L'oedème pulmonaire neurogène (OPN) est une complication rare mais grave de lésions du système nerveux central (SNC) d'origines diverses, mais touchant le tronc cérébral (TC) soit directement, soit par compression sur hypertension intracrânienne. La mortalité rapportée est de 60-100%. Il se présente cliniquement par une défaillance respiratoire aiguë, expliquée par un dème pulmonaire hydrostatique déclenché par une sur-stimulation sympathique visant au maintien de la perfusion centrale et aboutit à un dème de perméabilité par lésion vasculaire pulmonaire mécanique ou/et inflammatoire. Le diagnostic est essentiellement clinique et doit exclure d'autres causes cardiovasculaires ou pulmonaires d'oedème. Les stratégies de traitement visent à la réduction de la compression du tronc et surtout précocement à celle de l'hypertension pulmonaire moyennant oxygène, réduction de la pré- et postcharge et agents inotropes bêta-adrénergiques.
L'oedème pulmonaire neurogène (OPN) se présente cliniquement sous forme d'une détresse respiratoire aiguë survenant dans le cadre d'une atteinte neurologique ou neurochirurgicale sévère. Par définition, l'OPN comprend une accumulation importante de liquide pulmonaire extravasculaire, d'apparition très aiguë, toujours dans les suites immédiates de lésions graves du SNC, en particulier du tronc cérébral (TC). Le diagnostic requiert l'exclusion d'autres causes connues de lésions pulmonaires ou de la fonction cardiovasculaire pouvant survenir lors de détresse cérébrale, telle l'aspiration broncho-pulmonaire ainsi que des lésions toxiques, ischémiques ou traumatiques cardiaques et pulmonaires. Si la présentation clinique classique est univoque, le diagnostic doit être suspecté lors de l'apparition d'un oedème pulmonaire aigu associé à une lésion du SNC en l'absence de lésion pulmonaire ou cardiovasculaire primaire. Un certain flou persiste néanmoins, d'autant plus que l'étiologie précise de cette pathologie n'est pas encore complètement élucidée.
Une des premières descriptions de l'OPN remonte à Hope,1 qui, en 1842, décrit l'association de lésions du SNC à une défaillance cardio-pulmonaire. En 1897, Fourneau2 décrit dans une thèse l'apparition d'un dème pulmonaire après un épisode de myélite et finalement, peu après le tournant du siècle, Riesman3 et Shanahan4 sont à l'origine du terme dème pulmonaire neurogène pour caractériser la survenue d'un dème pulmonaire dans des situations de convulsions généralisées graves. Après la description de ces cas sporadiques, les études sur lesquelles se basent la majorité de nos connaissances actuelles proviendront de séries issues d'autopsies après traumatisme crânien par arme à feu, réunies lors de la Première Guerre mondiale5 ainsi que de la guerre du Vietnam.6 Plus récemment, une épidémie d'encéphalomyélite à entérovirus 71 chez des enfants à Taiwan a conduit à de nombreux décès sur OPN7 et l'étude d'un petit nombre de ces cas a mis en évidence des lésions importantes du TC, particulièrement du noyau réticulé. Une atteinte virale généralisée ou d'autres systèmes, en particulier cardiaque ou pulmonaire, a été exclue.
L'élément clé de toutes ces descriptions est l'apparition fulminante d'un dème pulmonaire, souvent seulement quelques minutes après lésion du SNC sans évidence d'une lésion pulmonaire d'autre origine. Les hypothèses physiopathologiques actuelles se basent sur cet élément historique, interprété à la lumière de nouvelles connaissances de physiologie et physiopathologie de la microcirculation pulmonaire.
Si l'explication physiopathologique reste hypothétique, les types de lésions du SNC associées à l'OPN semblent globalement toujours toucher le TC (tableau 1). Dans la plupart des situations, la caractéristique commune des lésions du SNC conduisant à un OPN est l'atteinte, soit par compression lors d'hypertension intracrânienne, soit par lésion directe du TC, du thalamus et du bulbe rachidien. Quelques types de lésions sont plus fréquemment mentionnés : les traumatismes crâniens graves, les hémorragies intracrâniennes et sous-arachnoïdiennes, ainsi que les convulsions généralisées ou de longue durée. Lors de noyade, l'OPN sur hypoxie du SNC serait une explication de l'atteinte pulmonaire. Surtout chez l'enfant, ont été mentionnées des causes infectieuses d'encéphalomyélite due au virus de la polio8 ou à des entérovirus.7,9
L'OPN reste une complication rare de certaines lésions graves du SNC. Les relevés statistiques sont à prendre avec prudence, puisqu'ils se basent sur des petites séries rétrospectives ou même seulement sur des recollections de descriptions de cas. Globalement, l'incidence de l'OPN lors de traumatismes crâniens confondus varie entre 0,1 et 0,8%.10-13 Lors de convulsions généralisées, une incidence de 0,2-2% est rapportée14,15 alors que dans l'hémorragie intracrânienne suite à une rupture d'anévrisme 30-70% des patients présentent un OPN.16 La mortalité associée à l'OPN est très élevée (60-100%) et dépend évidemment non seulement de l'atteinte pulmonaire, mais surtout de la lésion cérébrale initiale.17
Vue sous la perspective du pathologue, la prévalence d'un OPN, associé à une issue fatale sur lésion du SNC, varie entre 10 et 30%.18 Lorsque l'origine du décès est secondaire à une hémorragie intracrânienne, cette prévalence est de 60-70%18,19 alors que secondaire à une hémorragie sous-arachnoïdienne, elle varie entre 30-70%20 et atteint 85% pour les décès suite aux lésions du SNC par arme à feu.6 Finalement, 75% des donneurs d'organes potentiels britanniques en état de mort cérébrale sur traumatisme crânien se trouvaient avoir une dysfonction pulmonaire attribuée à l'OPN contre-indiquant une transplantation.21
Cette large différence entre incidence et prévalence laisse suspecter un biais de sélection dans les situations les plus graves menant au décès, ou témoigne de l'absence de diagnostic clinique dans les cas plus bénins, peut-être masqué par le support ventilatoire introduit dans le cadre de la réanimation initiale.
L'OPN apparaît souvent peu de temps (quelques minutes à 48 h)6 après l'accident touchant le SNC et se manifeste principalement par une insuffisance respiratoire aiguë. Le diagnostic clinique est facile chez des patients jeunes sans antécédents de troubles cardio-respiratoires ni de lésion directe de ces organes. Il peut être très difficile chez des polytraumatisés ou des personnes plus âgées avec insuffisance cardiaque ou pulmonaire préexistantes.
La symptomatologie est celle de tout dème pulmonaire avec initialement des troubles de la ventilation souvent accompagnés de modifications ECG et plus spécifiquement d'une hypertension artérielle systolique témoignant probablement aussi de l'hypertension intracrânienne. Chez les patients en ventilation spontanée, dyspnée, tachypnée, toux et râles à l'auscultation et tachycardie seraient les signes précoces, parfois aussi accompagnés d'expectorations mousseuses roses ou d'hémoptysie. Des symptômes plus discrets de stimulation sympathique, tels qu'insomnies, sudations, iléus paralytique et hypertension transitoire sont également décrits. Les troubles de ventilation/perfusion, l'hypoxémie et la rétention de CO2 apparaîtront peu après.
L'évolution naturelle conduit à une défaillance respiratoire suivie d'un effondrement cardiovasculaire et comporte une très haute mortalité, estimée à plus de 60%.6,22-24 Il est impossible d'évaluer si la cause directe de cette mortalité est pulmonaire ou neurologique ou même cardiovasculaire. Contrastant avec les descriptions plus anciennes,6,22-24 les publications plus récentes semblent attribuer la mortalité plutôt à des causes cérébrales.17 Toutefois, dans les cas pédiatriques sur encéphalomyélite, la cause du décès était essentiellement pulmonaire et cardiovasculaire.8,9
Les éléments de diagnostic paracliniques sont peu spécifiques. L'image radiologique est celle de l'dème pulmonaire caractérisée par un infiltrat interstitiel et alvéolaire bilatéral et en général diffus, mais prédominant aux sommets dans 50% des cas,25 alors que plus tardivement cette image se distribuerait plutôt aux bases.17 Des études d'imagerie spécifiques du TC lors d'un OPN ne sont actuellement pas disponibles. L'ECG peut montrer des signes d'ischémie ou d'infarctus transitoire, sans corrélat anatomique et qui disparaissent en cas de résolution de l'OPN. Une prolongation du QT est présente chez la moitié des patients.17 Le laboratoire reste très aspécifique avec possible augmentation des CK et CK-MB, de la troponine et des leucocytes, en général accompagnée d'une acidose métabolique et parfois d'une hyperglycémie.7
Les éléments neuropathologiques des descriptions cliniques de l'OPN5,6,9 ainsi que les quelques études expérimentales26-31 suggèrent un mécanisme déclenché peut-être par l'hypothalamus et relayé par le TC. Bien que déjà en 1901 Cushing ait décrit les interactions entre hypertension intracrânienne et système cardiovasculaire, les hypothèses neuroanatomiques fonctionnelles sont bien plus récentes. L'apparition d'une symptomatologie cardiovasculaire et pulmonaire similaire dans certains cas d'hypertension intracrânienne et lors de certaines lésions circonscrites de l'hypothalamus et du bulbe rachidien permet d'avancer l'hypothèse suivante : la transmission nerveuse serait déclenchée par des neurones hypothalamiques, stimulant le système nerveux autonome via les fibres C non myélinisées avec pour cible principale le système cardiovasculaire.32,33L'hypothalamus fonctionne comme plaque tournante du système neurovégétatif avec des input ou connexions en amont provenant du cortex insulaire, des noyaux amygdaliens, des noyaux gris en profondeur de l'hippocampe et du système limbique. Les connexions neuro-anatomiques en aval ou output du thalamus permettent d'expliquer l'effet sur les organes cibles puisqu'ils sont soit de type humoral via neurohypophyse, soit de type neuronal via les fibres sympathiques cheminant du bulbe rachidien à la corne latérale T1-T4 ainsi que celles parasympathiques partant du noyau dorsal du nerf X.
Côté organe cible, la balance entre liquide intra- et extravasculaire est principalement déterminée par la perméabilité du capillaire ainsi que les pressions hydrostatiques et colloïdo-osmotiques. L'accumulation de liquide interstitiel pulmonaire dépend de la filtration de liquide par le capillaire (Qfilt) d'une part, et du mécanisme d'élimination du liquide extravasculaire d'autre part, c'est-à-dire de la résorption lymphatique (Qlymph). C'est surtout la filtration de liquide (Qfilt) qui est augmentée dans l'oedème pulmonaire. Elle peut être résumée par l'équation de Starling34 suivante (fig. 1) :
Qfilt = K (PC-PI) T (¼C - ¼I)
Dans cette équation, le flux de filtration (Qfilt) est déterminé par le gradient de pression hydrostatique entre capillaire et interstice (PC-PI), le coefficient de conductance capillaire (K) et par le gradient de pression colloïdo-osmotique (pC-pI) lui-même dépendant d'un coefficient caractéristique de la perméabilité capillaire (T). Pour élucider si un mécanisme hydrostatique ou de perméabilité serait la cause première de l'OPN, une étude17a examiné dans une petite série de cas la relation entre concentration protéique dans l'dème alvéolaire (aspiration bronchique) et le plasma chez des patients en OPN. Un rapport < 0,7, témoignant d'un mécanisme hydrostatique sans trouble de la perméabilité, a été mis en évidence chez la plupart des patients examinés précocement (< 6-10 h), alors qu'une perméabilité accrue semblait apparaître plus tardivement.
Les deux mécanismes apparemment controversés, l'augmentation de la pression hydrostatique d'un côté et de la perméabilité capillaire de l'autre, semblent en fait survenir tous les deux, toutefois temporellement décalés.35 On peut distinguer une phase aiguë (36 L'augmentation brusque de la pression intracrânienne ou la diminution de la perfusion cérébrale déclenche une «tempête sympathique», causant une augmentation de la contractilité cardiaque et une vasoconstriction veineuse et artérielle à l'origine d'une hypertension systémique et pulmonaire pouvant aboutir à une insuffisance gauche. La vasoconstriction périphérique conduit à un déplacement du volume intravasculaire dans le compartiment pulmonaire où la veinoconstriction pulmonaire fait augmenter brusquement la pression hydrostatique dès lors responsable de l'oedème pulmonaire (fig. 1). Cette hypothèse a été vérifiée dans certaines études animales.37 En clinique, une hypertension capillaire pulmonaire a aussi été mise en évidence dans quelques cas anecdotiques avec un cathéter artériel pulmonaire en place dans la phase aiguë,38,39 mais semble manquer dans des phases plus tardives.40,41 La sur-stimulation sympathique serait également à l'origine du déversement d'enzymes cardiaques retrouvées dans les examens de laboratoire. A noter que dans les situations qui n'ont pas évolué plus loin et qui ont abouti à la résolution de la maladie, l'aspect radiologique se normalise en un à deux jours, confirmant l'absence de lésion alvéolaire diffuse.25,42
La sur-stimulation cardiovasculaire qui est le facteur même déclenchant l'OPN peut aboutir en cas de non-résolution à l'établissement d'une phase tardive. Selon la blast theory, hypothèse du barotraumatisme vasculaire,43 un oedème initialement hydrostatique peut secondairement aboutir à un dème de perméabilité dû à des fractures secondaires de la paroi des capillaires. West44 effectivement démontre l'apparition de ces lésions capillaires suite à une hypertension pulmonaire sévère. Dans la phase tardive (> 6 h à 1 semaine), le output cardiaque diminue par augmentation de la postcharge et dans cette situation hémodynamique d'insuffisance gauche, la stase pulmonaire participe par un mécanisme hydrostatique au maintien de l'dème de perméabilité. Vraisemblablement, dans cette phase tardive, une réaction inflammatoire généralisée régie par différents agents pro-inflammatoires participe à l'augmentation de la perméabilité vasculaire, telle qu'elle est observée dans des modèles animaux.18,30
Il s'agit dans tous les cas de situations très graves avec une mortalité très élevée nécessitant des soins intensifs. La suspicion d'un OPN nécessite initialement un traitement symptomatique, souvent une ventilation artificielle ainsi qu'un monitoring aux soins intensifs. Il est judicieux de considérer les bénéfices d'une mesure continue de la pression intracrânienne35 et éventuellement de la pression pulmonaire capillaire. L'analyse du ratio protéique oedème/plasma permettra d'adapter les stratégies ventilatoires lors d'augmentation de la perméabilité capillaire. La prise en charge doit viser un traitement causal, souvent difficile lors de traumatisme crânien sévère. L'effort principal lors de lésion diffuse du SNC se portera donc sur une réduction de la pression intracrânienne. Ensuite, basée sur les hypothèses physiopathologiques actuelles, la thérapie sera essentiellement cardiovasculaire et visera l'augmentation de l'inotropie surtout bêta-adrénergique,45 la réduction de la pré- et postcharge et particulièrement de la résistance vasculaire pulmonaire dont l'oxygénothérapie fait partie. L'oxyde nitrique (NO) dans ce but n'est qu'à titre expérimental46,47 mais pourrait se révéler utile. Dans les phases plus tardives de l'OPN avec dème par augmentation de perméabilité (capillary leak), les stratégies cardiovasculaires et de ventilation utilisées dans l'ARDS s'imposeront. L'administration de stéroïdes reste controversée.48
En conclusion, les hypothèses actuelles favorisent l'explication de l'OPN par des mécanismes hydrostatiques aigus, suivis seulement secondairement de lésions vasculaires avec dème de perméabilité. Dès lors, simultanément à un traitement causal, les stratégies de traitement intensif visent à la normalisation des pressions pulmonaires pour éviter la progression d'un dème hydrostatique à un dème de perméabilité.