L'expérience montre qu'une famille associée au projet thérapeutique est susceptible de mieux surmonter les difficultés liées à la cohabitation avec un membre schizophrène et peut constituer une ressource importante au bon fonctionne-ment des programmes thérapeutiques. La collaboration avec la famille se trouve souvent grandement facilitée par les réponses claires que le thérapeute saura fournir aux interrogations inquiètes de l'entourage familial concernant les facteurs étiologiques, le tableau clinique, l'évolution, les possibilités de traitement de la maladie.
En nous référant à un modèle bio-psycho-social de la schizophrénie, nous ne saurions nous contenter d'un traitement symptomatique centré sur le patient en tant qu'unité de diagnostic et de soins, mais nous devons prendre en considération les interactions dans le triangle patient-famille-thérapeute (équipe soignante).
Cependant force est de constater que pendant trop longtemps la famille se sentait abandonnée par le corps médical, voire stigmatisée, alors que de son côté, le patient se sentait isolé des siens et tiraillé entre sa collaboration avec les soignants et sa loyauté à l'égard de sa famille. Pendant trop longtemps aussi les thérapeutes se sont focalisés sur la psychopathologie du patient et de sa famille, négligeant les ressources qui pourtant existent chez les uns et les autres. Mais si d'un côté, cet entourage peut fonctionner comme source précieuse d'informations et comme allié thérapeutique indispensable, il ne faudrait pas d'un autre côté oublier, qu'à cause du lourd fardeau porté, ce groupe a souvent besoin pour lui-même de notre soutien empathique et déculpabilisant. En d'autres mots, nous pouvons faire appel aux ressources de l'entourage en sachant que les familles sont pratiquement toujours prêtes à donner pour l'un des leurs, fût-ce au prix de lourds sacrifices, mais il faudrait qu'en même temps celles-ci reçoivent une quittance par rapport à leur souffrance existentielle liée à la maladie psychique d'un des leurs.
Les progrès de la psychiatrie sociale moderne et de la psychothérapie institutionnelle avec l'apparition des hospitalisations à temps partiel et l'instauration des programmes de réinsertion sociale ont, par la force des choses, intensifié les contacts entre thérapeutes (institution) impliqués et entourage familial. C'est en 1965 que Luc Kaufmann1 a posé la pierre angulaire de la thérapie familiale à la Clinique psychiatrique universitaire de Lausanne et c'est sous son impulsion et grâce à l'appui de
C. Muller que cette approche a connu un essor considérable pour devenir partie intégrante de notre arsenal thérapeutique.
L'expérience accumulée au fil des années montre qu'une famille associée au projet thérapeutique est susceptible de mieux surmonter les difficultés liées à la cohabitation avec le malade, qu'elle peut constituer une ressource importante, voire indispensable, au bon fonctionnement des programmes thérapeutiques. La collaboration avec la famille sera d'autant plus fructueuse que nous réussissons à travers une alliance thérapeutique à en faire un partenaire qui peut agir et réagir en connaissance de cause, d'où la nécessité de donner des informations pertinentes à l'entourage familial concernant notamment :
Des troubles précoces dans le développement du cerveau,2 trouvant leur origine dans la convergence variable de facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et sociaux, font que certaines personnes sont marquées par une vulnérabilité psycho-physiologique qui les prédispose à développer une psychose schizophrénique à l'adolescence ou à l'âge adulte jeune.
La maladie émerge sur la base d'un dysfonctionnement au niveau des circuits neuronaux cérébraux dont nous ne connaissons pas encore la nature exacte, mais qui débute dès la vie gestationnelle et qui va affecter la coordination des activités perceptives, motrices et cognitivo-affectives. L'hypothèse postule qu'une longue chaîne de particularités interactionnelles entre ce déficit neuro-intégratif génétiquement déterminé et des facteurs environnementaux et psycho-biologiques défavorables va aboutir à ce qu'on appelle la vulnérabilité à la schizophrénie. Cette fragilité (terrain prédisposant), qui peut être comprise comme une capacité réduite de traiter les stimulations cognitivo-affectives surtout en situation de stress, va probablement persister pendant toute la vie, mais n'aboutit pas forcément à une schizophrénie manifeste. Sous l'effet de facteurs protecteurs comme par exemple une bonne insertion socioprofessionnelle, des modalités de vie peu stressantes, des bonnes capacités de «coping» (savoir faire face aux problèmes), le sujet, tout en demeurant de santé psychique instable, ne va pas présenter de symptômes psychotiques florides, mais aura un mode particulier d'être au monde caractérisé par des troubles de l'identité, de l'intersubjectivité, du sens commun (incapacité de distinguer ce qui est pertinent de ce qui ne l'est pas). Toutefois, lorsque le «seuil de fragilité», variable d'un individu à l'autre, se trouve dépassé en raison de facteurs de stress internes ou externes (événements critiques de la vie personnelle ou dans le cycle de vie familial, l'adolescence avec ses changements biologiques, sexuels, psychologiques), la décompensation schizophrénique s'installe avec émergence de symptômes caractéristiques tels qu'incohérence, hallucinations, délire.
L'un ou l'autre membre familial va nous confronter à ses interrogations inquiètes concernant :
Alors que la schizophrénie se retrouve chez environ 1% de la population, le risque augmente à 3% si vous avez un grand-parent, un oncle ou une tante schizophrène, à environ 10% si l'un des parents, un frère ou une sur est schizophrène, à 40% si les deux parents sont malades. Par ailleurs, nous savons que le taux de concordance pour la schizophrénie est de 35 à 50% chez les jumeaux monozygotes (sortis du même uf fertilisé et génétiquement identiques), de 10 à 17% chez les dizygotes.
Si l'existence d'une agrégation familiale de la schizophrénie et les résultats des enquêtes sur les jumeaux parlent clairement en faveur d'une composante génétique, il faut souligner que la génétique à elle seule ne saurait expliquer le développement de la maladie. Quatre-vingt-cinq pour cent des schizophrènes n'ont pas de parent au premier degré souffrant de cette affection et différentes études sur les familles adoptives, notamment celle réalisée en Finlande par Tienari3ont montré de façon convaincante que les préalables nécessaires à l'éclosion de la psychose sont la vulnérabilité génétique et un environnement générateur de stress. Il n'y a donc pas de raison que la famille soit tourmentée par un sentiment de honte concernant le patrimoine génétique.
Malheureusement les difficultés relationnelles conduisent de plus en plus les jeunes adultes vulnérables à consommer des drogues ; c'est ainsi que la comorbidité schizophrénie/toxicomanie peut atteindre 50%. Il faut expliquer à la famille que la toxicomanie à elle seule ne cause pas la schizophrénie, mais qu'elle peut jouer un rôle de déclencheur et surtout elle aggrave le pronostic en ce qu'elle augmente considérablement le risque de non-adhérence au traitement, de suicide, de rechute et de réhospitalisation.
Il faut arrêter de vouloir attribuer la schizophrénie au comportement fautif des parents, à une mère dominatrice ou hyperprotectrice, à un père passif et périphérique. L'horrible concept de la mère schizophrénogène devrait à tout jamais être banni de notre vocabulaire, car non seulement une telle désignation linéaire est fausse, mais cette culpabilisation injustifiée entrave l'établissement d'une «relation de partenariat», base de tout travail valable avec la famille.
S'il faut donc abandonner l'idée que dynamique et communication familiales puissent générer directement la schizophrénie, il faut par contre prendre en considération le fait que les troubles de cette communication peuvent contribuer à entraîner une rechute. En effet, dès les années 1950, différentes études4 ont constaté que le risque de rechute est étroitement corrélé au concept de «expressed emotion» (EE ; émotionnalité exprimée). On entend par là le nombre de remarques critiques et/ou le degré de sursollicitude anxieuse de l'entourage familial à l'égard du patient. Le risque de rechute est d'autant plus important que le schizophrène est en contact étroit avec un milieu familial à EE élevée (six commentaires critiques ou plus au Camberwell Family Interview, un instrument de mesure standardisé permettant d'évaluer l'intensité de EE). La situation la plus défavorable est celle du schizophrène qui se retrouve sans médication dans un milieu familial à haute fréquence d'échanges émotionnels et de remarques critiques.
Si la relation de causalité trop linéaire entre attitudes de l'entourage et rechute du patient (ne faut-il pas admettre des influences bidirectionnelles ?) peut être critiquée, il n'en reste pas néanmoins, qu'en fonction du modèle de vulnérabilité au stress développé par Zubin5 les individus avec une sensibilité génétique sont plus susceptibles de développer des symptômes quand ils sont exposés à ces facteurs environnementaux, il est fort possible qu'un patient impliqué dans des interactions à charge affective intense et à connotation négative soit soumis à un niveau excessif de stress ; une fois le seuil de tolérance dépassé la rechute s'amorce.
Il n'y a pas de prédictibilité individuelle. Le cours général de la maladie est plus favorable et plus protéiforme que pendant longtemps on ne le croyait. Plusieurs longues catamnèses, dont l'enquête de Lausanne réalisée par Luc Ciompi,6 parlent de 25-30% de guérison (état de rémission symptomatique avec fonctionnement social adéquat), 40-50% d'état résiduel léger et moyen avec rechutes psychotiques épisodiques, 30% d'invalidité psychique durable (symptomatologie psychotique persistante avec incapacité sociale).
Parmi les facteurs influençant l'évolution, on peut distinguer les facteurs de risque (vulnérabilité individuelle, stresseurs environnementaux) et les facteurs de protection tels que médicaments, soutien psychologique et psycho-éducatif, programmes de réinsertion socio-professionnelle, développement de compétences personnelles, vie régulière, programmes thérapeutiques et de soutien spécifiques pour la famille.
Vu l'origine multifactorielle et la grande variabilité individuelle de l'évolution, la prise en charge vise une articulation optimale entre facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux.
Sur cinq ans et sans neuroleptiques, seulement un patient sur six ne fait pas de rechute. Ces médicaments ne soignent pas la cause de la schizophrénie, mais ses symptômes (surtout positifs) en agissant sur différents récepteurs du cerveau. Il n'existe actuellement pas de neuroleptique idéal, agissant aussi bien sur les symptômes négatifs que positifs, et ne présentant pas d'effets secondaires. En ce qui concerne ces derniers, on peut dire que les neuroleptiques de la nouvelle génération en présentent moins.
Par rapport à la durée du traitement on peut se référer aux directives de la conférence de consensus :7en cas de premier épisode, au moins un à deux ans ; si deux épisodes et plus, au moins cinq ans ; chez les patients dangereux pour eux-mêmes et/ou l'entourage une durée illimitée est envisagée.
Il faut d'emblée insister sur la complémentarité du traitement médicamenteux et de l'approche psychothérapique qui peut se présenter sous différentes formes.
Il ne vise pas tant une réorganisation qu'un aménagement du fonctionnement mental. Le thérapeute cherche à lutter contre le manque de cohérence par la structuration et la mise en place de limites et rôles clairs. Il s'agit d'un accompagnement individualisé, ajusté aux capacités de chaque sujet, prenant en considération l'environnement familial et social, évoluant dans
le temps.
L'analyse phénoménologique de la narration autobiographique cherche à saisir de l'intérieur l'expérience subjective de la personne atteinte de schizophrénie. Le thérapeute aide le patient à renouer, autant que faire se peut, la «cassure» de son vécu psychotique à la trame d'un monde commun et de la sorte à pouvoir, ne fut-ce qu'en partie, se réapproprier son histoire.
L'entraînement cognitif cherche à améliorer les performances au niveau d'activités cognitives élémentaires ; les thérapies cognitives visent à identifier, à remettre progressivement en question, à modifier, en collaboration avec le patient, les distorsions cognitives à la base de ses symptômes schizophréniques.
Beaucoup de schizophrènes doivent apprendre ou réapprendre les habiletés sociales et interpersonnelles nécessaires pour s'intégrer de façon durable dans la communauté. C'est ainsi que plusieurs études ont montré que deux ans après un premier épisode 1/3 des patients présentaient un handicap social sévère, 1/3 un handicap moyen. La réhabilitation vise à optimiser les capacités persistantes du patient et à atténuer les difficultés résultant de conduites déficitaires que ce soit sur un plan interpersonnel, affectif, comportemental, neuropsychologique. L'entraînement des habiletés sociales cherche à améliorer le savoir-faire et le fonctionnement social par la fréquentation de groupes tels que groupe de conversation, groupe de résolution de problèmes interpersonnels, programme «éducation au traitement neuroleptique» (apprendre à gérer correctement la prise des médicaments et leurs effets secondaires), programme «contrôle des symptômes» (apprendre à gérer les symptômes persistants de façon qu'ils gênent le moins possible, à prévenir le stress, à repérer les signes précurseurs de rechute).
Le type de notre approche familiale peut être très variable. De façon générale nous essayons d'ajuster notre intervention à la famille et pas inversement. Bien sûr, elle est fonction de notre propre formation et du contexte professionnel dans lequel nous évoluons, mais elle doit aussi être adaptée à la disponibilité, aux ressources, à la phase du cycle de vie de la famille ; elle doit finalement s'intégrer dans un programme thérapeutique global.
La prise en compte de ces différents facteurs nous fait opter tantôt pour une thérapie d'orientation systémique tantôt pour une approche de soutien et d'orientation psychopédagogique. Sur la base de notre expérience nous estimons que la première option se prête bien aux situations correspondant à un épisode psychopathologique aigu, apparaissant comme l'expression d'une crise familiale avec débordement momentané des capacités d'autorégulation de ce groupe. Une redéfinition de la situation de crise dans un sens interpersonnel et interactif englobe certes la notion d'urgence, mais la dépasse en ce qu'elle contient aussi en germe l'opportunité d'une réorganisation maturante des processus relationnels dans le réseau familial. La seconde solution s'avère souvent plus pertinente lorsque nous avons affaire à un processus chronique, témoignant d'interactions familiales rigides. Toutefois, l'indication différentielle ne saurait être conditionnée de façon absolue par cette distinction.
Une intervention systémique se focalise d'emblée sur le contexte relationnel dans lequel évoluent le schizophrène et son entourage familial et tient compte de la causalité circulaire qui préside à la dynamique des influences réciproques entre personnes impliquées. Les symptômes psychotiques, au-delà de leur connotation psychopathologique, acquièrent la valeur d'une communication sur les divers processus relationnels qui sont en jeu au moment de leur apparition. Une telle recontextualisation implique que le sens ou la fonction des comportements symptomatiques sont appréhendés d'une façon différente en étant placés dans un contexte élargi et autre qui substitue l'utilité et le sens à l'improductivité et le non-sens. En fonction de la nature du problème posé, nous préconisons une approche «multidirectionnelle» telle que décrite en 1983 par Salem et Seywert.8 C'est ainsi que nous pouvons viser une restructuration de l'organisation familiale avec réduction des modes dysfonctionnels de la communication et des interactions ou alors nous focaliser davantage sur des comptes non réglés dans les générations précédentes en faisant participer du moins dans certaines séances des membres de trois générations. Cette perspective transgénérationnelle nous pousse à veiller au rééquilibrage de la balance des comptes du donné et du reçu, sachant que des comptes non réglés se transmettent à travers les générations. Nous considérons que notre tâche est d'enclencher un «processus d'autoguérison familiale» en nous efforçant de dégager et de mobiliser les puissantes forces profondément enracinées dans les relations familiales.
Si pour différentes raisons les parents ne peuvent ou ne veulent pas participer aux entretiens de famille, la pratique clinique nous a permis d'observer qu'un élargissement de la séance à la fratrie adulte comme préconisé par E. Tilmans-Ostyn,9 peut être un moment dynamique structurant en ce qu'il permet la restauration ou l'intensification des liens fraternels, le partage de réactions émotionnelles face à certains événements-clés traumatiques dans la trajectoire familiale, la correction de bien de malentendus, mythes et fausses croyances gravitant autour d'un vécu d'injustice, d'abandon, de rivalité, de besoin de revanche.
Une telle approche systémique, essentiellement orientée sur les ressources de la famille, est optimiste et ambitieuse, parfois peut-être trop, compte tenu des résultats obtenus avec d'autres interventions, des demandes formulées par la famille, de considérations d'ordre pratique et de formation des thérapeutes. Nous y reviendrons un peu plus loin après avoir brièvement situées les approches psycho-éducatives.
Sur la base du concept «expressed emotion», différents thérapeutes10 ont élaboré des programmes psycho-éducatifs qui visent à diminuer l'intensité des émotions exprimées de l'entourage familial et à apprendre aux patients à mieux faire face aux événements stressants familiaux et extrafamiliaux. Sur un plan pratique, il s'agit d'améliorer la compréhension et la tolérance de la maladie à travers une information qui se veut détaillée et déculpabilisante. En structurant un environnement de support dont les frontières sont claires et dont le soutien est facilement prévisible, ce genre d'intervention vise à réduire la surstimulation du patient et le stress de l'entourage familial ; il tend aussi à stimuler les relations sociales de la famille. De plusieurs enquêtes11 sur le pourquoi de l'efficacité d'une démarche psycho-éducative, il ressort que la majorité des personnes interrogées soulignent en premier lieu l'importance de la relation avec un thérapeute dont les qualités premières sont la chaleur humaine et l'empathie. Parmi les facteurs relevés comme étant les plus utiles, 70% concernent une meilleure connaissance et compréhension de la maladie (surtout la schizophrénie), 66% l'impression subjective d'être aidé et soutenu, 63% l'existence d'une possibilité de secours en cas d'urgence.
On peut dire qu'actuellement à Lausanne, nous préférons nous focaliser plutôt sur les complémentarités que sur les divergences entre approches thérapeutiques. Au fil des années nous avons fait l'expérience que lorsqu'on s'adresse aux ressources familiales plutôt que de se centrer sur la psychopathologie, la famille produit moins de dysfonctionnements relationnels pathogènes. Dès lors nos interventions sont orientées dans la mesure du possible sur les ressources de la famille. Mais dans certaines familles, la tolérance au stress peut être tellement faible qu'il faut plutôt envisager une thérapie de soutien et se centrer surtout sur la dimension du handicap provoqué par la maladie mentale. C'est là que les programmes psycho-éducatifs ont leur place ; il faut reconnaître qu'une telle approche a le mérite d'être plus facilement accessible à des thérapeutes débutants et peut être considérée comme plus réaliste dans certaines évolutions schizophréniques et dans certains programmes de réhabilitation.
Depuis avril 1996 a été mis en place à Lausanne un programme d'information destiné aux proches de patients schizophrènes. Le but de ce programme, inspiré de celui mis au point par l'Unité de psychiatrie sociale et préventive de l'Université de Laval au Canada, est de permettre aux proches de préserver la meilleure qualité de vie possible. Par les informations reçues et l'échange des expériences vécues, familles et proches seront mieux aptes à faire face aux problèmes qu'implique la vie en commun avec un schizophrène. Le programme, organisé en dix séances hebdomadaires de deux heures et groupant environ dix personnes et trois professionnels, comprend une information sur les causes, manifestations, pronostic et traitement de la schizophrénie et vise à développer les habiletés à mieux communiquer, à établir des limites, à avoir des sentiments d'estime de soi et de confiance personnelle, à présenter des attentes réalistes, à recourir à l'aide nécessaire, à créer et à maintenir un réseau de soutien social.
Ici une remarque importante s'impose : tout en développant de plus en plus l'approche psycho-éducative avec les familles hébergeant un schizophrène, nous n'adhérons pas aux formulations neuro-biologiques réductionnistes de certains thérapeutes nord-américains qui cherchent à réduire la schizophrénie à un «simple trouble cérébral» tel un ictus et qui dès lors négligent complètement le «comment existentiel» des phénomènes psychopathologiques. En admettant que le substrat neuro-anatomique cérébral supposé présent dès la période périnatale ne saurait à lui seul déterminer et expliquer l'ensemble de la symptomatologie schizophrénique, mais que celle-ci est aussi en grande partie le reflet de l'histoire relationnelle singulière du sujet, nous pouvons envisager une intégration entre approches biologiques, psychothérapeutiques, psychosociales et familiales.
Quelle que soit la technique d'intervention familiale choisie, nous n'avons pas le droit d'ignorer qu'au moment de l'hospitalisation d'un des siens, la famille se trouve dans une situation de stress important. Dès lors, l'un des premiers buts de toute thérapie devrait être de créer dans les meilleurs délais une relation significative avec la famille, à travers la compréhension empathique de leurs souffrances et de leurs angoisses. Il faut absolument éviter de mettre la famille, déjà éprouvée par ce qui lui arrive, sur le banc des accusés, en se gardant d'interpréter les corrélations que l'on peut faire entre dynamique familiale et maladie individuelle dans le sens d'une relation unidirectionnelle de cause à effet ; il s'agit bien d'un phénomène circulaire. Dans toute la mesure du possible, nous cherchons à impliquer les différents membres familiaux en les responsabilisant et en les associant activement aux décisions à prendre. Dans certaines circonstances, le but de nos interventions peut, à première vue, paraître limité et peu spectaculaire ; notamment lorsqu'il s'agit, par exemple de se contenter du suivi régulier d'un programme de réadaptation ou de discuter du placement ou du maintien dans un foyer protégé.12
Un dernier mot concernant les potentialités évolutives de la famille. Au départ, il est très difficile d'évaluer les ressources réelles d'une famille ; en tous les cas, il faut éviter de vouloir les déduire à partir du diagnostic individuel du patient psychotique. En effet, ce n'est qu'au travers de nos interactions avec elle, que nous pouvons obtenir une estimation du potentiel de croissance de la famille. Et ceci implique que nous devons d'abord la rencontrer.
1. Eviter la surstimulation : risque d'exacerber la symptomatologie floride.
a) Fixer des objectifs de vie atteignables, notamment des visées réalistes concernant le travail.
b) Aménager un environnement structuré et prévisible pour réduire le stress :
I tâches quotidiennes de routine ;
I essayer de résoudre un problème après l'autre ;
I permettre au patient de pouvoir s'isoler de temps en temps ;
I atmosphère calme ; ne pas crier, éviter que plusieurs personnes ne parlent en même temps, ne pas faire des phrases trop longues ;
I lignes de conduite prévisibles de l'entourage.
c) Dans toute la mesure du possible éviter les remarques trop critiques concernant le comportement du patient. Les proches ont souvent pas mal de raisons de critiquer le comportement du patient ; il faut dès lors les aider à pouvoir prendre une certaine distance. Par ailleurs, des prestations même modestes doivent être valorisées.
2. Eviter la sous-stimulation qui favorise la régression. Pas de ménagement exagéré qui essaie d'enrober la réalité dans du coton. Donc : faire des choses avec le patient, pas à sa place.
3. Respecter les prescriptions médicales ; garder le contact avec le médecin traitant.
4. Savoir reconnaître les signes précurseurs de rechute : diminution de la concentration et de l'attention, diminution des intérêts et motivations, fond dépressif, troubles du sommeil, anxiété, retrait social, méfiance, dysfonctionnement dans les rôles sociaux, irritabilité.
5. En phase de stabilisation (notamment à la sortie de l'hôpital), établir d'un commun accord des normes réglant les comportements acceptables dans le milieu familial. Des limites fermes sont fixées par des consignes claires.
6. Encourager très progressivement les manifestations d'indépendance du patient.
7.Mesures d'autoprotection. Tout en aidant le patient à avoir la qualité de vie la meilleure possible, les proches revendiquent le même droit pour eux-mêmes, c'est-à-dire ils doivent pouvoir préserver leurs intérêts existants et leur vie privée. Pour réaliser ceci, ils peuvent avoir recours aux associations de familles de malades atteints de schizophrénie, aux groupes d'entraide des proches, au programme psycho-éducatif Profamille, aux brochures informatives sur la schizophrénie.
Fort d'une expérience de plus de trente ans avec des patients psychotiques, l'auteur est de plus en plus persuadé que nous devons mettre tout en uvre pour impliquer activement les familles dans nos programmes thérapeutiques. Une collaboration authentique avec l'entourage familial peut être utile, voire nécessaire, pour garantir le succès d'un tel projet thérapeutique ; cette démarche s'avère profitable tant au patient qu'aux proches en ce qu'elle permet d'améliorer la qualité de vie des uns et des autres et de modifier favorablement l'évolution du syndrome schizophrénique. Mais pour vivre et travailler ensemble, il faut d'abord rencontrer la famille, apprendre à la connaître, reconnaître sa souffrance existentielle mais aussi ses ressources, instaurer dans les meilleurs délais une relation significative, (co-)créer une alliance thérapeutique basée sur une relation de partenariat.
Pour conclure, nous aimerions citer le Pr Gaetano Benedetti, grand psychothérapeute des schizophrènes, qui lors d'un entretien réalisé fin 1998 à Bâle13 a répondu à notre question ce qu'il pourrait dire à une famille hébergeant en son sein un schizophrène comme suit :
«J'insisterais sur le fait que la psychothérapie constitue une psychiatrie de l'espoir, que dans les entretiens de famille la détresse, qui dans cette phase du cycle de vie est plus prégnante pour tous les membres, peut, grâce au soutien de thérapeutes expérimentés, être intégrée de façon telle qu'il en résulte : aide, réconfort et compréhension ; que par ailleurs de tels entretiens de famille constituent une contribution essentielle à la guérison du patient ; que l'une ou l'autre remise en question thérapeutique du comportement de la famille ne doit pas être comprise comme mise en accusation. En effet, des erreurs psychologiques qui deviennent manifestes au moment de la maladie d'un membre, sont en dernière analyse la suite d'erreurs dont nous, les parents, avons été les victimes dans notre propre enfance, que donc une telle «culpabilité tragique» ne constitue finalement qu'une innocence existentielle».
Nous ne voyons pas ce que nous pourrions ajouter aux paroles de ce grand psychothérapeute, à ce message d'espoir imprégné d'une humanité profonde.