L'adoption de la nouvelle loi sur la santé fribourgeoise le 16 novembre 1999 par le Grand Conseil marque une étape importante dans le développement récent des législations sanitaires cantonales romandes. Cette loi constitue une synthèse du droit de la santé qu'il est intéressant de mettre en perspective avec les autres lois cantonales dont elle est inspirée. Une analyse comparative de ces lois sous l'angle des droits des patients permet d'ailleurs de constater leurs nombreux points de convergence. Un mouvement d'harmonisation, voire d'uniformisation est clairement engagé, les lois cantonales reproduisant en fait une tendance qui se retrouve au niveau international.
En date du 16 novembre 1999, le Grand Conseil du canton de Fribourg a adopté une nouvelle loi sur la santé1 qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2001. Cette loi qui remplacera la loi du 6 mai 1943 sur la police sanitaire2 marque un aboutissement dans la réforme des législations sanitaires romandes. Le canton de Fribourg demeurait en effet le seul à ne pas avoir adapté sa loi dans les domaines des droits des patients et de la promotion de la santé, mais aussi en matière de réglementation des professions de la santé et des institutions sanitaires. En «tardant» de la sorte, il a toutefois pu bénéficier de l'expérience des nombreux cantons qui ont récemment révisé leur législation sanitaire et la dernière jurisprudence du Tribunal fédéral ainsi que la doctrine foisonnante en la matière ont également pu être pris en considération. La loi du 16 novembre 1999 sur la santé constitue ainsi une synthèse de l'état actuel du droit de la santé. Comme il ressort du message du 23 mars 1999 du Conseil d'Etat accompagnant le projet de loi sur la santé, cette révision totale répondait à un triple impératif : premièrement, celui d'introduire dans la législation des dispositions expresses concernant les droits des patients ; deuxièmement, celui de mieux asseoir les nouveaux outils de contrôle de qualité et de contrôle des coûts introduits par la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance maladie (LAMal) et, troisièmement, celui de développer une législation souple et moderne permettant de mieux s'adapter aux nombreux changements marquant un secteur de santé en plein développement, par exemple dans le domaine de la promotion de la santé et la prévention des maladies et accidents ou celui de la réglementation des professions de la santé.
Concrètement, le projet transmis au Grand Conseil s'appuyait largement sur la loi valaisanne sur la santé du 9 février 1996 qui partage les mêmes objectifs. Les lois fribourgeoises et valaisannes devraient ainsi constituer un important facteur d'harmonisation des différentes législations romandes. En effet, le canton de Vaud révisant actuellement sa loi sur la santé publique du 29 mai 1985 et le canton de Neuchâtel ayant entamé la rédaction des règlements d'exécution de sa loi de santé du 6 février 1995, il faut s'attendre à ce qu'ils reprennent, du moins partiellement, les solutions choisies en Valais et à Fribourg. La mise en réseau d'hôpitaux régionaux, dans le Chablais et dans la Broye, rend d'ailleurs particulièrement souhaitable une harmonisation de la loi vaudoise avec la législation des cantons du Valais et de Fribourg. A contrario, notons que le projet de révision de la loi bernoise sur la santé publique du 2 décembre 1984, qui a été mis en consultation en janvier 1999, s'inspire davantage des législations de Bâle et de Zurich. A cette exception près, le mouvement d'harmonisation actuellement entamé ne peut toutefois que se renforcer. Cela est particulièrement sensible dans le domaine des droits des patients. Il paraît dès lors utile de s'y arrêter.
Le canton de Vaud est le premier a avoir codifié les droits des patients en Suisse romande.3 La loi du 29 mai sur la santé publique était d'ailleurs particulièrement novatrice, puisqu'elle inclut également un chapitre sur la prévention. Le chapitre III de cette loi est intitulé «relation entre patient, médecin et personnel soignant». On retrouve une expression analogue dans d'autres législations cantonales. Citons, par exemple, la loi genevoise du 6 décembre 1987 concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients, le chapitre III de la loi de santé neuchâteloise du 6 février 1995 qui porte sur les «relations entre patients et soignants» ou encore le titre troisième de la loi sur la santé valaisanne du 9 février 1996 qui concerne les «relations entre patients, professionnels de la santé et établissements sanitaires». D'autres cantons se montrent plus explicites en la matière. Ainsi, dans le Jura, la loi sanitaire du 14 décembre 1990 parle de «droit des patients» alors que le chapitre 4 de la loi fribourgeoise sur la santé du 16 novembre 1999 a pour objet les «droits et devoirs des patients».
De manière générale, le catalogue de droits (et devoirs) des patients couvert par le droit cantonal tend à s'étayer et à se préciser. Les cantons répondent ainsi à une exigence du public exprimée dans autant de motions parlementaires visant à introduire et renforcer les droits des patients et des patientes4 et qui marquent le point de départ de plusieurs révisions législatives. Mais les lois ne font là aussi que s'adapter à la jurisprudence du Tribunal fédéral et anticiper les développements dans le domaine au niveau international, en particulier la Convention pour la protection des droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997, dite la Convention européenne sur les droits de l'Homme et la biomédecine. Elle a été signée par la Suisse le 7 mai 1999 et a depuis été mise en consultation en vue de sa ratification qui devrait être proposée aux Chambres fédérales d'ici l'année prochaine. Concrè-tement, cette évolution se traduit par une inflation normative. Si l'on fait abstraction de l'article unique de la loi bernoise sur la santé publique, la loi vaudoise ne comprenait que neuf articles concernant les droits des patients, y compris des dispositions sur la recherche avec des êtres humains, l'enseignement, le prélèvement d'organes et l'autopsie, alors que la nouvelle loi fribourgeoise ne compte pas moins de trente-cinq articles en la matière et la loi valaisanne trente-quatre.
Au coeur de ces dispositions, il faut mentionner, d'une part, la règle du consentement libre et éclairé des patients et ses corollaires, le droit à l'information et les règles de représentation en cas d'incapacité de discernement, et, d'autre part, les règles de confidentialité, notamment en relation avec la tenue et l'accès au dossier du patient. Il faut également signaler la place grandissante des «mesures médicales spéciales», à savoir des interventions liées au progrès médical comme la procréation médicalement assistée (PMA), le prélèvement et la transplantation d'organes, la recherche avec des êtres humains, l'analyse génétique et la thérapie génique, mais aussi la stérilisation ainsi que la constatation de la mort et l'autopsie. Il est intéressant de signaler que la Confédération tend à jouer un rôle croissant dans ces domaines. C'est ainsi le cas en matière de PMA, de génie génétique et de transplantation, un projet étant également en préparation dans le domaine de la recherche. A défaut de pouvoir couvrir ici l'ensemble de ces questions complexes, nous traiterons de deux évolutions importantes du droit cantonal en relation avec la règle du consentement libre et éclairé des patients.
En droit civil comme en droit pénal, tout acte médical est considéré en soi comme une atteinte illicite à la personnalité du patient. L'illicéité de cet acte est toutefois levée par le consentement valablement exprimé du patient, à condition que ce dernier soit capable de discernement et qu'il n'outrepasse pas les limites de la loi et des bonnes murs (cf. art. 27 al. 2 CC). En cas d'incapacité de discernement du patient, le médecin doit en principe recueillir l'accord de son représentant légal. En l'absence d'un tel représentant, il agit conformément aux règles de la gestion d'affaire sans mandat (art. 419ss CO). Il doit alors s'adresser aux proches du patient en vue de se forger une opinion sur les intentions présumables du patient. On soulignera que les proches ne consentent donc pas au traitement, mais se limitent à indiquer quelle aurait été la décision du patient s'il
n'était pas incapable.
Cette question a été abordée dans un arrêt de principe du Tribunal fédéral dans lequel il a été amené à se prononcer sur la validité de la législation genevoise en matière de consentement 5 Le Tribunal fédéral y a considéré que «s'agissant des interventions médicales, le consentement de la personne intéressée est requis comme fait justificatif permettant de restreindre, in casu, la portée du principe de l'intangibilité du corps humain déduit de la liberté personnelle, et cela dans les limites de l'article 27 al. 2 CC [...], la doctrine admet qu'on se trouve en présence d'un droit strictement personnel relatif et que, si le patient est incapable de discernement, le consentement libre et éclairé doit être recueilli auprès de son représentant légal s'il en existe un». Il a encore précisé que «l'égalité de traitement entre les incapables de discernement pourvus d'un représentant légal et ceux qui ne le sont pas, par exemple les majeurs qui se trouvent dans un état comateux, sera sauvegardée si l'on admet que le médecin doit, dans la seconde hypothèse, prendre l'avis des proches ou des familiers avant d'entreprendre une opération qui ne peut être différée». Soulignons que le Tribunal fédéral ne parle pas de consentement des proches, mais bien d'avis. De plus, sa remarque concerne uniquement les situations d'urgence dans lesquelles le médecin est autorisé à agir conformément aux règles de la gestion d'affaire parfaite.
En matière de représentation, les législations cantonales ont connu une évolution particulièrement originale avec l'adoption de dispositions concernant les directives anticipées. Par directives anticipées, il faut entendre les directives émises par un patient en prévision d'une situation où il ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté. Les directives anticipées peuvent soit décrire précisément quel traitement il désire ou non recevoir dans un cas particulier, soit désigner une personne qui sera chargée de se prononcer en lieu et place du patient dans la même situation. On parle dans ce cas de représentant thérapeutique par analogie au représentant légal. Il s'agit d'une forme de représentation privée admise par la doctrine6 et dont le principe tend aujourd'hui à être reconnu dans toutes les législations cantonales récentes. Elles sont ainsi expressément mentionnées dans les lois valaisanne, genevoise et fribourgeoise, ainsi que dans les projets de révision de la loi vaudoise et bernoise. Elles sont reconnues indirectement dans la loi de santé neuchâteloise qui imposent leur respect aux professionnels de la santé.
Alors que les directives anticipées ont longtemps été confinées au seul domaine de l'acharnement thérapeutique on parle ainsi encore souvent de «testament biologique» elles s'appliquent aujourd'hui à un cercle croissant de situations, par exemple en cas de maladie psychique de nature cyclique (où le patient peut connaître de longues périodes de rémission avec une pleine capacité de discernement) ou dans le domaine de la recherche avec des personnes souffrant de démence sénile. Les personnes concernées peuvent, dans un moment de lucidité, exprimer leur volonté sur le traitement souhaité ou leur participation éventuelle à un projet de recherche. Une telle directive devra ensuite être respectée par les professionnels de la santé auxquels elle s'adresse. Un jugement rendu le 7 mars 1995 par le Tribunal administratif de Genève fut le premier à admettre que les soignants devaient respecter les volontés émises par un patient psychiatrique dans une directive anticipée.7 Les nouvelles lois cantonales ont également élargi le champ d'application de ces directives. Il est vrai toutefois qu'à l'heure actuelle, les directives anticipées ne sont pas encore véritablement entrées dans les murs. Mais leur usage devrait sans doute s'étendre dans la mesure où elles constituent une alternative pratique et intéressante au modèle de représentation légale.
Un autre aspect important concernant la règle du consentement éclairé du patient vise l'étendue du devoir d'information. La jurisprudence du Tribunal fédéral relative au consentement a élargi le nombre des informations qu'il faut transmettre à un patient avant de recueillir son consentement. Un pas important a notamment été franchi dans un arrêt du Tribunal fédéral de 1993. En raison d'une importante surcharge pondérale, une patiente avait consenti à subir une opération pour remédier à son état. Il s'est toutefois avéré après coup qu'elle ne remplissait pas les critères fixés pour le remboursement des frais de traitement par sa caisse-maladie et que la facture était finalement à sa charge. La patiente s'est alors retournée contre son médecin en lui reprochant une mauvaise information à ce sujet qui, si elle lui avait été donnée, l'aurait amenée à renoncer à l'opération. Le Tribunal fédéral a admis son recours en déclarant que «le médecin assume un devoir d'information minimale en matière économique. Il lui appartient d'attirer l'attention du patient lorsqu'il sait qu'un traitement, une intervention ou ses honoraires ne sont pas couverts par l'assurance maladie ou lorsqu'il éprouve ou doit éprouver des doutes à ce sujet. Le respect de cette obligation s'apprécie d'autant plus strictement que le montant en jeu est important».8 Les législations cantonales adoptées ultérieurement ont ainsi étendu le droit à l'information aux aspects économiques du traitement, alors que les lois vaudoise, bernoise et jurassienne ne mentionnent pas cette exigence. On peut ainsi citer l'article 47 al. 1 de la loi fribourgeoise sur la santé qui a la teneur suivante : «Afin de pouvoir consentir de manière libre et éclairée et faire un bon usage des soins, chaque patient ou patiente a le droit d'être informé(e) de manière claire et appropriée sur son état de santé, sur la nature, le but, les modalités, les risques et le coût prévisibles ainsi que sur la prise en charge par une assurance des différentes mesures diagnostiques, prophylactiques ou thérapeutiques envisageables».
Fait intéressant, cette disposition consacre le principe du droit d'être informé plutôt que l'obligation d'informer qui en découle pour les professionnels de la santé. Plusieurs lois cantonales ont pourtant adopté la seconde approche en imposant un devoir d'information aux médecins et aux soignants. C'est le cas de la loi vaudoise (art. 21), bernoise (art. 10 du décret sur les patients), genevoise (art. 1) et neuchâteloise (art. 23). En partant du point de vue du patient, la loi fribourgeoise, qui reprend là le modèle jurassien et valaisan, admet la possibilité pour un patient de ne pas exercer ce droit ou seulement partiellement. Elle incite ainsi au dialogue entre patient et professionnel en évitant le piège qui consisterait à obliger les professionnels de la santé à tout dévoiler à leur patient, même si ce dernier ne le souhaite pas. Il convient en effet d'éviter une standardisation des rapports entre patients et professionnels de la santé. Sans remettre en cause le principe même du droit d'être informé et de la règle du consentement du patient, il s'agit peut-être de reconsidérer les fondements de la relation particulière entre un patient et son thérapeute qui repose sans doute davantage sur la confiance que sur l'étendue des informations partagées.
La réglementation cantonale des droits des patients en Suisse romande a connu une évolution importante ces dernières années. Au stade actuel, la plupart de ces droits sont codifiés d'une manière relativement harmonisée, les différences d'un canton à l'autre tendant à s'effacer. Comme il a été remarqué, cela correspond à une adaptation à la jurisprudence du Tribunal fédéral, mais aussi à une demande de la société face au «pouvoir médical». Les patients, comme tous les consommateurs, sont aujourd'hui plus sensibles au respect de leurs droits et revendiquent une meilleure reconnaissance de ceux-ci. La marge des cantons en la matière reste relativement faible, d'autant plus que la Convention européenne sur les droits de l'Homme et la biomédecine devrait dans un bref futur s'imposer comme la nouvelle référence. Une autre tendance actuelle est le transfert de compétences à la Confédération, notamment dans les domaines liés au progrès médical comme la procréation médicalement assistée, le génie génétique, la transplantation d'organes ou la recherche avec des êtres humains. Certains cantons, comme celui de Soleure, ont ainsi renoncé à légiférer en la matière. Il est réjouissant que les cantons romands n'aient pas cédé à cette tentation. Le fait qu'ils aient au contraire renforcer leur législation concernant les droits des patients en souligne l'importance et devrait éviter la dissolution de ces droits dans la législation fédérale. Par leur cohérence et leur exhaustivité, les lois cantonales concernant les droits des patients offrent un modèle intéressant et original. Elles contribuent aussi à renforcer la sécurité du droit dans un domaine en pleine évolution.