La thrombolyse a considérablement amélioré le pronostic de l'infarctus myocardique aigu et actuellement son utilisation est largement répandue dans les pays développés. Depuis quelques années toutefois, l'intérêt pour l'angioplastie percutanée coronarienne (PTCA) primaire dans cette situation est grandissant. Les études contrôlées comparant ces deux approches semblent démontrer un avantage pour l'angioplastie. Cependant, cette technique n'étant pas disponible dans tous les centres, la thrombolyse reste le traitement de choix lorsque l'accès à la salle de cathétérisme cardiaque ne peut pas être assuré rapidement. La PTCA est, par ailleurs, le traitement de choix lors de contre-indication à la thrombolyse ou lors d'infarctus compliqué d'un choc cardiogénique. Cet article est une revue dans les connaissances actuelles sur ce sujet.
De nombreuses études randomisées, comprenant au total plus de 100 000 patients avec un infarctus aigu du myocarde avec onde Q (IMA), ont démontré que le traitement par thrombolyse systémique est efficace pour rétablir un flux coronarien antérograde. Ceci s'associe à une amélioration de la fonction ventriculaire gauche et à une diminution de la mortalité.1 La thrombolyse systémique est un traitement largement accessible, qui peut être administré facilement et rapidement dans tous les hôpitaux de soins aigus et, selon les circonstances, même dans la phase préhospitalière. Malgré cette efficacité prouvée, plusieurs questions restent ouvertes et l'administration de la thrombolyse peut parfois être limitée. D'une part, environ 15% des patients admis à l'hôpital pour un IMA présentent des contre-indications à la thrombolyse. D'autre part, l'efficacité de ce traitement est nettement moindre si ce dernier est administré plus de douze heures après le début de la symptomatologie douloureuse. A cela s'ajoute le fait que même lorsqu'elle est administrée précocement, la thrombolyse est grevée d'un taux d'échec de reperfusion d'environ 25%. Elle ne permet d'obtenir un flux coronarien de type TIMI 3 après 90 minutes que dans un cas sur deux.2 Ce type de flux est par ailleurs un des déterminants du pronostic. Enfin, chez les patients âgés de plus de 75 ans3 et chez ceux qui présentent un choc cardiogénique d'emblée,4 ce traitement semble être sans bénéfice. Toutes ces constatations ont fait naître un intérêt toujours plus grand pour l'angioplastie coronarienne percutanée (PTCA) primaire dans la prise en charge de l'IMA.
L'approche par PTCA primaire offre en théorie plusieurs avantages. Premièrement, elle permet de faire bénéficier d'une revascularisation les patients qui présentent une contre-indication à la thrombolyse. Deuxièmement, lors de clinique évocatrice d'IMA sans modifications électrocardiographiques pathognomoniques (par exemple : bloc de branche gauche, rythme électro-entraîné par un stimulateur cardiaque), l'angiographie permet de confirmer ou d'infirmer le diagnostic. De plus, avec la PTCA primaire, il est possible de vérifier immédiatement les résultats de la revascularisation. Enfin, l'angiographie permet de connaître d'emblée l'étendue de la maladie coronarienne sous-jacente (par exemple, maladie tritronculaire, lésion du tronc commun) et d'estimer le pronostic global si on la complète d'une évaluation de la fonction ventriculaire gauche, par échocardiographie.
Les premières expériences de PTCA dans l'IMA datent du début des années 80.5 Déjà à cette époque, une étude avait comparé les effets de la PTCA primaire à ceux de la thrombolyse intracoronarienne :6 si le taux de reperfusion était très encourageant (> 85%), aucune différence substantielle quant à l'efficacité de ces deux approches n'a été mise en évidence. C'est au début des années 90 que les effets d'une thrombolyse systémique (t-PA ou streptokinase) et d'une PTCA primaire ont été comparés.7-10 Il est alors apparu que la PTCA permettait d'obtenir un taux de reperfusion supérieur et une meilleure fonction ventriculaire gauche en fin de séjour hospitalier.7 Un seul travail a pu démontrer un effet favorable de la PTCA sur la mortalité intra-hospitalière par rapport à un traitement de t-PA.9 Ces données doivent toutefois être interprétées avec prudence, car la surmortalité dans le groupe de patients ayant reçu du t-PA était en partie due à une incidence d'accidents vasculaires cérébraux nettement supérieure à celle attendue. Il est intéressant de remarquer que, dans toutes ces études, la thrombolyse était administrée en moyenne 30 à 60 minutes plus rapidement que n'était effectuée la PTCA.11 Ce délai est d'autant plus important à considérer qu'il est survenu malgré le fait que la PTCA a été débutée en moyenne 70 minutes seulement après la randomisation, et ceci, grâce à la présence permanente (24 h/24 h) d'une équipe de cardiologues interventionnistes expérimentés.11 Une méta-analyse incluant les quatre études susmentionnées et six séries mineures, comprenant au total 2600 patients, a suggéré, quelques années plus tard, un effet bénéfique de la PTCA primaire par rapport à la thrombolyse, sur la mortalité intra-hospitalière et à 30 jours (4,4% versus 6,5%), indépendamment du régime de thrombolyse utilisé.12 Plus récemment, l'étude GUSTO IIb a permis de mettre en évidence que la PTCA est supérieure à la thrombolyse à 30 jours si l'on se réfère à l'incidence cumulée des décès, des récidives d'infarctus et des accidents vasculaires cérébraux.13 Toutefois, après six mois, il n'y avait plus aucune différence entre les deux approches.13 Il aura fallu attendre encore deux ans pour que deux grandes études contrôlées montrent un avantage à long terme de la PTCA par rapport à la thrombolyse, respectivement sur la mortalité (13% versus 24% à cinq ans) et sur le taux de récidive d'infarctus.14,15
Mentionnons toutefois que les découvertes qui ne cessent d'arriver dans ce domaine risquent fort de modifier encore la stratégie thérapeutique. Ainsi, la mise en place d'une endoprothèse intracoronarienne (stent) permet de diminuer les récidives d'ischémie après IMA par rapport à la PTCA seule.16 Par ailleurs, les inhibiteurs du complexe GPIIb/IIIa, nouvelles molécules inhibant l'agrégation plaquettaire, ont un intérêt double dans l'IMA. D'une part, leur association au traitement thrombolytique classique (parfois à dose diminuée) permet d'améliorer significativement le taux de reperfusion coronarienne et la qualité du flux, par rapport à un régime standard, et ce, sans augmentation des complications hémorragiques.17 D'autre part, lorsqu'ils sont administrés avant la PTCA, ils pourraient en renforcer le taux de succès.18 La place de ces nouveaux médicaments dans la prise en charge de l'IMA doit toutefois encore être précisée par les études actuellement en cours. D'un travail récent, il ressort que la mise en place d'une endoprothèse coronarienne associée à l'administration d'abciximab (anti GPIIb/IIIa) est supérieure à la thrombolyse avec l'altéplase, en ce qui concerne l'incidence cumulée à six mois de récidives d'infarctus, d'accidents vasculaires cérébraux et de décès.19Il semble donc que dans ce domaine, au vu de la rapidité des nouvelles acquisitions thérapeutiques et techniques, les stratégies devraient être régulièrement mises à jour.
Lorsqu'un infarctus aigu se complique d'un état de choc, le pronostic est sombre (mortalité proche des 80%). Le rétablissement rapide d'une perfusion coronarienne pour préserver le myocarde et permettre une récupération de la fonction ventriculaire est essentiel pour diminuer le risque du décès. Cette approche ne s'applique bien sûr pas aux états de choc secondaires aux troubles de conduction ou du rythme ou encore dus à une complication mécanique (perforation septale, rupture de cordage) qui survient habituellement plus tardivement. La thrombolyse en cas de choc s'est avérée décevante. Effectivement, dans les études qui ont inclus et analysé les sous-groupes de patients choqués, la thrombolyse n'a apporté aucun bénéfice. L'inefficacité de ce traitement a été attribuée à des causes hémodynamiques, mécaniques et métaboliques. On peut imaginer qu'il faut un gradient de pression suffisant pour que le thrombolytique puisse atteindre le caillot et le lyser. Ainsi, si une thrombolyse est pratiquée dans l'état de choc, il est impératif de restaurer la pression artérielle et notamment la pression diastolique puisque la perfusion coronarienne ventriculaire gauche se fait essentiellement pendant cette phase. Ceci peut être accompli par l'administration d'agents vasopresseurs, notamment la noradrénaline ou la dopamine. Quelques cas traités avec succès parlent en faveur de cette attitude. Une autre approche consiste à associer à la thrombolyse une pompe à contre-pulsion intra-aortique (CPIA) afin d'augmenter la perfusion coronarienne pendant la thrombolyse. Expérimentalement, cette approche est prometteuse et des observations cliniques non randomisées vont dans le même sens. La PTCA primaire comme traitement du choc cardiogénique dans l'IMA a été rapportée il y a plus de dix ans : le taux de reperfusion avoisinait 90%, et s'accompagnait d'une réduction substantielle de la mortalité. Dans les nombreuses études qui ont suivi, recrutant près de 600 patients, l'échec de la PTCA était associé à une mortalité de 80%, laquelle diminuait à 30% si le flux coronarien pouvait être rétabli. Toutefois, on a reproché à ces séries des biais de sélection, le fait qu'elles étaient trop petites, non randomisées, parfois rétrospectives. Finalement, une étude récente contrôlée, comprenant plus de 300 patients, démontre à l'évidence l'importance d'une PTCA primaire dans cette situation.20 En effet, avec la PTCA primaire, associée la plupart du temps à la mise en place d'une CPIA, la mortalité à six mois est de 50% par rapport à celle de 63% du traitement conservateur.20
En résumé, lorsqu'un IMA se complique d'un choc cardiogénique, nous proposons, en plus d'une réanimation hémodynamique et respiratoire, une PTCA primaire avec CPIA (premier choix), et en cas d'impossibilité, une thrombolyse avec CPIA (deuxième choix) ou associée à des doses massives de vasopresseurs dans un centre n'ayant pas accès à ces techniques (troisième choix). Les données actuellement à disposition montrent que les résultats sont meilleurs lorsque la thrombolyse est complétée par une revascularisation chirurgicale ou une PTCA. Il importe donc que les patients en choc cardiogénique soient transférés rapidement dans les centres disposant de l'infrastructure nécessaire.
Si l'effet bénéfique de la PTCA primaire dans l'infarctus est démontré, il est légitime de se demander si ses avantages persistent en dehors d'études contrôlées. En effet, dans la pratique quotidienne, même dans les grands centres hospitaliers, l'accès à la salle de cathétérisme ne peut pas toujours être assuré dans des délais acceptables. Les données d'un registre comprenant plus de 700 patients, réalisé en France, ne retrouvent pas les bénéfices attendus d'une revascularisation par PTCA primaire sur la mortalité et la morbidité après un suivi de cinq ans.21 Par ailleurs, le taux de succès des PTCA primaires dans un centre donné est directement proportionnel au nombre de procédures que l'on y réalise, alors qu'il n'y a pas d'association entre le nombre de thrombolyses et son efficacité.22 Ceci implique que la PTCA primaire doit impérativement être réalisée par une équipe expérimentée.
Une part de la difficulté à choisir le meilleur traitement en cas d'IMA vient de la discordance entre les résultats des études contrôlées et la réalité quotidienne. Parfois, le choix s'impose d'emblée comme, par exemple, lors de contre-indication à la thrombolyse, de choc cardiogénique, d'indisponibilité de la salle de cathétérisme ou du cardiologue... Par contre, il y a des situations plus difficiles où la décision doit être individualisée et prise après une discussion pluridisciplinaire (tableau 1). L'approche offrant les meilleures chances de reperfusion coronarienne dans le délai le plus court possible devra systématiquement être préférée.
Le pronostic global de l'infarctus myocardique s'est sensiblement amélioré ces deux dernières décennies et le concept de revascularisation précoce en a considérablement modifié la prise en charge. La thrombolyse systémique reste, en l'absence de contre-indications, un traitement efficace, largement disponible et facile à administrer. L'angioplastie primaire avec ou sans l'application d'une endoprothèse intracoronarienne a démontré sa supériorité dans les études contrôlées. Pour des raisons logistiques évidentes, ce traitement n'est toutefois pas disponible en toutes circonstances. Dans les situations où un doute subsiste entre les deux options thérapeutiques, seule une approche multidisciplinaire regroupant cardiologue, intensiviste et urgentiste, permet de choisir la meilleure solution pour le patient. Dans le cas particulier de choc cardiogénique, où la thrombolyse seule est inefficace, la PTCA primaire représente la seule option thérapeutique.