Depuis la découverte d'une relation entre l'âge maternel et le risque de donner naissance à un enfant présentant une trisomie 21, les généticiens et les obstétriciens ont tout mis en uvre pour développer des méthodes de dépistage de plus en plus précoces.Actuellement, l'association de paramètres biochimiques, Pregnancy associated Plasma Protein A (PAPP-A) et b-hCG libre, avec la mesure échographique de la clarté nucale et l'âge maternel à la naissance, permet entre 11 et 14 semaines, pour un taux d'examen prénatal invasif de 5%, le diagnostic de 89% des enfants trisomiques.
C'est en 1866 que Langdon Down1 fait la première description des enfants «mongoliens» et du caractère congénital de ce syndrome. En 1909, Shuttleworth2 se rendant compte qu'un grand nombre des enfants atteints de «mongolisme» sont des derniers-nés, suggère, entre autres, un lien entre l'affection et un âge maternel avancé. Cinquante ans plus tard, Lejeune met en évidence dans le caryotype des personnes atteintes du syndrome de Down la présence d'un chromosome 21 surnuméraire. Finalement, le diagnostic prénatal du syndrome de Down est rendu possible, cent ans après sa description, grâce à la démonstration, par Steele, de la possibilité de cultiver et d'analyser le caryotype des cellules amniotiques prélevées par amniocentèse.
Dans les années septante, se fondant sur l'observation de Shuttleworth d'un lien avec l'âge maternel, on réserva l'amniocentèse aux patientes ayant un risque élevé de donner naissance à un enfant atteint. Tenant compte des risques de fausses couches liés à l'amniocentèse, ce geste était réservé aux patientes de plus de 35 ans, ce qui représentait alors 5% des femmes enceintes. De cette façon, seuls 20% des enfants trisomiques étaient diagnostiqués.
Dans les vingt dernières années, le pourcentage de patientes enceintes âgées de plus de 35 ans a nettement augmenté, pour atteindre 14% dans les dernières données de la statistique suisse (OFS, 1995-1998).
Confrontés à cette augmentation et aux rigueurs d'un système de santé étatique dont le budget ne leur permet un diagnostic prénatal que pour 5% de leur population, les Anglais Cuckle et Wald3 ont introduit, en 1988, une méthode de screening qui tenait non seulement compte de l'âge maternel mais également des concentrations sériques de l'alpha-ftoprotéine, de l'striol et de la b-hCG. Ce nouveau test, pratiqué entre 16 et 20 semaines de grossesse, leur permet d'identifier 60% des enfants trisomiques pour un nombre stable d'examens invasifs. Ce dépistage a toutefois pour défaut qu'il doit être effectué à un âge gestationnel relativement tardif.
A la même époque, les développements technologiques de l'échographie ont permis l'acquisition d'images très précises dès le début de la grossesse. La mise en évidence d'une relation entre l'épaisseur de la clarté nucale (fig. 1) et un risque élevé d'anomalies chromosomiques a permis d'identifier 64% des enfants trisomiques, avec un prélèvement proposé à 5% des femmes enceintes.
Récemment, les développements de nouveaux dosages biochimiques de substances dont les différences de sécrétion chez le ftus trisomique sont suffisamment discriminantes par rapport à la population des ftus non atteints au premier trimestre de la grossesse, permettent en association avec la mesure de la clarté nucale un dépistage de la trisomie 21 avoisinant 90%.
La b-hCG libre est une glycoprotéine sécrétée par le syncytiotrophoblaste et dont le rôle est le maintien de la grossesse au cours du premier trimestre. Son taux sérique maternel est maximum à dix semaines de grossesse puis il diminue progressivement jusqu'au terme de la grossesse. Lors de trisomie 21, son taux est nettement élevé, 2,15 fois le multiple de la médiane. L'utilisation de ce seul dosage pour le dépistage de la trisomie 21 permet un taux de détection de 33%.
La PAPP-A (Pregnancy associated Plasma Protein A) est une macromolécule synthétisée par le placenta. Le taux sérique maternel augmente au cours de la grossesse. Lors de trisomie 21, les taux de PAPP-A sont abaissés. Toutefois, la différence avec une grossesse normale diminue au fur et à mesure de l'avance de la grossesse. Son utilisation dans le dépistage permet une détection de 40% des enfants trisomiques.
Plusieurs équipes4,5ont conduit des travaux incluant ces paramètres dans le dépistage. Pour un taux de tests positifs de 5%, la sensibilité de ces trois paramètres permet le diagnostic de trisomie 21 dans 60% des cas.
L'hétérogénéité des situations associées à une augmentation de la taille de la clarté nucale ne peut s'expliquer par un seul mécanisme. Les hypothèses actuelles sont :
1. Une insuffisance cardiaque lors d'anomalie structurelle du cur et des gros vaisseaux.
2. Une anomalie ou un retard de développement du système lymphatique.
3. Une anémie ftale.
4. Une infection ftale congénitale (par exemple, le cytomégalovirus).
5. Une congestion veineuse sur compression extrinsèque.
6. Une anomalie de la matrice extracellulaire.
L'épaisseur de la clarté nucale augmente avec l'âge gestationnel, sa mesure moyenne est de 1,2 mm à 11 semaines de gestation et de 1,9 mm à 14 semaines. La valeur seuil varie selon les études entre 2,5 mm et 3 mm.6,7,8 Le dépistage doit donc être pratiqué pour des embryons dont la longueur cranio-caudale, estimée selon les tables de Robinson et Fleming,9 est comprise entre 45 et 84 mm.
La mesure est réalisable par voie transabdominale dans 95% des cas, dans les autres situations, c'est la voie transvaginale qui sera utilisée. Pour la première fois dans l'histoire de l'échographie anténatale, une mesure est utilisée pour estimer le risque de trisomie 21. La fiabilité de cette mesure doit donc être maximale. Pour ceci, il convient d'obtenir une coupe sagittale de l'embryon telle que celle utilisée pour la mesure cranio-caudale.
Les points sensibles qui influencent la fiabilité de cette mesure sont :
1. Un entraînement approprié, une stricte application des standards techniques et une motivation constante de la part de l'échographiste.
2. L'agrandissement de l'image à l'écran qui doit permettre au ftus d'occuper les trois quarts de l'image.
3. Le placement précis des callipers (compas de calibre) de mesure (fig. 2).
4. La différenciation entre l'amnios et la peau ftale. Les mouvements spontanés du ftus facilitent la visualisation de l'amnios.
5. Une position neutre du ftus. Ce qui implique l'absence d'hyperextension ou flexion de la tête ftale.
L'application stricte de ces critères permet une bonne fiabilité dans le dépistage de la trisomie 21. L'étude de Roberts10en est l'illustration : les centres utilisant la clarté nucale à but clinique obtiennent une mesure dans 100% des cas et seuls 2,5% des mesures sont supérieurs au seuil de 2,5 mm alors que d'autres équipes, ne faisant cette mesure qu'à titre d'observation, ne parviennent à la mesurer que chez 85% des patientes pour 12% de dépistages positifs.
Comme décrit ci-dessus, la qualité des images échographiques obtenues est le garant d'un dépistage efficient. La Fetal Medicine Foundation, sous l'impulsion de Nicolaides et coll., a mis sur pied un module de formation et de contrôle de la qualité des images obtenues, suivi à long terme par un contrôle des moyennes des mesures de chaque examinateur. Bien que l'uniformisation des images et des mesures soit devenue universelle9,11,12et qu'un entraînement spécifique soit évidemment nécessaire, tout participant à un tel dépistage devrait confronter ses performances à celles de l'ensemble pour tendre vers un dépistage de plus en plus efficace.
Une mesure de la clarté nucale supérieure au 95epercentile (2 mm à 11 semaines - 2,5 mm à 14 semaines) peut, en l'absence d'anomalie chromosomique, être associée à de nombreuses anomalies ftales. Un dépistage échographique orienté devra être pratiqué ciblant principalement les malformations dont la prévalence est augmentée en présence d'une clarté nucale pathologique. Ainsi, une échocardiographie devrait être la règle ainsi qu'une recherche de hernie diaphragmatique, d'omphalocèle, d'arthrogrypose et de dysplasie osseuse.
Dans la littérature, l'utilisation de la mesure de la clarté nucale seule pour le dépistage de la trisomie 21 a un taux de détection qui varie entre 33% et 90% pour un taux de faux positifs variant entre 0,8% et 6%.6,7,8,12,13,14
Dans leur étude, Spencer et coll.5ont analysé, pour un taux fixe de positifs de 5%, la sensibilité des différents marqueurs utilisés séparément ou en association dans la détection de la trisomie 21 (tableau 1).
Les Anglais, pour des raisons budgétaires, ne peuvent pas se permettre d'investir plus de cinq pour cent de leur budget dans le diagnostic prénatal. Le choix du seuil répond donc à cette exigence et a, de ce fait, été fixé à 1/300. L'introduction de ce test dans notre population se basera dans un premier temps sur les résultats de l'étude de Spencer5et après six à douze mois d'utilisation, une analyse de nos propres résultats devrait nous permettre de fixer le seuil de positivité correspondant le mieux à notre population. L'abaissement du seuil de 1/380, comme utilisé au deuxième trimestre, à 1/300 se justifie par une augmentation importante des tests positifs sans une augmentation significative du taux de dépistage de la trisomie 21.
Lorsqu'un dépistage effectué précocement est positif, on peut proposer un prélèvement de villosités choriales entre onze et treize semaines de grossesse. Dès le début de la quinzième semaine, une amniocentèse peut être pratiquée. Les risques du prélèvement de villosités sont estimés à 1% alors que ceux de l'amniocentèse sont de 0,5%. Le choix du prélèvement doit donc être fait par les parents après une information complète.
Si les résultats des études prospectives en cours confirment les résultats préliminaires actuellement disponibles, le dépistage de la trisomie 21 aura gagné en précocité et en fiabilité. Toutefois, comme pour tout test de dépistage en médecine, le libre choix d'avoir recours à ce test doit être laissé au couple qui, lors d'un entretien préalable, doit avoir compris la notion de dépistage et les implications d'un test positif ou négatif.