Le recours à la ventilation mécanique est souvent nécessaire en cas d'insuffisance respiratoire sévère. Ce traitement n'est cependant pas dénué de complications. Plusieurs types d'agression pulmonaire peuvent être engendrés par la ventilation mécanique : les barotraumatismes, les volotraumatismes, les atélectraumatismes et les biotraumatismes. Une compréhension des mécanismes conduisant aux lésions induites par la ventilation mécanique est indispensable à l'élaboration d'une stratégie ventilatoire protectrice. Ceci est important puisqu'il est maintenant établi que la stratégie ventilatoire influence de façon significative le devenir des patients en ventilation mécanique indépendamment de ses effets sur les échanges gazeux. Cet article a pour but de faire le point pour le clinicien sur l'état de nos connaissances actuelles et de proposer une stratégie ventilatoire conforme à celles-ci.
La ventilation mécanique est utilisée en réanimation depuis plusieurs décennies pour traiter l'insuffisance respiratoire aiguë. Si la ventilation mécanique a permis de sauver de nombreuses vies, cette technique n'est cependant pas dénuée de complications. Parmi celles-ci, les mieux connues sont l'hypotension artérielle, le pneumothorax et la pneumonie nosocomiale. Les données expérimentales accumulées au cours de ces dernières années impliquent la ventilation mécanique dans la genèse de lésions pulmonaires qui s'apparentent au syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).1 Sur la base de ces découvertes, de nouvelles stratégies ventilatoires ont été proposées2 et récemment, des études cliniques ont démontré que la stratégie ventilatoire utilisée déterminait, au moins en partie, le devenir des patients nécessitant le recours à la ventilation mécanique.3,4
Notre objectif est de rappeler ici quelques notions fondamentales concernant les lésions induites par la ventilation mécanique et de faire le point sur la base des données cliniques à disposition.
On distingue plusieurs types de lésions pulmonaires engendrées par la ventilation mécanique : le barotraumatisme, le volotraumatisme, l'atélectraumatisme et le biotraumatisme.
Le barotraumatisme se caractérise par une fuite d'air dans les tissus et/ou les espaces avoisinant les voies aériennes et les alvéoles. Ses manifestations principales en sont le pneumothorax, le pneumomédiastin, l'emphysème sous-cutané ou interstitiel, le pneumopéricarde, le pneumopéritoine et le pneumorétropéritoine. Plus rarement, la fuite d'air peut se faire dans la circulation pulmonaire avec, comme conséquence, l'embolisation gazeuse dans la circulation systémique.5 Les lésions de barotraumatisme surviennent généralement lorsque la différence de pression entre les voies aériennes distales et les manchons bronchovasculaires qui leur sont adjacents est excessive. Il est à remarquer que le risque de barotraumatisme n'a pas pu être mis en corrélation que ce soit avec le niveau de PEEP, les pressions de crête ou de plateau, le volume courant ou encore la compliance du système respiratoire.6 Ceci s'explique vraisemblablement par le fait qu'aucune de ces variables ne tient compte de la pression extramurale (pression dans les espaces interstitiels). Par ailleurs, la pathologie pulmonaire (en particulier, le SDRA) nécessitant de recourir à la ventilation mécanique constitue le facteur de risque de barotraumatismes le plus important.7 Ceci n'est pas étonnant, car le type et la sévérité des lésions pulmonaires conditionnent les pressions des voies aériennes nécessaires au maintien d'une ventilation alvéolaire adéquate et peuvent simultanément fragiliser les voies aériennes (pneumonie nécrosante, par exemple). On peut donc dire, en résumé, que les barotraumatismes surviennent lorsque les pressions transmurales (pressions alvéolaires moins les pressions du tissu des espaces interstitiels adjacents) sont excessives par rapport à la capacité des voies aériennes à soutenir un tel stress.
De nombreuses études expérimentales ont démontré que la surdistension des alvéoles par des volumes courants excessifs peut entraîner des lésions pulmonaires qui s'apparentent au SDRA.1,8 Il est important de souligner que la notion de volume courant excessif est relative : les lésions de volotraumatisme surviennent lorsque le volume délivré est excessif par rapport au volume pulmonaire à disposition pour la ventilation (capacité pulmonaire totale). Ce dernier varie en fonction de la taille des poumons et des sujets et peut être notablement réduit en cas de SDRA (Baby Lung), en raison d'un comblement alvéolaire par un dème riche en protéines et en éléments figurés, au moins dans la phase initiale. Les lésions de volotraumatisme sont également caractérisées par le développement d'un dème riche en protéines et parfois hémorragique dû aux lésions alvéolaires diffuses, épithéliales et endothéliales que la ventilation mécanique peut engendrer. Ces lésions sont la conséquence d'une surdistension alvéolaire secondaire à l'application d'un stress mécanique excessif (pression transalvéolaire élevée (Ptransalvéolaire = Palvéolaire Ppleurale)). D'autres facteurs semblent également contribuer aux lésions de volotraumatisme, en particulier, la fréquence à laquelle le ventilateur délivre le volume courant9 et les conditions hémodynamiques pulmonaires présentes durant la ventilation.10
On ne dispose malheureusement pas en clinique d'une méthode de mesure simple qui permette de déterminer si un volume courant donné entraîne ou non une surdistension des alvéoles en fin d'inspiration. S'il est aisé d'estimer la pression alvéolaire en fin d'inspiration en appliquant une pause en fin d'inspiration (pression de plateau), il faudrait idéalement connaître la pression pleurale de fin d'inspiration pour déterminer si la pression transalvéolaire est excessive. Ce gradient de pression n'est cependant pas disponible en clinique, car la mesure de la pression pleurale par ballon sophagien n'est ni pratiquée ni indiquée de routine. A défaut, certains auteurs ont proposé d'utiliser l'analyse de la courbe pression/volume quasi statique du système respiratoire pour détecter la pression alvéolaire à partir de laquelle une surdistension alvéolaire pourrait survenir. Cependant, l'utilisation de la courbe pression/volume pour optimaliser la stratégie ventilatoire reste, à ce jour, très controversée et discutable.11
En l'absence de mesure de la pression pleurale, il est utile de se rappeler que les variations de pression pleurale secondaires à l'insufflation du volume courant et que le volume délivré pour une pression transalvéolaire donnée dépendent étroitement de la compliance du poumon et de la cage thoracique (abdomen supérieur inclus). Il en résulte qu'une cage thoracique peu compliante tend à limiter les pressions transalvéolaires et donc le degré d'inflation alvéolaire correspondante à une pression alvéolaire donnée (pression de plateau). L'estimation correcte du risque de volotraumatisme nécessite donc de tenir compte également de la compliance du contenant (cage thoracique et abdomen supérieur). En pratique, on estime qu'une pression de plateau de 25 cmH2O ne devrait pas engendrer de surdistension alvéolaire. En l'absence d'altération évidente de la compliance de la cage thoracique et de l'abdomen, cette limite ne devrait pas être dépassée.
Il s'agit de lésions pulmonaires qui surviennent lorsque certaines régions des poumons en particulier les parties déclives se ferment en fin d'expiration (atélectasie) et s'ouvrent à nouveau lors du cycle inspiratoire suivant. Plusieurs études suggèrent fortement que les phénomènes de fermetures et de réouvertures cycliques des petites voies aériennes et des alvéoles peuvent engendrer des forces de cisaillement suffisantes pour léser les voies aériennes distales et les alvéoles.12,13 Pour éviter ce type de lésions, il est actuellement proposé d'«ouvrir» le poumon (manuvre de recrutement) et de garder le poumon ouvert en appliquant un niveau de PEEP suffisant pour éviter un dérecrutement cyclique en fin d'expiration. Le choix du niveau de PEEP adéquat reste malheureusement controversé et l'utilisation de la courbe pression/volume du système respiratoire à cette fin n'est probablement pas justifiée.11 En effet, il est maintenant établi que le point d'inflexion inférieur de la phase inspiratoire de cette courbe ne correspond pas à la pression d'ouverture des régions des poumons «fermées», contrairement à la notion précédemment retenue.14
Des études expérimentales ont démontré que la ventilation mécanique est susceptible d'engendrer non seulement des lésions mécaniques mais également d'entraîner la production locale de substances pro-inflammatoires (par exemple, des cytokines telles que TNF-a, IL-6 et IL-8).15,16 Ces cytokines peuvent non seulement amplifier localement les lésions pulmonaires induites mécaniquement mais pourraient également avoir des répercussions nocives à distance. En effet, en cas d'altération de la perméabilité pulmonaire, des cytokines produites dans le poumon peuvent atteindre la circulation systémique et seraient susceptibles de contribuer au développement du syndrome de défaillance d'organes multiples fréquemment rencontré chez les patients nécessitant un recours à la ventilation mécanique prolongé.17
Les concepts discutés plus haut proviennent essentiellement de données expérimentales animales. La question de leur extrapolation aux patients a été soulevée à juste titre. Récemment cependant, plusieurs études cliniques ont démontré que la stratégie ventilatoire utilisée est susceptible d'influencer le devenir des patients.
Dans une étude randomisée et contrôlée, l'application d'une stratégie ventilatoire «protectrice» (niveau de PEEP suffisant et volume courant ajusté pour maintenir les pressions de plateau dans des limites acceptables) a permis de diminuer de façon significative le niveau de cytokines à la fois dans le lavage bronchoalvéolaire et dans le sérum de patients souffrant de SDRA.18 En dépit de ces résultats encourageants, trois études prospectives randomisées19-21comparant des stratégies ventilatoires «protectrices» à des stratégies plus conventionnelles n'ont pas réussi à démontrer un effet bénéfique sur la mortalité.
Toutefois, Amato et coll. ont réussi à mettre en évidence qu'une stratégie ventilatoire caractérisée par des volumes courants bas et un niveau de PEEP élevé permettait de diminuer la mortalité à court terme et l'incidence de barotraumatismes.3 Les résultats de cette étude sont entièrement en accord avec le résultat des études expérimentales. Récemment, une étude américaine a démontré de façon convaincante qu'une stratégie ventilatoire protectrice diminuait la mortalité (de 25% environ) et augmentait le nombre de jours sans ventilation (durant les 28 jours faisant suite à la randomisation) chez des patients avec dème pulmonaire lésionnel.4 Ces données sont importantes, car il s'agit de la première grande étude randomisée prospective démontrant qu'une intervention thérapeutique dans le SDRA a un impact sur la mortalité. De plus, elle confirme indirectement la pertinence des données expérimentales : c'est en effet sur la base de ces dernières que la stratégie ventilatoire démontrée «protectrice» a été établie. Les raisons pour lesquelles cette étude et celle d'Amato et coll. ont pu mettre en évidence un effet bénéfique alors que ce n'était pas le cas dans les autres travaux précédemment cités, restent débattues. Il est cependant intéressant de noter que les deux études démontrant un effet sur la mortalité se distinguent tout particulièrement des études négatives par une différence de volume courant (simple au double) (tableau 1) entre les groupes randomisés.
Une étude multicentrique est actuellement en cours pour préciser, cette fois-ci, le rôle potentiellement «protecteur» de la PEEP contre les atélectraumatismes. En attendant, quelle leçon le clinicien doit-il tirer des études expérimentales et cliniques disponibles à ce jour ? A nos yeux, le message important est de limiter les volumes courants chez les patients avec SDRA. Sur la base de l'étude du «ARDS Network»,4 certains ont proposé que dorénavant tous les patients avec un SDRA soient ventilés avec un volume courant de 6 ml/kg de poids corporel idéal, en mode assisté contrôlé, en titrant le niveau de PEEP selon le nomogramme utilisé dans cette étude. Pour notre part, nous pensons qu'une telle attitude est excessive. Elle ne tient pas compte des variations physiologiques interindividuelles des patients. De plus, à notre avis, cette étude démontre avant tout que l'administration d'un volume courant excessif est délétère et non que le volume courant ou le mode utilisé est optimal pour un patient donné. Il nous paraît plus raisonnable de proposer une stratégie ventilatoire qui puisse s'appliquer aussi bien en volume qu'en pression contrôlée, avec comme objectif central de limiter le volume courant de telle sorte que les pressions de plateau ne dépassent pas 25 cmH2O. Cette pression correspond à la pression de plateau moyenne du groupe avec stratégie ventilatoire «protectrice» dans l'étude du «ARDS Network» et ne devrait pas distendre les alvéoles au-delà de leur dimension attendue à la capacité pulmonaire totale. Pour les raisons évoquées plus haut, il paraît également raisonnable de tolérer parfois des pressions de plateau légèrement plus élevées lorsque la compliance du compartiment cage thoracique/abdomen est basse afin d'éviter des volumes courants excessivement petits qui peuvent entraîner des atélectasies de résorption et aggraver les échanges gazeux. Il n'existe pas à ce jour de données cliniques définitives concernant le niveau de PEEP minimal à appliquer chez ces patients. Néanmoins, sur la base des données expérimentales et du niveau de PEEP moyen utilisé dans l'étude du «ARDS Network», nous proposons d'utiliser initialement une PEEP d'environ 10 cmH2O et de titrer celle-ci vers le haut en fonction du rapport PaO2/FiO2.
Un autre sujet controversé est le rôle de l'hypercapnie permissive. Dans l'étude du «ARDS Network», les patients ont été maintenus en normocapnie. Les auteurs de cette étude spéculent que l'absence d'effet bénéfique dans les études négatives aurait pu être en relation avec l'acidose respiratoire engendrée par la réduction du volume courant. Bien que cette question reste débattue, cette hypothèse nous paraît peu probable. La vaste expérience acquise de l'usage de l'hypercapnie permissive dans le SDRA et d'autres pathologies respiratoires (par exemple, l'asthme)22 et les données expérimentales récentes démontrant le rôle protecteur de l'acidose respiratoire23parlent contre cette hypothèse. D'autres études cliniques sont néanmoins nécessaires pour définitivement clarifier ce point. En ce qui nous concerne, nous continuons à utiliser l'hypercapnie permissive, chaque fois que cela nous paraît nécessaire pour limiter le risque de lésions pulmonaires induites par la ventilation mécanique.
En résumé, sur la base des données à disposition, la stratégie ventilatoire à utiliser en cas d'atteinte pulmonaire diffuse consiste à limiter les volumes courants et à appliquer une PEEP dont le niveau optimal reste à déterminer. Ces dernières années, une baisse sensible de la mortalité associée au SDRA a été rapportée dans plusieurs centres. Il est possible que cela soit en rapport avec un changement dans la pratique de la ventilation mécanique. Il est également fort probable que d'autres modifications dans la prise en charge de ces patients y ont contribué. Parmi celles-ci, il faut mentionner la prévention des bronchoaspirations en maintenant le torse et la tête surélevés, un traitement plus ciblé et une meilleure prévention des pneumonies nosocomiales et l'abandon de l'alimentation parentérale chaque fois que la voie entérale est utilisable.