L'exercice physique régulier protège contre le risque cardiovasculaire. Il est vraisemblable que cette protection soit partiellement due à une influence sur la biologie de l'endothélium vasculaire. En effet, on sait que les forces de frottement (shear stress) engendrées par l'écoulement sanguin sur la paroi des vaisseaux influencent la biologie des cellules endothéliales dans un sens qui s'oppose à certains événements-clés survenant à leur niveau dans la pathogenèse de l'artériosclérose. L'activité physique s'accompagne d'une augmentation des vitesses d'écoulement sanguin et du shear stress. Il est donc logique de postuler que par ce biais, elle influence la fonction endothéliale dans un sens protecteur. Dans la présente mise au point, nous passons en revue les arguments expérimentaux et cliniques en faveur de cette hypothèse.
La sédentarité est l'un des facteurs de risque cardiovasculaire classique. Inversement, les effets protecteurs de l'activité physique contre les maladies cardiovasculaires sont admis, tant au niveau de la prévention primaire, que secondaire ou même tertiaire.1 Les effets bénéfiques de l'activité physique relèvent de mécanismes variés, complexes, et sans doute encore incomplètement élucidés. Parmi les candidats possibles, il faut compter les profondes répercussions que l'exercice physique a très probablement sur la biologie de l'endothélium vasculaire. En effet, celui-ci est un acteur de premier ordre dans la pathogenèse de l'artériosclérose, de l'hypertension artérielle, de l'insuffisance cardiaque, ou des complications vasculaires du diabète.2-4 Les données expérimentales et cliniques liant effectivement les actions de l'exercice physique sur la fonction endothéliale et sur le risque cardiovasculaire commencent à s'accumuler. Le but de la présente mise au point est de les présenter de manière résumée.
L'endothélium vasculaire tapisse la lumière de la totalité des structures constituant le système cardiovasculaire, ce qui représente chez l'adulte une surface d'environ 700 m2. On peut estimer sa masse totale à 1,5 kg.5 Il est constitué de cellules disposées en monocouche, d'une forme en général allongée parallèlement à la direction du flux sanguin. Jusqu'en 1980, on pensait que l'endothélium servait principalement de barrière passive entre le sang et le reste de la paroi vasculaire. Cette année-là, Furchgott et Zawadski ont publié leur description désormais célèbre des effets vasomoteurs de l'acétylcholine (Ach) sur l'aorte isolée de lapin : l'Ach produisait une relaxation des segments de vaisseau dont l'endothélium était intact, mais pas de ceux où il avait été sélectivement détruit. Dans ces derniers, la relaxation à l'Ach pouvait être rétablie par co-incubation avec des segments pourvus d'endothélium.6 Ainsi se trouvait démontré pour la première fois que l'endothélium peut moduler le tonus des cellules musculaires lisses voisines en produisant (dans ce cas sous stimulation muscarinique) un ou des facteurs vaso-actifs diffusibles. Une décennie plus tard, l'un d'entre eux s'est révélé être le monoxyde d'azote (NO), produit par oxydation de l'arginine en citrulline sous l'action d'un enzyme dénommé NO synthase (NOS).7 La NOS est présente dans la membrane des cellules endothéliales. Elle est capable d'accroître son activité sous l'influence de différents événements, par exemple la stimulation des récepteurs muscariniques (comme dans les expériences de Furchgott et Zawadski), une augmentation de la concentration de thrombine,8 ou encore le shear stress (voir plus bas). L'augmentation de la concentration du calcium cytosolique joue un rôle très important dans l'activation de la NOS endothéliale.9
Le tableau 1 résume les fonctions actuellement reconnues à l'endothélium vasculaire, qui apparaît de fait comme un organe massivement autocrine, paracrine et endocrine. Il faut insister sur le caractère hautement interdépendant et intégré des différents aspects de la fonction endothéliale. Par exemple, le NO, ainsi que la prostacycline également produite par les cellules endothéliales, sont non seulement vasorelaxants, mais inhibent encore l'agrégation plaquettaire, l'adhésion leucocytaire, et la prolifération cellulaire. Des actions inverses sont exercées par les vasoconstricteurs mentionnés dans le tableau 1. Comme autre exemple d'interaction, un facteur de croissance synthétisé par les cellules endothéliales (VEGF) est capable de stimuler leur production de NO.10
De manière générale et schématique, l'endothélium se trouve dans un état soit quiescent, soit activé.11,12 Dans l'état quiescent prédominent les aspects vasodilatateur, antithrombotique, anti-inflammatoire et antiprolifératif de la fonction endothéliale. Le contraire est valable pour l'état activé. L'état quiescent est plutôt caractéristique de la normalité. L'activation, favorisée par les facteurs de risque tels que l'hypertension artérielle, le tabagisme, le diabète, l'augmentation du taux sanguin de LDL, ou l'hyperhomocystéinémie, est un phénomène absolument crucial dans la pathogenèse de l'artériosclérose.2 Elle semble également jouer un rôle dans la physiopathologie de l'insuffisance cardiaque.13,14
Les termes d'activation endothéliale et de dysfonction endothéliale sont à peu près synonymes. La dysfonction endothéliale se réfère plus particulièrement à la perte de la fonction vasodilatatrice, qui est la plus facilement observable.
On désigne sous ce nom la force exercée localement sur la face luminale de la paroi vasculaire, dans une direction longitudinale, par le frottement du sang en mouvement. Pour sa quantification, le shear stress est rapporté à la surface concernée, et s'exprime donc en dyne/cm2. Toute augmentation du shear stress stimule la production endothéliale de NO et de prostacycline, entraînant de ce fait une augmentation de diamètre du vaisseau ; toute diminution de cette force hémodynamique a les effets contraires. Dans le système artériel, cette régulation est à la base du phénomène désigné sous le terme de vasodilatation induite par le flux. Elle permet généralement le maintien du shear stress à l'intérieur d'une plage allant de 15 à 30 dyne/cm2.12 In vitro, des cellules endothéliales exposées à un accroissement du shear stress soutenu plus de une à deux heures voient leur phénotype se modifier dans le sens d'une plus grande quiescence, avec notamment une augmentation de l'expression de la NOS,15,16 de la PGI2 synthétase,16 et de l'activateur tissulaire du plasminogène,17,18 une moindre expression de l'enzyme de conversion de l'angiotensine19 et des molécules d'adhésion leucocytaire,20 une diminution de la production de certains facteurs de croissance ;21 de plus, la fréquence des cellules apoptotiques décroît.22,23 En cas de valeurs très basses du shear stress (0-4 dyne/cm2), le phénotype se déplace au contraire du côté de l'activation. In vivo, ces effets du shear stress sur l'endothélium sont plus difficiles à observer pour des raisons techniques, mais il est hautement vraisemblable qu'ils existent aussi. Par exemple, l'induction expérimentale chez le rat d'un haut débit par création d'une fistule aorto-cave accroît la transcription du gène codant pour la NOS dans l'aorte thoracique.24 Chez l'homme, l'activation de l'endothélium hémodynamiquement peu sollicité permettrait de comprendre la localisation élective des plaques d'artériosclérose aux bifurcations, sur les faces opposées au diviseur de flux.12La mécanique des fluides indique en effet que sur ces sites particuliers, le shear stress est très bas (fig. 1).
L'exercice physique augmente le débit cardiaque, ainsi que la perfusion du myocarde, de la musculature squelettique, et de la peau.25 Il est probable ou certain qu'il en résulte un accroissement du shear stress dans les lits vasculaires desservant ces territoires, ainsi que dans toutes les artères de gros calibre. La quiescence de l'endothélium devrait s'y trouver renforcée, ou son activation éventuelle freinée. De nombreuses études expérimentales viennent à l'appui de ce scénario. Chez le chien,26 le porc27 et le rat,28,29 quelques semaines d'activité physique imposée journellement (séances de tapis roulant, nage) suffisent pour entraîner des modifications observables de la fonction endothéliale dans des vaisseaux aussi divers que l'aorte,29 les artères coronaires proximales et distales,26,27 et les artérioles des muscles squelettiques.28 Les modifications rapportées sont d'une grande cohérence : augmentation de la vasodilatation dépendant de l'endothélium, induite soit par le flux sanguin soit par des agonistes tels que l'acétylcholine, augmentation de la production basale et stimulée de NO, voire de prostacycline, augmentation de l'expression de la NOS endothéliale. D'un intérêt tout particulier sont les travaux réalisés dans des modèles de pathologie. Par exemple, des rats rendus insuffisants cardiaques par la ligature d'une artère coronaire développent en quelques semaines une atténuation de la vasodilatation induite par le flux, telle qu'on peut l'observer sur des artérioles prélevées dans un territoire musculaire et perfusées ex vivo. Cette anomalie est partiellement prévenue si, dans les suites de l'obstruction coronaire, on accroît l'activité physique de l'animal en l'obligeant à nager régulièrement.30 Des résultats similaires ont été obtenus dans un modèle différent d'insuffisance cardiaque chronique, induit par pacing ventriculaire rapide chez le chien.31 Finalement, l'exercice corrige en partie la dysfonction endothéliale qui se développe chez les souris présentant une hypercholestérolémie liée à une déficience génétique en apolipoprotéine-E.32L'accumulation de telles données expérimentales a stimulé l'investigation chez l'homme des liens entre fonction endothéliale et activité physique.
L'exploration de la fonction endothéliale chez l'animal fait souvent appel aux préparations de vaisseaux isolés. Chez l'homme, il est difficile d'être aussi direct, pour d'évidentes raisons éthiques. Il est néanmoins possible d'examiner la vasodilatation induite par l'infusion sélective d'Ach dans certains lits vasculaires, tels que la circulation coronaire,33 ou la musculature squelettique de l'avant bras.34 Les doses d'Ach ainsi administrées sont dépourvues d'effets systémiques, et la réponse endothélium-dépendante est appréciée par l'augmentation du flux sanguin régional (échographie Doppler par capteurs introduits dans une artère coronaire, pléthysmographie par jauge de contrainte au niveau de l'avant-bras). Une réponse contrôle, non dépendante de l'endothélium, peut être obtenue par l'administration d'un dérivé nitré ou de nitroprussiate de sodium. La production basale de NO par l'endothélium peut aussi être inférée dans ces mêmes lits vasculaires par l'observation de la vasoconstriction induite par l'application d'un inhibiteur de la NOS, tel que la monométhyl-argininie (L-NMMA). Il s'agit là de méthodes invasives et techniquement complexes, qui pour ces raisons ne se prêtent pas à un usage courant. Une autre option est d'évaluer l'augmentation du diamètre de l'artère humérale au cours d'une épreuve d'hyperémie réactive, réponse dont le mécanisme est la stimulation de l'endothélium par le shear stress consécutif à l'accroissement du flux sanguin.
Le diamètre du vaisseau étant obtenu par ultrasonographie, cette méthode a l'avantage d'être strictement non invasive.35
L'application de ces méthodes a fourni des résultats généralement congruents avec les données animales décrites plus haut. Comme étude prototypique, on peut citer celle de Kingwell et coll., qui ont comparé des athlètes très fortement entraînés (triathlon ou cyclisme) et des volontaires sains de même sexe et d'âge similaire.34 Observée dans l'avant-bras, la réponse vasodilatatrice à l'infusion intra-artérielle d'Ach, mais non de nitroprussiate de sodium, était plus marquée dans le premier groupe. Il est intéressant de remarquer que l'activité physique n'a pas besoin d'être très importante pour avoir de tels effets. Ainsi, la vasodilatation endothélium-dépendante a-t-elle pu être distinctement accrue chez des sujets sédentaires par l'adhésion à des programmes d'entraînement tout à fait raisonnables, par exemple trois fois trente minutes par semaine de bicyclette ergométrique à 65% de la puissance maximale,36 ou encore trente minutes de marche rapide à raison de cinq à sept fois par semaine.37,38
D'un intérêt encore plus grand pour le clinicien, des données commencent à s'accumuler concernant les effets de l'entraînement physique sur la fonction endothéliale dans l'insuffisance cardiaque39-42 et les maladies coronariennes.33 Ainsi, dans un groupe de sujets souffrant d'une insuffisance cardiaque de classe NYHA II ou III, on a rapporté qu'un programme d'exercice physique adapté (bicyclette ergométrique à domicile) poursuivi régulièrement durant six mois entraînait dans le membre inférieur une augmentation de la vasodilatation induite par l'Ach, ainsi que de la production basale de NO. Durant la même période, la capacité maximale d'effort aérobique (VO2max) s'améliorait, et ses changements chez les patients individuels étaient corrélés aux modifications observées de fonction endothéliale. Dans le groupe contrôle non soumis au programme d'exercice, aucune de ces modifications ne s'est produite.41 Une autre étude vient de montrer chez des coronariens que quatre semaines d'activité physique régulière et programmée pouvaient suffir à améliorer de façon importante la fonction endothéliale d'artères coronaires épicardiques porteuses d'une sténose non critique.33
Pour éviter de tomber dans une pensée simpliste, il faut considérer les limites des observations que nous venons de survoler. Premièrement, la vasodilatation endothélium-dépendante n'est pas obligatoirement favorisée par l'entraînement physique.43,44 Deuxièmement, hormis sa facette régulatrice du tonus vasomoteur, la fonction endothéliale est très difficile à étudier in vivo, tout particulièrement chez l'homme. On ne sait donc pas à l'heure actuelle si l'effort physique favorise réellement la quiescence de l'endothélium au sens plein défini plus haut. Troisièmement, l'adaptation à l'effort est un phénomène complexe qui ne saurait se réduire à une amélioration de la fonction endothéliale. De fait, il n'est pas prouvé que l'association rapportée entre les effets de l'exercice sur la vasodilatation endothélium-dépendante et sur la capacité maximale d'effort aérobique34, 40,41 relève d'un lien de causalité.
En dépit de ces réserves, l'avancée des con-naissances sur la biologie de l'endothélium, sur son rôle dans la pathogenèse des maladies cardiovasculaires, et sur la manière dont il est influencé par les forces hémodynamiques, jointe aux observations expérimentales et cliniques concernant les effets de l'entraînement physique sur la fonction endothéliale in vivo, rendent fort plausible son importance dans la chaîne causale liant exercice et réduction du risque cardiovasculaire.