Nous avons déjà présenté les aspects théoriques concernant le ganglion sentinelle dans le cancer du sein.1 La faisabilité de cette technique a été bien démontrée par plusieurs équipes au niveau international. Le fait que le ganglion sentinelle soit de manière reproductible le premier ganglion à être atteint par d'éventuelles métastases lymphatiques du cancer du sein montre à quel point cette maladie progresse localement de manière prévisible et ne touche pas les ganglions lymphatiques de manière aléatoire. Toutefois, afin que les ganglions sentinelles soient véritablement représentatifs de l'état ganglionnaire, il est nécessaire que les équipes qui pratiquent cette technique soient suffisamment performantes pour réduire le nombre de ganglions faussement négatifs à son minimum. Ce minimum se situe aux alentours des 5% dans les publications des équipes bien rôdées.
Nous avons voulu, à Genève, mettre en place un système nous permettant de vérifier nos premiers résultats afin de pouvoir offrir aux patientes atteintes d'un cancer du sein la possibilité de pouvoir bénéficier de cette technique. Nous avons constitué un groupe de médecins qui s'est investi dans l'apprentissage de la technique de la biopsie du ganglion sentinelle, notamment en allant se former à l'étranger, et nous avons rassemblé et analysé nos premiers cas. Ce groupe de médecins est constitué d'une part de l'équipe universitaire du Département de gynécologie/obstétrique de l'Hôpital cantonal et, d'autre part, par l'association de cinq gynécologues opérant le cancer du sein et ayant confié l'analyse de leurs cas au laboratoire de pathologie Weintraub.
D'emblée, il est apparu à chaque membre du groupe que le succès de cette première série de cas dépendrait de l'étroite collaboration et communication entre les diverses spécialités participant à la biopsie du ganglion sentinelle : radiologues, chirurgiens, isotopistes et pathologistes.
Les patientes opérées à la Maternité ont été incluses dans un protocole d'étude sur le ganglion sentinelle. Les patientes prises en charge par des médecins privés ont reçu des explications exhaustives sur l'intérêt de la biopsie du ganglion sentinelle mais n'ont pas été incluses dans une étude dans la mesure où la biopsie du ganglion sentinelle, associée ou non à un curage ganglionnaire, présente un intérêt bien établi dont pouvaient bénéficier ces patientes. En effet, non seulement la biopsie du ganglion sentinelle permet de réduire la morbidité chez les patientes pour lesquelles un curage axillaire complet n'est pas pratiqué, mais elle permet d'autre part d'augmenter, comme nous le verrons, la précision diagnostique du curage ganglionnaire lorsque cette biopsie est pratiquée en complément du curage ganglionnaire. Le recensement des cas porte sur une période allant de décembre 1998 à fin mars 2000.
Le marquage du ganglion sentinelle a été réalisé par injection péritumorale d'albumine colloïdale marquée au 99mTc (Nanocoll ®). Hormis les quelques premières patientes qui ont reçu des doses plus faibles, les suivantes ont toutes reçu des doses allant de 1 à 8 mCie selon que l'intervention se situait respectivement entre 6 et 24 heures après l'injection. En cela, nous avons suivi les recommandations de l'Institut Bordet (Bruxelles) qui semblent montrer que l'utilisation de doses radioactives supérieures permette d'éviter celle du bleu vital. En revanche, nous n'avons pas pratiqué d'injection intradermique car le ganglion sentinelle ainsi identifié ne nous semble pas être aussi fidèlement représentatif qu'en cas d'injection péritumorale.
Durant la période mentionnée, 71 cas ont été opérés avec une biopsie du ganglion sentinelle. De ces 71 cas, 23 ont été pratiqués à la Maternité et 48 ont été pratiqués en clinique. Tous les cas pratiqués à la Maternité sauf 2 ont également reçu un curage ganglionnaire axillaire complet. Des 48 cas pratiqués en ville, 12 n'ont eu qu'une biopsie du ganglion sentinelle. Au total, sur les 71 cas, 53 ont eu un curage ganglionnaire avec au minimum dix ganglions axillaires et au maximum sept ganglions sentinelles par cas. Ce sont ces 53 cas qui sont analysés en détail. Le tableau 1 synthétise les résultats obtenus pour ces 53 cas. Il s'agit pour la majorité de tumeurs entre 1 et 2 cm. Le nombre moyen de ganglions axillaires analysés par cas est de 15,8. Sur l'ensemble des 53 cas, le nombre de patientes présentant des métastases ganglionnaires est de 21 cas, soit 40% du collectif. Pour 11 de ces 21 patientes, seul le ganglion sentinelle présentait une atteinte métastatique. Parmi les 53 cas analysés, seule une patiente présentait un ganglion sentinelle indemne de métastase alors qu'un autre ganglion, non sentinelle, présentait une atteinte métastatique. Ceci représente un taux de faux négatifs de 4,8% (1/21). Il est particulièrement intéressant de noter que 14 des 21 patientes atteintes au niveau ganglionnaire ont été diagnostiquées comme telles sur la base d'une histologie conventionnelle. Par histologie conventionnelle, on entend une coloration par hématoxyline + éosine de deux ou trois coupes pratiquées par ganglion. En revanche, pour sept patientes dont l'analyse conventionnelle des ganglions se révélait être négative, la technique de coupes sériées (de nombreuses coupes par ganglion) avec une coloration d'hématoxyline + éosine puis, si cette dernière est négative, un complément par immunohistochimie, a permis de détecter des métastases. Ce complément d'analyse est coûteux et ne peut s'envisager que sur les ganglions sentinelles compte tenu de leur nombre réduit et de leur haute représentativité.
Le Groupe genevois de performance en sénologie constitue un rassemblement de spécialistes universitaires et privés qui s'investit dans la pratique de la biopsie du ganglion sentinelle. L'analyse de cette première petite série de cas montre qu'il est possible de réaliser cette biopsie avec un excellent taux de succès puisque le taux de faux négatifs (4,8%) est comparable aux résultats des meilleures séries internationales. En regard du nombre relativement important d'intervenants dans la chaîne des spécialistes permettant la biopsie du ganglion sentinelle, nous attribuons l'excellent niveau des résultats d'une part, au fait que la méthode est fiable et reproductible et, d'autre part, à l'excellente communication et cohésion réalisée au sein du groupe. Compte tenu du fait qu'un tiers des patientes ayant des ganglions envahis n'auraient pas été détectées si la technique du ganglion sentinelle n'avait pas été pratiquée et compte tenu du fait que ces résultats sont également démontrés dans la littérature,2 nous pensons qu'il est dorénavant indispensable de pratiquer une biopsie du ganglion sentinelle à toute patiente opérée pour un cancer du sein. Cette recommandation nous semble valable que l'on opte pour une biopsie du ganglion sentinelle en tant qu'alternative au curage ganglionnaire ou en tant que complément au curage ganglionnaire. Pour l'indication à l'une ou l'autre de ces deux modalités, nous renvoyons le lecteur à notre article précédent.1 Vu le faible taux de faux négatifs, nous pensons qu'il est possible d'élargir les indications de la biopsie du ganglion sentinelle sans curage à des tumeurs de bon pronostic ayant jusqu'à 2 cm de diamètre.