ainsi que dans les selles et l'intestin de malades atteints de MC. La spécificité de ces anomalies n'est cependant pas démontrée.
Deux types d'anticorps chimériques (murin/humain) dirigés contre le TNFa sont actuellement utilisés dans le traitement de la MC, l'infliximab et le CDP571.1 L'infliximab (cA2 Centocor) est un anticorps monoclonal chimérique humanisé à 75% construit par fusion des régions antigéniques variables d'un anticorps monoclonal murin dirigé spécifiquement contre le TNFa humain (A2) avec les régions conservées d'une immunoglobuline IgG1k humaine. L'infliximab est commercialisé aux Etats-Unis sous le nom de Rémicade® et a récemment obtenu une AMM européenne. Le CDP571 est également un anticoprs monoclonal chimérique humanisé à 95% produit par Celltech. La molécule n'est pas encore commercialisée.
Le traitement par anti-TNFa s'est montré efficace dans les MC actives réfractaires aux traitements habituels, dans les formes fistulisantes de la maladie et dans le maintien de la rémission clinique.
C'est le traitement qui a été le plus largement utilisé. Plus de 28 000 malades ont été traités par infliximab aux Etats-Unis depuis sa commercialisation. En Belgique plus de 260 malades ont été inclus dans une étude compassionnelle depuis 1999 (communication Schering-Plough).
Plusieurs études ouvertes2-5 et une étude contrôlée6 ont étudié l'action de l'infliximab dans les formes actives de MC.
L'essai le plus important est celui de Targan et coll. Dans cet essai 108 malades porteurs d'une MC active et résistante à un traitement conventionnel ont été inclus dans une étude multicentrique, contrôlée, randomisée en double aveugle contre placebo. Tous les malades avaient à l'inclusion un CDAI compris entre 220 et 400, et 75% étaient traités par corticoïdes ou immunosuppresseurs (azathioprine, 6-mercaptopurine). Les malades ont été randomisés en trois groupes recevant une seule perfusion de 5, 10 ou 20 mg/kg d'infliximab et un groupe placebo. A la quatrième semaine, il y avait une différence très significative entre les différents groupes : seulement 17% des malades sous placebo avaient une réponse clinique (définie par une baisse du CDAI de 70 points) contre 65% de l'ensemble des malades traités par infliximab. De même à la quatrième semaine, la maladie était en rémission (définie par un CDAI ¾ 150) chez seulement 4% des patients recevant le placebo contre 33% de l'ensemble des malades traités par infliximab. L'efficacité du traitement avait cependant tendance à diminuer avec le temps. A la douzième semaine, le pourcentage global de réponse était de 41% pour l'ensemble des malades traités contre 12% dans le groupe placebo. La qualité de vie était aussi améliorée à quatre semaines sous infliximab 5 mg/kg. Les doses plus élevées d'infliximab n'apportaient pas de bénéfice clinique supérieur. Le bénéfice du traitement n'était pas influencé par les variables démographiques, les caractéristiques de la maladie à l'inclusion et les traitements associés.7
Cette étude confirme qu'une seule perfusion d'infliximab est efficace dans le traitement des MC actives (modérées à sévères) résistantes au traitement médical. Elle montre de plus que la dose de 5 mg/kg est la dose la plus adaptée pour obtenir une amélioration et une rémission clinique de la poussée. A la différence de l'azathioprine ou du méthotrexate, l'effet thérapeutique est rapidement obtenu entre deux et quatre semaines avec des taux moyens de réponse et de rémission clinique de respectivement 60 et 30%.
Dans cette étude, il était proposé aux malades traités mais non répondeurs à quatre semaines une nouvelle injection d'anti-TNFa à la dose de 10 mg/kg. Une amélioration était observée une fois sur trois. Par contre l'inefficacité relative de cette nouvelle injection d'anti-TNFa observée chez environ deux tiers des malades suggère qu'il pourrait exister un sous-groupe particulier de malades résistants au traitement.
Une partie des malades de cet essai (ceux inclus en Europe) ont fait l'objet d'une étude endoscopique et, pour certains, histologique.8 Trente malades (dont huit dans le groupe placebo) ont eu une évaluation endoscopique à l'inclusion et quatre semaines après l'injection. Une amélioration significative (jugée sur l'index CDEIS) avec même, dans certains cas, cicatrisation des lésions muqueuses était notée à la quatrième semaine dans le groupe traité et non avec le placebo. L'amélioration endoscopique était corrélée à celle du CDAI et aux taux de CRP sérique. Elle n'était pas liée à la dose d'infliximab utilisée. Dans un cas, une sténose colique s'est développée, alors qu'elle ne s'est pas majorée dans les quatre cas où la sténose était présente à l'inclusion. L'amélioration histologique était également très significative dans le groupe traité, avec une diminution marquée de l'infiltrat inflammatoire de cellules mononucléées et plurinucléées dans les zones où il y avait une amélioration endoscopique. En immuno-histochimie on notait parallèlement une baisse très significative de l'expression du TNFa et de la molécule d'adhésion intercellulaire ICAM-1 dans la lamina propria.9 Il persistait, cependant, des remaniements architecturaux sans augmentation de la prolifération épithéliale.10L'infliximab serait, ainsi avec l'azathioprine, le seul traitement capable de cicatriser les lésions muqueuses.
Le maintien à long terme de la rémission après l'injection d'infliximab reste l'objectif principal du traitement. L'étude de Targan et coll. a cependant montré une diminution progressive du nombre de malades en rémission clinique au fil du temps.6 La durée de la réponse variait entre deux et vingt-quatre mois. La rémission était plus prolongée chez les malades recevant de l'azathioprine ou de la 6-mercaptopurine, même s'ils étaient initialement réfractaires à ces traitements.11
L'étude de Rutgeerts et coll. est une prolongation de l'essai de Targan et coll. qui évaluait l'efficacité de l'infliximab après une injection unique.12 Les malades qui avaient «répondu» au traitement (73 malades) ont été inclus dans une étude de re-traitement. Huit semaines après la dernière injection, les malades ont été randomisés et recevaient quatre injections d'infliximab (10 mg/kg) ou de placebo espacées de dix-huit semaines. L'évaluation a été faite à la quarante-quatrième semaine, soit huit semaines après la dernière injection. Seulement 67% des malades ont reçu les quatre injections, du fait de l'échec du traitement (douze dans le groupe placebo, et quatre avec infliximab) ou d'effets indésirables (six dans le groupe infliximab). Un taux de rémission significativement plus élevé était observé dans le groupe traité. La réponse clinique était maintenue à la quarante-quatrième semaine chez 65% des malades traités contre 37% des malades du groupe placebo. De plus, 54% des malades traités par infliximab étaient en rémission clinique contre 20% dans le groupe placebo. Un meilleur résultat était observé chez les malades traités par azathioprine ou 6-mercaptopurine.
D'autres études sont encore nécessaires pour mieux préciser le rythme et la durée du traitement. Il faut cependant se rappeler que plus on s'éloigne d'une injection, plus le risque de réaction anaphylactique lors d'une administration ultérieure augmente, en particulier au-delà de la quatorzième semaine.
L'efficacité de l'anti-TNFa a également été mise en évidence dans les formes fistulisantes de la maladie, même si les résultats ne portent que sur un seul essai contrôlé.
Dans cette étude, 94 malades ont été inclus dans une étude randomisée contre placebo et ont reçu trois perfusions (à 0, 2 et 6 semaines) d'infliximab 5 ou 10 mg/kg.13 Parmi les malades, 90% avaient des fistules anopérinéales et 10% des fistules abdominales évoluant depuis plus de trois mois. Les drainages étaient enlevés avant la première perfusion. A l'inclusion, 55% des patients étaient traités par aminosalicylates, 35% par corticoïdes, 40% par 6-mercaptopurine ou azathioprine, et 30% par antibiotiques. Une diminution d'au moins 50% du nombre de fistules actives (notées à deux visites successives) a été observée chez 68% des malades sous Infliximab 5 mg/kg (versus 26% sous placebo).
Les taux de fermeture complète étaient de 55% chez les malades traités par 5 mg/kg d'infliximab contre 13% dans le groupe placebo. Le délai moyen de réponse était de deux semaines (extrêmes : 14 à 42 jours). La durée médiane de la réponse était de 86 jours (extrêmes : 57 à 113). La dose de 10 mg/kg n'apportait pas de bénéfice supplémentaire. Un taux plus élevé de réponse (mais non significatif) était observé chez l'homme en cas de fistule unique et en l'absence de traitement par azathioprine ou 6-mercaptopurine. Le bénéfice du traitement n'était pas influencé par les données démographiques, les caractéristiques des malades à l'inclusion et le traitement associé.14
Cet effet spectaculaire de l'anti-TNF a également été décrit chez deux patients présentant une MC compliquée de lésions périnéales délabrantes résistantes à la protectomie et aux traitements classiques.15Si l'infliximab semble dans les fistules efficace une fois sur deux, il reste à trouver un traitement permettant de maintenir ce résultat.
Une étude préliminaire a rapporté les résultats du traitement par infliximab chez sept malades qui avaient développé une maladie de Crohn après confection d'un réservoir iléo-anal pour une maladie classée initialement comme une rectocolite ulcéro-hémorragique.16 Ces malades avaient des lésions iléales (n = 2) ou des fistules périnéales (n = 5), et trois avaient une iléostomie de diversion. Ils ont reçu de une à quatre injections d'infliximab. Les résultats ont été assez spectaculaires : six réponses complètes, une réponse partielle, deux fermetures de stomie. Le délai de réponse a été de deux à huit semaines avec un recul de un à cinq mois.
Un seul essai contrôlé a été pour le moment publié. Cet essai a porté sur trente MC en poussée résistante à un traitement médical.17Les malades ont reçu une seule injection de CDP571 (5 mg/kg) ou de placebo. Ils ont été évalués à la huitième semaine. Le critère d'efficacité primaire était la baisse du CDAI médian à deux visites consécutives. La baisse du CDAI était, à deux semaines, plus importante dans le groupe traité que dans le groupe placebo avec un pourcentage de rémission clinique respectivement de 30% (6/20) et 0% (0/10) (NS). Parmi les six malades en rémission à deux semaines, quatre l'étaient toujours à six semaines et seulement trois à huit semaines. Ces résultats suggèrent que le CDP571 a une durée d'efficacité courte dans les MC réfractaires au traitement médical conventionnel. La dose optimale et le rythme d'administration du CDP571 restent à déterminer.
Ils peuvent être évalués à partir des études contrôlées (qui portent sur un petit nombre de malades) qui ont précédé l'acceptation du produit par la FDA18 et sur la surveillance postmarketing (qui porte sur plus de 20 000 malades) après un an d'utilisation commerciale aux Etats-Unis.
Nous envisagerons principalement les réactions d'intolérance à la perfusion, les infections, l'immunogénécité et les affections malignes.
Lors des essais cliniques, 17% des malades traités par infliximab ont présenté des réactions (versus 10,5% dans le groupe placebo) pendant la perfusion et dans les deux heures qui ont suivi. Il s'agissait de symptômes non spécifiques tels que fièvre ou frisson, prurit ou urticaire, manifestations cardio-pulmonaires à type de douleurs thoraciques, hypotension, hypertension ou dyspnée. Ces réactions ont été transitoires et ont disparu complètement sans traitement spécifique ou avec un traitement minime.
En raison du rôle important joué par le TNFa dans les défenses contre les pathogènes intracellulaires, une attention toute particulière doit être portée au risque de survenue d'infection. Lors des essais cliniques, le risque d'infection n'était pas différent entre le groupe traité et placebo. Sur les 28 000 MC traitées aux Etats-Unis, 0,2% ont présenté des infections sévères. Elles ont nécessité un traitement dans 0,16%, et une hospitalisation dans 0,9% des cas. Elles ont été responsables d'un décès dans 0,01% (communication Schering-Plough).
Le développement d'anticorps anti-chimériques est dû à la partie murine de l'infliximab. Treize pour cent des malades ont développé des HACA (Human Antichimeric Antibody). La fréquence était plus faible chez les malades traités par immunosuppresseurs. Le taux de ces anticorps est dans 90% des cas faibles (¾ 1 : 40). La présence des HACA expose à un risque plus élevé de réactions immédiates à la perfusion, mais ne semble pas diminuer l'efficacité du traitement.
Des auto-anticorps de type anti-ADN double brin ont été détectés chez 9% des malades traités dont 3% sont restés positifs au long cours. Des signes cliniques évocateurs d'un lupus sont apparus chez deux malades et ont disparu sous corticoïdes.
Deux cas de lymphome survenus parmi 15 000 MC traitées par infliximab ont récemment été publiés.19 A ces deux cas, il faut ajouter quatre autres cas d'hémopathies malignes (trois lymphomes non hodgkiniens, une maladie de Hodgkin et un myélome) qui ont été observés chez des polyarthrites rhumatoïdes et un cas de Sida traités par l'infliximab.2,26 L'imputabilité de l'infliximab dans la survenue des deux cas de lymphomes apparus chez les malades présentant une MC reste difficile à affirmer pour les raisons suivantes : a) une augmentation d'incidence des lymphomes dans la MC est possible, bien que non clairement établie ; b) l'un des malades était traité au long cours par l'azathioprine, ce qui pourrait constituer un facteur favorisant de la survenue d'un lymphome ; c) l'autre malade a développé un lymphome quinze jours après le traitement, ce qui rend la responsabilité de l'infliximab peu vraisemblable. Dans les polyarthrites rhumatoïdes, les trois cas sont survenus chez des malades traités au long cours par méthotrexate.
Le nombre de lymphomes survenus chez l'ensemble des malades traités par infliximab pour polyarthrite ou MC réfractaire ne semble donc pas à ce jour supérieur à celui attendu dans ces affections. Cependant, une inconnue demeure concernant le risque à long terme.
L'anticorps anti-TNFa représente une nouvelle perspective thérapeutique dans le traitement de la MC. Le traitement est indiqué dans la MC active sévère réfractaire aux traitements corticoïdes et/ou immunosuppresseurs (une injection de 5 mg/kg) ou dans la MC fistulisante (trois injections de 5 mg/kg à 0, 2 et 6 semaines). Un retraitement est possible en cas de rechute ou pour maintenir la rémission. Ce re-traitement doit, dans la mesure du possible, être effectué avant la quatorzième semaine suivant la dernière injection afin de diminuer les risques de manifestations allergiques.