Une nouvelle perspective thérapeutique pour les fractures de type Pouteau-Colles à gros fragment distal a été introduite par le Pr M. M. Mc Queen.Le fixateur externe radio-radial a été utilisé à Lausanne pour les fractures laissant environ 1 cm de radius intact. Dans cette technique, deux broches sont placées dans le radius distal et deux autres broches proximalement à la fracture. Le fixateur est laissé six à huit semaines, permettant une mobilité du poignet et une rééducation plus précoce. Actuellement, les cas lausannois font l'objet d'une étude prospective dont les résultats seront publiés ultérieurement.
La fracture loco-classique du radius distal ou fracture de Pouteau-Colles est l'une des fractures fréquemment prises en charge par de nombreux médecins de formations différentes. Elle appartient au sous-groupe des fractures par compression-extension du radius distal. Dans ce sous-groupe, la fracture extra-articulaire entraînant une grosse motte radiale dorsalement et comprenant le plus souvent un certain degré de comminution postérieure correspond aux fractures Frykman I et II1 et aux fractures Older 2 et 3 (fig. 1).
Un raccourcissement initial de plus de 5 mm incite à un traitement chirurgical, comme l'a montré Abbaszadegan,2 en revanche il est plus difficile d'évaluer initialement l'importance de la comminution postérieure qui favorisera, malgré une réduction correcte, une récidive du déplacement lors d'un traitement non chirurgical.
Si le clinicien est le plus souvent attentif au déplacement secondaire précoce dans les trois à quatre premiers jours, il est en revanche moins facile d'évaluer initialement la tendance qu'a la fracture à évoluer vers un déplacement secondaire progressif qui se fait sur toute la durée de la contention. Ces déplacements secondaires progressifs aboutissent fréquemment en fin de traitement à des cals vicieux dans le plan sagittal correspondant le plus souvent à une pente de la surface articulaire du radius à 0° par rapport au long axe du radius, voire même négative de quelques degrés. Ce cal vicieux s'accompagne également souvent d'un certain degré de raccourcissement et conduit potentiellement à un conflit dans la région radiocubitale ou sur le versant cubital du poignet.
Cette bascule dorsale résiduelle de la surface articulaire peut prétériter le fonctionnement du carpe et la force du poignet à moyen et long terme comme l'ont montré les travaux du Pr McQueen.3,4,5 Forte de ces observations, cette dernière a mis au point une technique chirurgicale visant non seulement à maintenir la longueur du radius durant la consolidation de la fracture, mais également à maîtriser l'inclinaison palmaire de la surface articulaire de cet os. Cette stratégie séduisante a été introduite à Lausanne et va être illustrée ci-dessous.
Les fractures Frykman I et II présentant initialement un raccourcissement sur la face supérieure à 3 mm et une bascule dorsale de 10 degrés ou plus justifient une réduction et une contention. Toute personne indépendante, quels que soient son âge et sa main dominante, a besoin d'une fonction optimale des deux mains. Le traitement quel qu'il soit doit viser à éviter la formation d'un cal vicieux délétère pour la fonction. L'indication à placer une manchette plâtrée sans réduction n'est pas une décision liée à l'âge mais plutôt à la demande fonctionnelle du patient. Cette thérapeutique a minima s'adresse essentiellement aux patients atteints de maladies neurodégénératives et déjà institutionnalisés.
Si la réduction obtenue est parfaite au niveau antérieur sur le profil et que la fracture fait l'objet d'une faible comminution postérieure, ce qui est rarement le cas chez les personnes de plus de 40 ans, le traitement conservateur avec des contrôles radiologiques fréquents à 48 heures, cinq jours et dix jours est envisagé. En revanche, si la réduction n'est pas parfaite sur le profil au niveau antérieur, que la bascule n'est pas corrigée sur le profil et enfin que postérieurement il est évident que la comminution est majeure et risque de favoriser une récidive du déplacement, une réduction parfaite en salle d'opération avec une fixation radio-radiale est organisée. Pour pouvoir appliquer cette technique, il faut qu'il reste environ 1 cm de radius intact distalement et que la fracture ne soit pas intra-articulaire au niveau du radius.
Le patient doit être au bénéfice d'une anesthésie adéquate : soit une anesthésie générale avec une curarisation pendant la réduction ou une anesthésie plexuelle avec un bloc moteur complet. Si le patient n'a pas une anesthésie adéquate, on risque d'effectuer des manuvres en force toujours dangereuses lorsque l'ostéopénie apparaît.
Puis, après désinfection et préparation chirurgicale du membre supérieur jusqu'au niveau de la région moyenne du bras, on fait une première manuvre de réduction par traction sur le pouce et l'index, puis manipulation douce de la fracture en prosupination indifférente ou en supination. Après un premier contrôle scopique, on choisit l'endroit de l'incision cutanée qui doit être assez généreuse et doit permettre de passer entre les tendons après dissection soigneuse de la peau et du sous-cutané. Un petit Kirchner de 1,2 peut être introduit dans le radius afin de contrôler que l'inclinaison choisie des futures broches corresponde bien à une prise complète de la motte radiale et que la broche n'est pas respectivement ou trop près de l'articulation ou trop près de la fracture.
Cette broche repère peut être laissée en place, puis on met une petite broche filetée de chaque côté du tubercule de Lister. Cette manoeuvre est suivie de la mise en place de deux broches après également ouverture cutanée, dissection des parties molles, dans la diaphyse radiale.
Le fixateur radio-radial vient compléter la réduction mais les manipulations sur les broches doivent être faites avec beaucoup de douceur sous peine d'entraîner des sillons dans la motte radiale. Des manipulations douces permettent toutefois souvent d'améliorer à la fois très discrètement la réduction antérieure et de deux à trois degrés la réduction dans le plan sagittal. Le fixateur externe est alors serré et un dernier contrôle scopique est effectué. Les incisions cutanées sont souvent fermées avec un ou deux points. Le poignet est suspendu pendant 24 heures au moins pour éviter l'aggravation de l'dème.
Dans les suites opératoires, le fixateur externe est souvent mieux toléré en radio-radial qu'en ligamentotaxis ; il est laissé pour six à huit semaines. Aucune contention plâtrée n'est nécessaire et la mobilisation des doigts et de la main peut débuter souvent dès le 3-4ejour. Le plus souvent, les patients bougent modérément leur poignet mais bougent nettement plus aisément les doigts et surtout les métacarpo-phalangiennes lorsqu'ils sont au bénéfice d'un fixateur radio-radial.
Un patient de 18 ans a été victime d'un accident en planche à neige qui a entraîné une fracture du radius distal type Frykman II, illustrée sur la figure 2.
La figure 3 montre les radiographies post-réduction et contention plâtrée brachio-antébrachiale. Il s'agit typiquement d'une réduction qui est souvent considérée comme acceptable initialement mais qui reste d'interprétation difficile sur le profil ou la pente radiale et probablement à 0.
Au 4e jour, il s'est présenté pour un contrôle et suite de traitement et les clichés de la figure 4 montrent clairement la récidive d'une bascule dorsale du radius liée à la comminution osseuse. Selon cet exemple, on voit clairement que cette problématique peut également survenir chez le patient jeune et nécessite de passer d'un traitement non chirurgical à un traitement chirurgical si l'on veut éviter un cal vicieux.
Ceci a été effectué à l'aide du fixateur radio-radial et la figure 5 illustre le montage postopératoire. Le patient a consolidé après six semaines de fixateur externe et au contrôle à six mois, un bilan radiologique a permis d'établir qu'il n'y a pas de différence anatomique entre les deux radius et la récupération fonctionnelle est complète au niveau de la force. Il reste exclusivement un déficit d'extension de 10° et de flexion palmaire de 10°.
La tendance au déplacement secondaire sous contention des fractures Frykman I et II a fait l'objet d'une littérature abondante et les grandes séries utilisant exclusivement le traitement non chirurgical pour ces fractures décrivent le plus souvent 20% de mauvais résultats.3,4,5,6
De nombreuses techniques chirurgicales dites peu invasives se sont développées pour tenter de maîtriser ce problème ; ces différentes techniques ont été extensivement énumérées dans un article précédent.6 Une des alternatives qui a séduit les chirurgiens ces dernières années est la technique de Kapandji. L'équipe du Dr Nonnenmacher7 a appliqué cette technique originelle avec beaucoup de soin et, dans une série rétrospective de 400 cas, observe de bons résultats dans l'ensemble, mais pour des fractures sélectionnées d'une part et d'autre, les ennuis sur la branche sensitive du radial existent. De plus, une tendance à la récidive d'un raccourcissement et une certaine bascule dorsale ne sont pas maîtrisables par la technique de Kapandji.
Si les Anglo-Saxons s'enthousiasment tardivement pour cette technique,8,9 le service d'orthopédie et traumatologie de Lausanne a fait des expériences mitigées en introduisant la méthode de Kapandji. En effet, à notre avis, cette technique comporte deux écueils : le premier est qu'elle ne doit être décidée comme technique chirurgicale définitive qu'après un cliché de réduction de bonne qualité afin d'étudier la partie antérieure du radius, ce qui n'est pas fait systématiquement, le second est qu'elle doit être appliquée sur un poignet suspendu aux doigtiers japonais afin d'éviter les hypercorrections antérieures. Ces deux dogmes importants de la technique de Kapandji n'étant pas systématiquement appliqués dans les services où les fractures sont traitées de nuit par l'équipe de garde, il en résulte des cals vicieux en hypercorrection et des récidives de raccourcissements trop fréquents.
Le fixateur externe appliqué en ligamentotaxis, soit deux broches dans le métacarpien et deux broches dans le radius permet de maîtriser le problème du raccourcissement. Toutefois, le plus souvent, la fracture finit par consolider dans le plan sagittal avec un déficit de bascule antérieure d'environ 10 à 12°. Pour maîtriser cette problématique, la broche dorsale avec effet Kapandji est le plus souvent associée maintenant au ligamentotaxis classique.
Si la rééducation après ligamentotaxis est souvent un peu lente au départ, elle aboutit si la fracture a consolidé sans cal vicieux à un bon résultat fonctionnel à six mois/une année. L'alternative à cette stratégie permettant une rééducation plus précoce en particulier des doigts est le fixateur radio-radial et la tendance du service est de proposer cette technique chirurgicale aux patients dès que la fracture Frykman I ou II comprend une grande comminution postérieure et n'est pas accessible aisément à une réduction et contention plâtrée.
Colles disait déjà, il y a de nombreuses années, qu'après la fracture la plus fréquente d'entre toutes, il était éventuellement possible que le patient récupère une fonction complète de son poignet.
Szabo10 a décrit cette fracture et tous les problèmes qui lui sont associés ainsi que les difficultés thérapeutiques que l'on peut rencontrer. L'évolution des méthodes curatives au cours du temps et la littérature concernant ce sujet montrent que le résultat fonctionnel à moyen et long terme est d'autant meilleur que le patient a une fracture qui a consolidé sans cal vicieux.
Ces cals vicieux peuvent survenir soit consécutivement à des manuvres de réduction en force et en pronation exagérées avec des défauts de torsion dans la fracture, soit par récidive de déplacement liée à la comminution.
Le fixateur radio-radial nous paraît une alternative thérapeutique extrêmement intéressante pour traiter ces fractures en obtenant une consolidation avec restitution de l'anatomie du radius. L'alternative au fixateur radio-radial est l'ostéosynthèse par plaque dorsale qui nécessite une dissection plus importante de l'appareil extenseur du poignet et qui se justifie dans notre service plutôt pour les fractures avec atteintes intra-articulaires.
Enfin, que l'on choisisse l'ostéosynthèse par deux petites plaques avec vis non saillantes et dissection soigneuse de l'appareil extenseur pour ces fractures ou qu'on les traite avec un fixateur radio-radial, dans les deux cas l'objectif est d'obtenir une consolidation sans cal vicieux. La tactique chirurgicale doit être rigoureuse dans les deux cas si l'on veut éviter les ennuis sur la branche sensitive du nerf radial et sur les tendons extenseurs. Ces deux techniques seront de plus en plus fréquemment appliquées et justifieront des séries prospectives documentées afin de valider leurs valeurs thérapeutiques et les limites liées aux complications potentielles ; les cas lausannois sont documentés de façon prospective.