Les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) sont des maladies fréquentes dont la prévalence ne fait qu'augmenter. L'étiologie de celles-ci reste indéterminée. L'implication des facteurs d'environnement et une incidence familiale pour 5 à 10% de celles-ci servent d'argument pour proposer une physiopathogénie mixte. Les facteurs d'environnement et en particulier certains agents bactériens pourraient contribuer, grâce à la susceptibilité génétique de l'hôte, à l'expression de la maladie.
Les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) sont des maladies survenant souvent à un jeune âge. Elles sont d'étiologie inconnue. Leur spécificité marquée par une répartition géographique hétérogène dans le monde, au sein de différentes ethnies (plus fréquente chez les blancs), dans le temps (on assiste à une augmentation séculaire d'incidence) et selon le mode de vie (plus fréquent en ville qu'à la campagne) où les facteurs d'environnement (tabac, contraception orale, agents microbiens) sont autant d'évidences en faveur du caractère multifactoriel de ces maladies.1Nous analyserons les facteurs génétiques, et parmi les facteurs d'environnement, ceux en rapport avec des agents infectieux et des éléments non microbiens.
La recherche génétique des MICI a connu un essor particulier ces dernières années. Domaine trop souvent négligé en recherche fondamentale, elle est devenue aujourd'hui l'une des thématiques des plus concurrentielles et compétitives dans les laboratoires de recherche des pays industrialisés. Il s'agit là d'une continuation naturelle de nombreuses études épidémiologiques et cliniques, menées parallèlement en Europe et en Amérique du Nord. L'épidémiologie descriptive révélait les faits suivants :
1. La distribution des MICI reste inégale, car elles sont plus fréquentes dans l'hémisphère Nord que dans l'hémisphère Sud à l'exception des populations blanches d'Australie, de Nouvelle-Zélande et d'Afrique de Sud. Au sein même de l'hémisphère Nord, les MICI restent différemment distribuées. Elles sont rares dans le pourtour méditerranéen et des foyers géographiques sont particulièrement identifiés. Certains foyers se caractérisent non seulement par une densité importante de malades mais aussi par la forme clinique particulière. Ainsi, la France, comme la Belgique, connaissent une incidence plus élevée de recto-colite hémorragique (RCH) que de maladie de Crohn (MC). Des foyers géographiques à l'échelle d'une région, comme celle du Nord-Pas-de-Calais, où la fréquence de RCH est une et demie à trois fois supérieure à celle de la MC et les formes familiales de MC sont particulièrement répandues.
2. Certaines ethnies sont plus à risque que d'autres.2 Ainsi, la population blanche est plus à risque et l'incidence des MICI est deux à cinq fois supérieure dans la population juive, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe. La prédisposition ethnique est la même pour les deux maladies Crohn et RCH.
3. C'est l'étude des jumeaux qui a, pour la première fois, permis réellement de suspecter une origine génétique aux MICI.3 Les résultats de l'analyse systématique des registres suédois des
jumeaux a permis à Tysk et coll.4 d'identifier quatre-vingt couples parmi lesquels au moins un sujet était porteur de MICI. La comparaison des taux de concordance pour la même maladie, par exemple pour la MC était de 8/18 pour les monozygotes alors qu'elle était seulement de 1/26 pour les dizygotes. Ceci a conduit à estimer un coefficient d'hérédité à 1 (0,34-1 ; 95% IC) pour la MC, et à 0,53 (0,24-1 ; 95% IC) pour la RCH. Ce type de démarche et de calcul avait déjà éclairé des pistes intéressantes de recherche dans la schizophrénie, le diabète insulino-dépendant ou l'hypertension artérielle essentielle avec des coefficients d'hérédité respectifs de 0,68, 0,77, 0,57.
Les données épidémiologiques, déjà classiques, permettent de noter que la MC et la RCH n'avaient probablement pas le(s) même(s) gène(s) de susceptibilité. La fréquence d'agrégation familiale est estimée à près de 10%. En effet, pour la plupart des auteurs, 8 à 10% (extrêmes 4 à 20%) des sujets atteints de MC ont un ou plusieurs parents, tous liens de parenté confondus, atteints de MC. Pour la RCH, les agrégations familiales sont moins fréquentes, estimées en moyenne à 6%. Les familles mixtes (RCH et MC) ne sont pas rares. L'augmentation séculaire d'incidence de MC, plus que celle de RCH semble expliquer cette différence.
Comme pour l'agrégation ethnique, les agrégations familiales peuvent traduire l'existence d'un facteur environnemental de prédisposition partagé par les membres d'une même famille. Néanmoins, plusieurs arguments plaident en faveur d'une origine génétique. L'âge précoce (moins de 20 ans) du début de la maladie touche jusqu'à 35% des cas pour les formes familiales versus 2 à 4% pour les formes sporadiques, au sein des mêmes populations. Les demi-frères d'un sujet atteint n'ont pas un risque plus élevé de MICI.
Le degré d'agrégation familiale, lui-même fonction du degré de lien de parenté avec un sujet atteint, et la prévalence de la maladie dans la population étudiée, ont permis d'abandonner le schéma Mandelien et, en particulier, les pistes génétiques calquées sur le typage grossier de HLA pour conclure sur le caractère polygénique des MICI.5 Les résultats d'analyse des gènes du système HLA restent conflictuels. Pour la MC, la majorité des études portant sur un assez grand nombre de sujets reste négative. Les antigènes B44 et Cw5 de classe I, ont été trouvés associés à la MC dans plusieurs études et les allèles HLADRB1*01, HLA DRB1*07 et HLA DQB1*05 ont été rapportés associés à la MC. Pour la RCH, seul l'antigène HLADR2 a été retrouvé plus fréquemment, dans plusieurs études surtout au Japon.1,6
Les données issues de séquençages systématiques du génome humain ont ouvert la voie à une nouvelle stratégie d'identification du(es) gène(s) de susceptibilité aux maladies. Bien que les recherches sur le diabète insulinodépendant ou la schizophrénie aient précédé celles de la MICI, les résultats dans ces dernières n'en sont pas moins prometteurs. Le postulat selon lequel «des régions d'ADN de trop grande ressemblance partagée entre les sujets atteints et les sujets à risque doivent nécessairement être en rapport avec la maladie étudiée» a permis à Hugot et coll.,7 d'apporter les premières évidences du succès de la stratégie dans le domaine des MICI. Actuellement, le locus identifié au chromosome 16 doit être considéré comme siège du gène de susceptibilité d'un nombre notable de malades atteints de MC alors qu'il n'est très vraisemblablement pas impliqué dans la RCH.8 L'étude de Satsabgi et coll.9 propose des régions du chromosome 12, 7 et 3, avec des loci spécifiques pour la RCH situés aux chromosomes 2 et 7. Au total, on peut estimer que le gène (du moins l'un d'entre eux) de la MC est situé plutôt sur le chromosome 16, et celui (ceux) de la RCH plutôt sur les autres chromosomes.
Ces deux publications récentes ont ouvert la voie à l'identification précise des gènes impliqués. Toutefois, d'autres étapes encore nécessaires à franchir invitent à une sage prudence en attendant la reproduction de ces résultats par d'autres auteurs et dans d'autres populations. La multitude des régions chromosomiques susceptibles de porter le gène et la taille de celles-ci ralentit pour lors l'identification définitive du gène. De plus, l'incidence croissante des MICI au cours des dernières décennies a suggéré la possibilité d'une anticipation génétique, phénomène bien connu dans la maladie de Huntington. Celle-ci complique d'autant l'identification du(des) gène(s) responsable(s) et leurs anomalies. Les études de reproductibilité dans de plus larges échantillons seraient d'une aide plus précieuse à court terme. A moins que les progrès physiopathologiques, dans d'autres domaines, viennent aider l'orientation de la localisation du gène. C'est par exemple le cas du gène des mucines MUC3 localisé sur le chromosome 22 (7q22), ou les gènes de HGF au chromosome 7, GNAI2 codant pour une sous-unité de la protéine d'inhibition de guanidine au chromosome 3. Toutefois, les pistes physiopathologiques sont nombreuses et les approches aussi hasardeuses. Il faut espérer que les deux types de recherche, génétique et physiopathologique, se réalisent autour des quelques axes prioritaires. Des résultats récents concernant le polymorphisme du gène de la TNF (tumor necrosis factor), l'implication physiopathologique de cette cytokine dans la genèse de la MC, et l'impact thérapeutique qui en découle, font de la TNF un axe très intéressant de recherche.10
Il faut distinguer les facteurs infectieux des facteurs non infectieux.
Ce sont, là encore, les arguments épidémiologiques qui plaident en faveur d'une piste infectieuse. En effet, les formes conjugales qui semblent plus incidentes que le hasard, constituent un argument solide en faveur de cette piste. Des études longitudinales menées en Suède1 ont suggéré l'importance d'infections périnatales, en particulier virales, sur le risque ultérieur de développer une MICI. Le rôle spécifique du virus de la rougeole a été évoqué par la mise en évidence d'une cohorte de patients à fréquence élevée de MC nés dans les trois mois suivant les épidémies de rougeole. Dans une étude cas-contrôle, il a été suggéré que le vaccin contre la rougeole pourrait être lui-même un facteur de risque de MC. La même équipe a mis en évidence des lésions de vascularite granulomateuse dans des pièces opératoires de patients opérés de Crohn. Cette vascularite serait due au virus de la rougeole mis en évidence par les techniques d'immunohistochimie ou d'hybridation in situ. La place réelle de ce virus dans la genèse de la MC reste mal comprise.
Diverses mycobactéries atypiques, notamment Mycobacterium paratuberculosis, ont été isolées plus fréquemment de muqueuse intestinale ou de ganglions mésentériques de patients atteints de MC ou de RCH que de sujets contrôles. L'absence de réelle vérification de spécificité et d'études thérapeutiques rend peu intéressant cet agent infectieux.
La Listeria monocytogenes est l'agent infectieux le plus récemment mis en évidence dans les tissus de 75% des sujets atteints de MC ou de RCH. Il n'existe pas d'étude épidémiologique pour étayer cette hypothèse.
De nombreuses études épidémiologiques ont montré que des infections intestinales ou respiratoires, bactériennes comme virales, pouvaient précéder la révélation d'une MICI ou initier les rechutes. Il s'agirait, dans ces cas, d'agents infectieux non spécifiques initiant l'inflammation intestinale. Celle-ci serait entretenue ensuite par d'autres mécanismes. C'est l'homologie structurale entre le peptide bactérien ou viral et un antigène de soi qui entraînerait la réaction immunitaire que développerait l'hôte contre ses propres antigènes.
Il existe de nombreux arguments en faveur du rôle amplificateur ou inducteur possible de la flore saprophyte dans l'inflammation intestinale. Dans les MICI, la muqueuse est colonisée par un grand nombre de germes (E. coli, Streptococcus, etc.). Un phénomène de translocation bactérienne est probablement à l'origine des complications septiques. L'effet positif du métronidazole en particulier dans les modèles de colite ulcéreuse expérimentale, mais aussi chez l'homme, apporte un argument sérieux en faveur de cette hypothèse.
Plusieurs mécanismes semblent intervenir dans l'induction de l'inflammation intestinale. Certaines bactéries comme les klebsielles et les streptocoques augmentent chez l'animal la perméabilité intestinale. Cette augmentation de la perméabilité pourrait être à l'origine d'une stimulation anormale du système immunitaire muqueux par les bactéries luminales.
Des bactéries peuvent influencer la domiciliation des cellules immunitaires périphériques dans le tube digestif. L'injection des cellules lymphocytaires T immunocompétentes CD45 induit des colites chez les souris immunodéficientes SCID, après colonisation de la muqueuse intestinale. Cette domiciliation des cellules T dépend de la présence d'une flore intestinale, car elle disparaît chez les animaux axéniques (sans germe). Les molécules d'adhésion interviennent dans ce mécanisme.
Des bactéries peuvent également stimuler les lymphocytes T de la muqueuse intestinale et induire des lésions de la muqueuse. Il s'agit d'une anomalie de la tolérance.11 En effet, la mise en coculture des cellules mononucléées de la lamina propria et d'extraits bactériens intestinaux autologues aboutit à la prolifération cellulaire. Celle-ci est inhibée par des anticorps monoclonaux dirigés contre les antigènes d'histocompatibilité de la classe II.
Des protéines produites par de nombreux virus ou bactéries, appelées super-antigènes, sont capables de stimuler un large nombre de lymphocytes T selon une voie indépendante du complexe majeur d'histocompatibilité. Les lymphocytes T pourraient ainsi être stimulés dans d'autres modèles animaux.
Le caractère pathogène d'une bactérie peut être directement lié à la réponse immunitaire intestinale de l'hôte. Des cytokines immunorégulatrices de type TH1 (IL-2, IFNg), habituellement produites en réponse aux bactéries intracellulaires (mycobactéries, Listeria), et de type 2 (IL-4, IL-5, IL-13) régulent la réponse immunitaire et déterminent en partie le caractère susceptible ou résistant de l'hôte vis-à-vis de différents agents bactériens ou viraux. La réponse immunitaire de type TH1, n'est en général pas associée à une inflammation chronique. En revanche, les réponses de type TH2 sont associées aux infections chroniques. Ce type de réponse est habituellement retrouvé dans la muqueuse intestinale dans la MC et pourrait entraîner une susceptibilité anormale du tube digestif vis-à-vis des bactéries luminales. C'est ainsi que l'on explique la grande fréquence de récidives ulcéreuses péri-anastomotiques postopératoires après une résection iléo-colique lorsque l'anastomose n'est pas protégée du flux fécal. On pense que la flore endogène est responsable de l'entretien d'une réponse inflammatoire chronique dans cette situation.
Nous ne traiterons que les facteurs alimentaires, le mode de vie et les antécédents médico-chirurgicaux. Les facteurs bien connus comme le tabac, les stroprogestatifs seront traités dans un autre chapitre dans ce même numéro.
Le rôle de certains aliments classiquement soulignés dans la survenue d'inflammation intestinale, n'a jamais été confirmé. Aucun facteur alimentaire n'est à ce jour identifié comme agent inducteur ou d'entretien de la maladie. Les régimes de type «fast-food» favoriseraient et les régimes riches en fibres végétales diminueraient le risque de survenue de la MC.
Les différents aspects de la vie moderne semblent influencer négativement la MC. Ainsi, on peut noter l'incidence plus élevée de la MC en zone urbaine, chez les populations à haut niveau d'hygiène et socio-économique dans l'enfance. La place des facteurs psychologiques, bien qu'indiscutable, ne peut être bien définie à l'heure actuelle. Le constat sur le retentissement psychologique d'une maladie chronique telle que la MC fait l'unanimité. Par contre, le rôle des conflits d'ordre psychologique dans le déclenchement de la MC et la capacité réduite d'adaptation aux stress de la vie moderne, dans l'entretien des poussées, ont suscité de nombreuses prises de positions plus polémistes que scientifiques. Il faudra sans doute une approche méthodologique plus adéquate pour éclaircir cette dimension de la maladie.
De l'observation initiale de formes familiales de MICI, au calcul du risque d'être atteint de MICI pour tout individu exposé aux facteurs d'environnement, la marche logique vers l'identification du(es) gène(s) de susceptibilité est maintenant entreprise. Quel que soit le temps nécessaire pour identifier précisément ces gènes, quelle que soit la place exacte de ces gènes dans la cause d'apparition de ces maladies, les facteurs d'environnement jouent indiscutablement un rôle non négligeable. Parmi ceux-ci, les agents infectieux n'ont pas fini de livrer tous leurs secrets.