Face à un nouveau traitement, le médecin généraliste se trouve confronté aux questions suivantes : est-ce que cela a un effet ? est-ce que c'est le meilleur traitement ? quelle est l'importance des effets secondaires et finalement est-ce que ce nouveau traitement sera vraiment efficace pour mes patients ? Le poids économique d'un nouveau traitement est tel que la présentation des résultats des études se fait essentiellement par les médias et la littérature médicale en termes de réduction du risque relatif plutôt que de réduction du risque absolu ou de nombre de patients à traiter pour éviter un événement. Pourquoi ? Parce que la réduction du risque relatif tend à rendre les résultats plus impressionnants qu'ils ne le sont en réalité. Cet article cherche à montrer ce mécanisme et permet de se familiariser avec la notion du nombre de patients à traiter. Cette démarche permet de porter un regard objectif sur un nouveau traitement et face aux pressions médiatiques, de mieux conseiller son patient dans le privilège de la relation médecin-malade.
Depuis plusieurs années, le médecin praticien se trouve confronté à une avalanche de résultats d'études cliniques randomisées, notamment dans le domaine des maladies cardiovasculaires. Si l'on se réjouit d'une telle évolution les études randomisées, malgré leurs limites, restent un design privilégié pour faire avancer les connaissances médicales les résultats de ces essais cliniques sont souvent présentés en termes de réduction du risque relatif et plus récemment de «nombre de patients à traiter pour prévenir un événement». Le but de cet article est de clarifier ces différentes notions avec leurs avantages et leurs inconvénients, de manière à avoir un regard critique sur les informations et les recommandations qui nous viennent de tous côtés.
Prenons cinq situations cliniques dans lesquelles les résultats ont été présentés de manière différente suivant les traitements proposés. Quel traitement pharmacologique préférez-vous ?
1. Un traitement pharmacologique permet une réduction de 30% des événements d'origine cardiaque (infarctus ou récidive d'angine de poitrine) à cinq ans.
2. Un traitement pharmacologique a les caractéristiques suivantes : 44 patients doivent être traités pour éviter un événement d'origine cardiaque à cinq ans.
3. Un traitement pharmacologique permet de réduire de 2,2% le risque absolu d'événements d'origine cardiaque à cinq ans.
4. Le nombre de patients sans événements cardiaques passe de 92,5 à 94,7% grâce à ce traitement pharmacologique à cinq ans.
5. Un traitement pharmacologique permet de faire passer le risque d'événement cardiaque à cinq ans de 7,5% à 5,3%.
La première proposition peut paraître la meilleure car elle illustre une très bonne efficacité du traitement. Pourtant, toutes ces propositions correspondent à la même étude et illustrent l'efficacité du médicament évalué dans cette étude !1 Il s'agit de la célèbre étude «Woscop», qui est un essai contrôlé et randomisé portant sur environ 6500 patients traités, soit avec un hypolipémiant, soit avec un placebo en prévention primaire chez les hommes avec hypercholestérolémie. Après cinq ans, 7,5% des patients sous placebo avaient présenté un infarctus ou une récidive d'angine de poitrine alors que le risque dans le groupe «pravastatine» était de 5,2%. (Cette formulation correspond à la proposition 5). Relever que 7,5% des patients sous placebo ont présenté un événement cardiaque, signifie que 92,5% n'en ont pas présenté et que cette proportion est de 94,7 dans le groupe de patients traités (proposition 4). Nous pouvons aussi choisir de présenter les résultats en réduction du risque absolu qui est de 7,5-5,2 donc 2,2% (proposition 3). La présentation des résultats sous forme de réduction du risque relatif (tableau 1) est peut-être plus spectaculaire ; elle correspond à la réduction proportionnelle des événements d'origine cardiaque entre le groupe placebo et le groupe traité et qui se calcule en soustrayant à 1 le risque relatif (5,2/7,5 = 0,7), soit 1 0,7 = 0,3, donc 30% (proposition 1).
Il est donc important de rappeler que la réduction du risque relatif ne tient pas compte de la probabilité de l'événement dans la population considérée. Dans la population de l'étude Woscop, 30% de réduction du risque relatif nous permettent de «sauver» 2,2 patients chaque 100 patients traités par pravastatine ou, dit d'une autre manière, un patient chaque 44 patients (100/2,2). Ce résultat correspond au fameux number needed to treat (NNT) qui désigne le nombre de patients à traiter pour éviter un événement (proposition 2) (tableau 2).
Prenons l'exemple d'un patient diabétique de 50 ans, fumeur, hypertendu à 180/110 et hypercholestérolémique (cholestérol à 9 mmol/l et HDL à 0,6 mmol/l). Un site sur internet2 vous permet de calculer son risque qui est de 35% pour un événement cardiovasculaire à cinq ans (données tirées de l'étude Framingham). Chez ce patient, une réduction du risque de 30% avec un traitement hypolipémiant signifie que son risque passe de 35% à environ 25% à cinq ans, soit une diminution du risque absolu (ce qui représente un NNT de 10 (100/10)). Donc, en traitant dix patients de ce type avec cet hypolipémiant, nous évitons un événement cardiovasculaire (infarctus ou récidive d'angine de poitrine à cinq ans). On voit ainsi que pour une réduction du risque relatif donnée plus le risque absolu, individuel est grand, plus le bénéfice du traitement est important. De nombreuses recommandations pour la pratique3,4,5 autant pour l'hypertension que pour la dyslipidémie proposent de tenir compte du risque de maladie cardiovasculaire pour le patient individuel. Les recommandations pour la pratique de Nouvelle-Zélande6,7 proposent une appréciation du risque cardiovasculaire de chaque patient pour déterminer l'indication au traitement. Cependant, le niveau de risque à partir duquel il faut absolument traité est arbitraire. Par exemple, la Société britannique d'hypertension4 estime qu'un risque de 10% à cinq ans est raisonnable pour un patient avec une hypertension légère alors que les recommandations habituelles encouragent le traitement de tous les patients hypertendus quel que soit leur risque.
Un point important à prendre en considération est la durée des études présentées. Ainsi, l'étude précédente est à cinq ans. En considérant une réduction du risque relatif identique au cours du temps (ce qui reste à démontrer !), nous pouvons estimer le bénéfice à dix ans pour ce patient. La formule du risque2 nous donne à dix ans un risque de 54% de faire un événement cardiovasculaire. Le bénéfice de ce traitement est encore plus grand et le NNT devient 6.
Peut-être n'êtes-vous pas encore convaincu que la présentation des résultats en termes de réduction du risque relatif est incomplète et peut être trompeuse, si l'on ne prend pas en compte le risque absolu ? Admettons que nous vous présentions une intervention qui permet de réduire de 86% le risque de maladie thromboembolique à une année chez les femmes prenant une contraception orale. Cette donnée est très impressionnante et pourtant totalement incomplète et potentiellement fallacieuse. Le taux d'événements thromboemboliques dans la population générale est très bas, environ 1/100 000 femmes par année et de 7/100 000 par année chez les femmes prenant des contraceptifs oraux.8 Avec ces valeurs, on peut considérer qu'interrompre la contraception orale permet de réduire de 86% (0,0006/0,00007) le risque d'embolies pulmonaires chez la femme.8Cependant, le bénéfice en valeur absolue n'est que de 6/100 000 (ou 0,00006) ce qui signifie un NNT de 16 667 (1/16 667). Dans ce cas, malgré la haute réduction du risque relatif, presque 17 000 femmes devraient arrêter la contraception orale pendant une année pour éviter un événement thromboembolique. Cette formulation nous permet de réaliser que cette intervention n'a pas de raison d'être effectuée ce qui n'était pas apparent avec la présentation par la réduction du risque relatif.
Finalement, il est clair que la présentation des résultats devrait aussi tenir compte des effets secondaires de l'intervention médicale proposée. Prenons l'exemple de l'aspirine donnée à plus de 20 000 médecins en prévention primaire.9La première conclusion mise en avant par les auteurs est celle de 44% de réduction du risque d'infarctus du myocarde à cinq ans. Toutefois, il apparaît dans l'article que le nombre d'hémorragie cérébrale est plus important dans le groupe prenant de l'aspirine que le groupe placebo. En fait, on aurait aussi pu présenter les résultats de manière alarmiste en mentionnant : «en donnant de l'aspirine en prévention primaire nous avons augmenté de 48% le risque d'hémorragie cérébrale à cinq ans» ! Pour des raisons évidentes, ce n'est pas la présentation choisie par les auteurs ! L'étude montre 23 hémorragies cérébrales sur 11 037 patients dans le groupe aspirine contre 12 sur 11 034 dans le groupe placebo. Ainsi en traitant 1000 personnes avec de l'aspirine en prévention primaire pendant cinq ans, il faut s'attendre à une hémorragie cérébrale de plus que si l'on n'avait pas donné de traitement. Ce chiffre permet de se faire une véritable idée du risque sans alarmisme ni banalisation et c'est probablement là l'intérêt de tenir compte du risque absolu. En fin de compte, il serait utile de présenter clairement les effets positifs ou négatifs d'un traitement de telle manière que chacun puisse se faire sa propre opinion.
Les médecins suisses ont plus tendance à prescrire un traitement en l'occurrence hypolipémiant si les résultats de l'étude sont exprimés en termes de diminution du risque relatif et non pas en termes de valeurs absolues.10 De manière générale, la prescription des médecins semble être influencée par la manière de rapporter les résultats, et ceci pour plusieurs types de traitement.11 De même, si l'on donne le choix du traitement aux patients, ces derniers aussi choisiront de préférence le traitement présenté en termes de réduction du risque relatif.12 Des exemples de NNT se trouvent dans le tableau 3.
Une dernière caractéristique intéressante du paramètre «NNT» est sa non-interprétation quand le traitement n'a pas une efficacité supérieure, c'est-à-dire quand le résultat est le même dans le groupe traité et le groupe témoin. La différence entre les risques absolus est alors de zéro, et l'inverse, c'est-à-dire 1/zéro, est... l'infini ! De même, si l'intervalle de confiance de la différence du risque absolu inclut zéro, alors l'intervalle de confiance du NNT inclut l'infini ! ! !
Se contenter de la réduction du risque relatif n'est donc pas suffisant et il faut connaître les risques absolus dans les deux groupes et calculer le NNT. Ces deux paramètres sont complémentaires et permettent de se faire une bonne perception de l'efficacité du traitement. Il s'agit ensuite de s'assurer dans la mesure du possible que la population étudiée représente celle de nos patients, c'est-à-dire que le risque absolu du groupe contrôle soit relativement similaire à celui de notre patientèle et qu'il est dès lors possible d'extrapoler les résultats de l'étude à notre pratique clinique. Les résultats d'une étude réalisée dans un centre tertiaire n'auront en effet pas la même utilité pour un généraliste qu'une étude faite dans des cabinets de médecine générale. Reconnaissons toutefois que de telles études sont très rares notamment en raison de la difficulté pratique à les réaliser dans de telles conditions et qu'il n'est pas aisé de supputer le risque absolu de son patient dans une situation clinique donnée. D'où l'importance pratique des scores cliniques, dans le domaine cardiovasculaire ou thromboembolique par exemple. La prise en compte de la durée de l'étude est également capitale dans l'interprétation des résultats. Finalement, une étape essentielle consiste à considérer les effets indésirables (exemple de l'aspirine) ainsi que l'impact du traitement sur la qualité de vie de son patient.
Le calcul du NNT est en fait très simple.
Il faut connaître la différence en % entre le résultat du groupe placebo et du groupe traitement.
Par exemple, si une étude montre une différence de mortalité de 4 % entre les deux groupes au profit du traitement (10% dans le groupe placebo et 6% dans le groupe traité), cela signifie que nous évitons quatre décès pour 100 patients. Il faut donc traiter 25 patients pour éviter un décès (NNT 25).
Prenons maintenant l'exemple d'une différence de 2%. Cela signifie que chaque 100 patients nous évitons 2 morts, donc nous évitons 1 mort chaque 50 patients (NNT de 50).