Ce matin, je n'ai guère le goût à l'autosatisfaction dont se parent de si nombreux éditoriaux se limitant à décrire le contenu du numéro qu'ils introduisent.Pire, je ne suis pas non plus d'humeur à confier à cette nouvelle page blanche quelques digressions pertinentes à propos de la gynécologie-obstétrique, de ses acteurs ou de ses perspectives de lendemains qui chantent ou déchantent.Pour cette fois, trêve de critiques. Je renonce au persiflage donneur de leçons ou flirtant avec la rebelle et combative dérision dont j'ai déjà usé dans les colonnes de ce journal.Restriction des budgets, démission des politiques, opacités et manipulations des assureurs, LAMal, Tar-med, revenus des médecins et autres pigeons sortis du jabot de Ruth Dreifuss : non, pas aujourd'hui.Excellence clinique, compassion et patience, tolérance et engagement, humanisme et objectivité de la médecine factuelle, contrôle de qualité, secret médical, économie et gestion de la santé : oui, bien sûr, mais une autre fois.Pour aujourd'hui, je choisis de vous faire part d'une évidence qui n'a rien à voir avec la médecine, pas plus qu'avec nos inquiétudes ou avec la question de savoir «où sont les limites de notre tolérance au syndrome de bouc émissaire ?», posée par B. Kiefer, le tonique rédacteur en chef et par ailleurs fine plume de ce journal.1Pour ne pas être saisi par la lassitude, pour ne pas céder le pas à la résignation, je prends le parti, pour cette fois, de partager avec vous l'embellie d'une réalité si facétieuse et transparente qu'elle m'apparaît comme une source de plaisir, de ce plaisir dont chacun de nous a besoin pour rester debout.Je l'ignorais jusqu'à une récente émission de télévision.Pourtant et c'est bien le cas de le dire cette réalité coule de source, elle est naturelle, presque implicite au prix d'une réflexion minimale, au point que personne n'aurait intuitivement l'idée d'en contester l'exis-tence.Cette évidence a le charme d'une explication simple et l'avantage de ne requérir aucun théorème, de n'engendrer aucune hypothèse. Une vérité libre, claire, vive et potentiellement utilisable. Bénéfique et vitale, elle pour-rait prendre, dans l'imaginaire, les traits d'une figure mythologique. Invisible, silencieuse, trans-parente, elle relève du sortilège et de l'enchantement car elle est secrète. Nul doute qu'elle pourrait animer des contes de fées, être mémoire et promesses, avoir une cour dansante et colorée. Elle est douce, reine dans son secret, et tous la souhaitent fidèle. Cachée, elle ne recèle pourtant aucune noirceur occulte. Radieuse dans son intimité, elle représente l'archétype du trait d'union entre le ciel, la terre et la mer. Elle a l'élégance de la discrétion, la fraîcheur d'une grâce renouvelée et la force du torrent. Elle est nécessité et plaisir, tout à la fois jeu et condition de vie ou de mort. Ce n'est ni la lumière, ni l'obscurité, ni la pensée et encore moins la musique, la poésie, la philosophie ou la sagesse. Elle est mère et a la mer pour mère. Elle est fille et a le soleil pour père.Venue de très loin, descendue de très haut, elle a reflété les ciels de toutes les saisons, sous le soleil ou en compagnie de sa sur la pluie. Cheminant dans ses débuts sous un manteau de neige, accueillie plus bas par ses frères les lacs, s'ébrouant bruyamment dans les torrents, devenant subitement sévère, assourdissante et menaçante dans les cascades, la voici souriante et espiègle dans les ruisseaux des jeux de notre enfance, puis tantôt indolente, tantôt persévérante au gré des méandres la conduisant à travers les plaines. Elle est complice de la patience contemplative des pêcheurs et se délecte encore des om-bres rafraîchissantes des grands sau-les. Sa mémoire est tissée du goût des galets, de la saveur âcre sur le sable et fade dans les herbiers, du chant des oiseaux, du poids et du galbe du ventre de la truite, du vol coloré de la libellule, de l'odeur des chevaux courant, la nuit, dans la plaine et venant se désaltérer sur ses rives. Du printemps, elle retient le rose du ma-tin atteignant le mauve au crépuscule. De l'été, elle sait la lourdeur silencieuse de midi, et, vers le soir, les roucoulades des baigneuses. De l'automne, elle a gardé le parfum des récoltes et les senteurs des sous-bois. De l'hiver, elle a surmonté tous les gris et toutes les luttes avec le gel paralysant, tous les combats contre les grands gestes violents et la froide assurance des vents. De chaque matin, elle sait le bonheur, même si chaque jour est aussi irréversible que sa propre course. De chaque nuit, elle connaît l'apaisement.Contrairement à la plupart de ses plus banales semblables, cette merveille fait preuve de l'originalité qui, jusqu'ici, l'a soustraite à la connaissance de la plupart d'entre nous.Sans caprice, elle disparaît, quitte la lumière et le grand air, s'enfonce dans les obscures entrailles de la terre, abandonne le monde des vivants, emportant les senteurs des jardins qu'elle a arrosés. Suivant une odyssée inconnue, elle se nimbe de son secret. Elle se laisse avaler par les failles rocheuses, se faufile de défilés capricieux en grottes ignorées, pour finalement resurgir au fond de la mer.Le saviez-vous ?Il y a des sources d'eau douce, sources de vie terrestre dans le monde marin et il semble que les pâtres grecs en avaient une connaissance assez précise pour plonger et y remplir des amphores. Plus fraîche en été, moins froide en hiver, cette eau douce pénètre l'eau salée en se voilant d'un léger trouble passager, connu sous le terme de phénomène de la turbidité, et qui n'est rien d'autre que le discret sourire de cette source à l'originalité de sa destinée.Bonne semaine.