La psycho-éducation consiste à éduquer le patient et sa famille dans des domaines tels que l'acceptation de la maladie et la coopération active au traitement. Conçue initialement pour amé-liorer la prise en charge des patients schizophrènes, elle s'est développée ces vingt dernières années et est actuellement large-ment utilisée dans les troubles affectifs. Cet article donne un aperçu des principes de psycho-éducation pour la dépression et pour les troubles bipolaires.
Le droit à l'information constitue aujourd'hui un volet important de l'intervention en médecine et en psychiatrie qui fait en sorte que le patient bien informé assume, de façon éclairée, une responsabilité dans son traitement. La psycho-éducation est issue de ce changement de mentalité, et est maintenant scientifiquement recommandée au terme de nombreuses études de validation, particulièrement dans le domaine de la schizophrénie.1 Elle recouvre sous diverses appellations des éléments que nous allons tenter de présenter dans cet article. Selon Goldman, elle peut se définir comme «l'éducation ou formation d'une personne souffrant d'un trouble psychiatrique dans des domaines qui servent des objectifs de traitement et de réadaptation (l'acceptation de la maladie, la coopération active au traitement et à la réadaptation, l'acquisition d'habiletés compensant les déficiences liées au trouble psychiatrique)».2La psycho-éducation s'applique aussi bien au patient qu'à sa famille, car les maladies affectives représentent aussi une charge émotionnelle considérable pour l'entourage du patient. Elle trouve son indication majeure dans les pathologies psychiatriques chroniques et/ou invalidantes (schizophrénie, trouble schizo-affectif, trouble bipolaire, dépression isolée ou récurrente). Elle est faite par des professionnels formés et qualifiés et représente un acte thérapeutique créant un rapport de partenariat entre le patient et le soignant. Elle ne se substitue pas aux autres formes de traitement, comme le traitement pharmacologique et l'ensemble des approches psycho-sociales.
Conçue initialement comme une approche familiale (le mot «psycho-éducationnel» a été utilisé pour la première fois en 1980 par Anderson, Hogarty et Reiss), la psycho-éducation est une méthode d'intervention mise au point pour la schizophrénie ; elle a porté d'emblée sur un matériel didactique et des stratégies thérapeutiques propres à favoriser la gestion du stress par tous les membres de la famille grâce à l'amélioration des habiletés de communication et des stratégies de résolution de problèmes. Des parents bien renseignés deviennent des intervenants efficaces dans les diverses phases de la maladie. L'approche psycho-éducative place la famille dans un rôle d'allié, de collaborateur, pour aménager un environnement capable d'accélérer le traitement et de prévenir les rechutes. Dans les vingt dernières années, la psycho-éducation s'est généralisée à de nombreux troubles psychiatriques, notamment dans le domaine des troubles affectifs, maladies courantes et sévères, bien qu'encore souvent mal reconnues et insuffisamment traitées.
Quelle que soit sa forme, la thérapie psycho-éducative met en jeu trois dimensions :3
Il s'agit de partager avec pédagogie, de façon claire, structurée et objective, les connaissances que nous possédons actuellement sur la maladie et d'en discuter avec le patient et sa famille. Comme Bachrach le mentionne très justement : «chaque fois que nous utilisons une pensée floue et des concepts imprécis dans nos soins aux patients, nous augmentons notre potentiel déjà considérable de confusion et d'obstacles pour les patients handicapés dans leur psychisme».2Loin de chercher à convaincre à tout prix, cet enseignement a pour buts de lever des malentendus, d'apporter des données étayées scientifiquement et surtout de proposer une nouvelle conceptualisation de la maladie, qui fournira un cadre de référence commun. Ces informations sont traditionnellement données de façon informelle et fragmentaire durant les consultations. Au contraire, la psycho-éducation propose une démarche d'enseignement structurée, progressive et étalée dans le temps. Pour la dépression, les données et les points-clés à aborder sont :
Les modifications de l'humeur sont habituellement reconnues dans la population comme le seul symptôme de la dépression, alors que le ralentissement moteur, les troubles du sommeil, la perte d'énergie, les difficultés cognitives et les modifications du comportement social sont tout aussi essentiels au diagnostic. Ainsi, on demande au patient d'identifier ses symptômes et de les lister par catégories sur un tableau (tableau 1).4 I1 faut insister sur leur multiplicité et le large spectre des symptômes dépressifs, ainsi que les variations possibles dans leur sévérité. Décrire leur impact sur le fonctionnement social, dans la famille et au travail.
Un message très important est de valider de façon non équivoque que la dépression est une maladie sur laquelle le patient ne peut pas exercer de contrôle volontaire. Etablir un parallèle entre la dépression majeure et d'autres maladies somatiques courantes et chroniques telles que le diabète ou l'hypertension. Clairement distinguer la maladie dépressive du «blues» normal et occasionnel, dans le cadre des variations émotionnelles normales (fig. 1.).5
Les théories étiologiques sont à ce jour variées et complexes, à la fois génétiques, biologiques, développementales, interpersonnelles, consécutives au stress ; aucune explication n'est la cause unique chez un patient donné. Il est utile de transmettre que c'est en observant ses effets et conséquences que l'on peut mieux comprendre ce qu'est la maladie dépressive. Il est aussi important d'aider le patient à ne pas s'enferrer dans une recherche de causalité, qui reflète souvent la tendance à l'hyper-responsabilisation et à la culpabilité. Un message important à transmettre concerne la haute prévalence des troubles affectifs, et notamment des troubles dépressifs (9 à 15% de la population générale).
La discussion doit couvrir à la fois les traitements pharmacologiques et psychologiques ; expliquer schématiquement les mécanismes d'action des antidépresseurs ; les psychotropes à adjoindre facultativement (anxiolotiques, somnifères ou neuroleptiques, principalement). Présenter leurs effets secondaires habituels et leur incidence. Insister sur la variation et la tolérance individuelle dans les effets secondaires et discuter la crainte fréquente d'une dépendance aux antidépresseurs. Les différents modèles de psychothérapies (thérapie cognitivo-comportementale, de soutien, psychanalytique, thérapies groupales, interpersonnelle, systémique) devraient également être clarifiés. L'indication à un type particulier de psychothérapie est à poser par un psychiatre. Relevons d'ailleurs que la psycho-éducation est probablement en soi une forme de psychothérapie.2
Informer du haut risque de récurrence (50%) sur l'existence, et du très haut risque de récurrence (80%) à partir de trois épisodes pour la dépression unipolaire ; la nécessité de poursuivre le traitement sur une année après un épisode isolé est une notion maintenant scientifiquement établie à expliquer au patient. Plus d'un tiers des patients sont non compliants, et les facteurs de non-compliance incluent le déni de la maladie, le négativisme du dépressif avec parfois un sentiment d'incurabilité, des traits de personnalité compromettant l'alliance, le manque de compréhension, les effets secondaires, la polypharmacie ou la complexité du traitement.
C'est la prise en compte de problèmes sensibles et incontournables : elle comprend la révélation du diagnostic et prend toute son importance pour le patient bipolaire en raison de la chronicité et de la sévérité de la maladie. Une bonne approche consiste à aborder le patient sous l'angle de la souffrance psychique associée à des symptômes. Le thérapeute peut ensuite amener le patient à donner un nom à cette souffrance et proposer un diagnostic. L'étape suivante est d'amener la personne à consentir à son traitement et à renforcer l'espoir d'une amélioration.3 Il est également important que les familles soient informées avec tact du diagnostic et des possibilités thérapeutiques. Il faut aussi aborder les croyances extrêmement répandues dans la population générale au sujet de la dépression telles qu'elle est synonyme de faiblesse morale ou de paresse et suscite un sentiment de honte, ce qui pousse les dépressifs à essayer de s'en sortir tout seul.
Il s'agit de stratégies particulières qui ont pour but la modification des comportements. Dans la dépression, elle consiste en la mise en uvre d'une activation et d'une mobilisation. En effet, il est essentiel de souligner que l'asthénie dépressive ne se soigne pas par le repos ou le sommeil, mais par la reprise d'activité. Il faut également recommander des activités régulières procurant un sentiment de contrôle et de plaisir, et encourager la resocialisation.
Par ailleurs, la perturbation des rythmes sociaux (tels que le rythme veille-sommeil, horaires de travail, repas, etc), a été associée au déclenchement et/ou au maintien d'un épisode affectif. L'hypothèse est que la perturbation des rythmes sociaux va dérégler les rythmes circadiens et les horloges biologiques internes, ce qui à son tour, va avoir des répercussions sur l'humeur.6 Dans ce contexte, un instrument a été mis au point pour évaluer et quantifier les rythmes sociaux d'un individu sur plusieurs semaines.7Sous forme d'auto-questionnaire, cet instrument est rempli quotidiennement par le patient. Celui-ci peut donc apprendre à identifier quels sont les facteurs de son environnement qui peuvent déstabiliser ses rythmes sociaux, et quels changements de rythmes sont associés à des variations d'humeur. Initialement développée pour les patients dépressifs, cette approche a ensuite été appliquée aux patients souffrant d'un trouble bipolaire.
Le trouble bipolaire (ou anciennement maniaco-dépression) est une maladie mentale chronique et invalidante. Elle débute classiquement à l'adolescence ou à l'âge adulte jeune et s'accompagne fréquemment d'une mauvaise compliance au traitement. De plus, les épisodes maniaques et dépressifs peuvent être très difficiles à gérer par le conjoint et l'entourage. La psycho-éducation revêt donc une importance particulière dans la prise en charge des troubles bipolaires. Une étude récente a confirmé le bénéfice de l'approche psycho-éducative pour améliorer l'évolution de la maladie.8 Dans cette étude contrôlée et randomisée, un psychologue relativement peu expérimenté a montré aux patients comment reconnaître leurs signes précoces de rechute. Ceux-ci devaient également élaborer un plan d'action personnel en cas de signes de rechute, ce plan étant réduit au format carte de crédit et gardé dans le porte-monnaie. Les patients qui avaient suivi cette approche sont restés plus longtemps en rémission et avaient un meilleur fonctionnement socio-professionnel après dix-huit mois de suivi, comparé aux patients qui avaient suivi la prise en charge habituelle.
Dans le domaine des psychothérapies s'appuyant sur la psycho-éducation, une thérapie groupale selon une approche structurée a été élaborée par Bauer et Mc Brides.5 La première phase de ce programme consiste en cinq séances purement psycho-éducatives, dont le but est d'apprendre aux participants à mieux connaître la maladie bipolaire et à établir leur profil personnel de manie et de dépression, ainsi qu'un plan d'action à suivre en cas de signes de rechute. Lors de la seconde phase, qui va durer plusieurs mois, chaque participant identifiera un ou plusieurs objectifs personnels dans un domaine de la vie (professionnel, social, loisirs, etc.) qu'il n'a pas pu réaliser à ce jour en raison de sa maladie. Une étude récente a montré que cette approche groupale pouvait être transmise avec fiabilité et appliquée de manière reproductible par différents thérapeutes sur plusieurs sites de soins.9 L'efficacité d'une telle méthode sur la durée de rémission, la fréquence des hospitalisations et le fonctionnement socio-professionnel est actuellement en évaluation.