Résumé
Nous évoquons depuis trois semaines (Médecine et Hygiène du 25 octobre 2000, du 1er novembre 2000 et du 8 novembre 2000) les perspectives d'évolution de la chirurgie au travers du rapport intitulé «Nouvelles techniques et chirurgie du futur» présenté le 5 octobre lors du 102e congrès, organisé à Paris, de la Société française de cette discipline. Nous terminons aujourd'hui cette série avec, parallèlement aux apports des différents robots et de ceux de l'introduction de l'informatique et de l'imagerie virtuelle dans les blocs opératoires, ceux des nouvelles télécommunications.«Le développement de la télémédecine (étymologiquement, pratique de la médecine à distance et, par extension, enseignement de la médecine à distance) ap-pliquée à la chirurgie a transformé la culture très individualiste du chirurgien, en rompant son isolement dans des applications aussi variées que la téléconcertation thérapeutique, le télémonitoring, le télétraining ou la télé-éducation, peut-on lire dans le rapport sous la signature des Prs A. Sezeur, J. Marescaux, et F. A. Allaert. Néanmoins, ces technologies se heurtent à des limites incontournables : disponibilité des participants à un temps donné, installations audiovisuelles encore coûteuses, nécessité d'une assistance technique. D'où le succès prévisible d'Internet, dont la force réside dans la capacité qu'il a d'être le réseau des réseaux, tuant progressivement tous les systèmes propriétaires incapables de communiquer les uns avec les autres.»En pratique, quatre types d'application intéressent le chirurgien : le télé-enseignement qui a plusieurs facettes (télé-éducation, télé-entraînement, télé-expertise, télé-accréditation) ; l'aide au diagnostic ; l'aide au traitement et enfin la téléconsultation, définie comme la consultation d'un patient situé à distance du médecin au moyen d'un système de transmission de données. Pour les auteurs, la télémédecine appliquée à la chirurgie peut utiliser deux technologies différentes, hier individualisées, demain de plus en plus associées. Il s'agit d'une part de la visioconférence, d'autre part des transmissions de données suivant le protocole IP (Internet Protocol). La première permet une interactivité directe et réciproque (full duplex), la seconde une interactivité différée. L'évolution des technologies va vers des systèmes mixtes, qui permettent avec une même machine d'accéder aux deux fonctions. La visioconférence a l'avantage de permettre à deux ou à plusieurs équipes de dialoguer et de se voir à distance en direct, donnant aux interlocuteurs l'impression de leur présence physique. Elle a l'inconvénient de la contrainte horaire, qui impose une ponctualité de tous les participants, ce qui peut poser problème en cas de décalage horaire, ou du retard d'un interlocuteur pris par une urgence
Par contre, elle recrée les conditions habituelles d'exercice de la médecine (réunion de service, consultation directe, conférence, vision d'une intervention en direct, etc.).«Néanmoins, l'expérience du Nou-veau-Brunswick (Canada) en matière de formation continue par télé-enseignement a montré que les étudiants qui doivent suivre une téléconférence en acceptent mal les contraintes horaires, précisent les auteurs. Le transfert des données par le protocole IP a l'avantage d'un faible coût de fonctionnement et d'une souplesse d'utilisation. En effet, l'information est envoyée à un serveur auquel le correspondant peut se connecter quand il le désire et répondre à son correspondant après réflexion, lorsqu'il le souhaite. Ainsi, les échanges sont moins spontanés mais plus réfléchis, et les protagonistes ont le choix de l'organisation de leur travail.» Les débits sur Internet, encore insuffisants et fluctuants en fonction de la charge du réseau, restent le facteur limitant pour la transmission d'images animées et pour la visioconférence.Les auteurs rappellent que l'histoire a montré que chaque fois que des normes universelles se sont imposées, les conséquences ont été spectaculaires. «Internet séduit le monde médical par ses qualités : il est interactif, multimédia, rapide et peu coûteux. De plus, alors que la télémédecine se focalise sur l'échange des données cliniques confidentielles entre un nombre restreint de participants, la «cybermédecine» permet l'échange d'informations non confidentielles, entre un nombre illimité de participants. Cette notion d'échange universel est la valeur ajoutée d'Internet fondée sur le partage de l'information : chaque utilisateur représente potentiellement une richesse. Cette culture, très anglo-saxonne, n'est pas la nôtre car en France, l'information et l'éducation restent un enjeu de pouvoir : l'avenir jugera de notre capacité d'adaptation, garant de notre survie.»Dans son introduction, le Pr Richard M. Satava, chirurgien à la Yale University School of Medicine, souligne qu'il a fallu attendre l'avènement de l'ère moderne de la chirurgie au milieu du XIXe siècle pour qu'une première révolution voit le jour. «Celle-ci est née de la convergence de nouvelles technologies développées par les grands hommes de la médecine dans le domaine de l'anesthésie (Moore), de l'asepsie (Lister), du microscope (Virchow) et de l'instrumentation chirurgicale (Billroth), écrit-il. Aujourd'hui, nous traversons une autre révolution, similaire, où l'ère de l'information constitue nos fondations et les nouvelles technologies citées ci-dessus constituent nos potentiels. Nous avons les moyensd'aller plus loin que la chirurgie laparo-scopique et de modifier profondément le visage de la chirurgie du futur. L'image 3D d'un patient est un outil diagnostique, une méthode de planification préopératoire, une aide à la navigation peropératoire et un outil de formation chirurgicale amélioré : tous sont interconnectés. Les signaux des micro-senseurs transforment un «simple» instrument en un instrument «intelligent» continuellement relié au système de surveillance, tandis que le report d'images préopératoires sur l'image vidéo réelle, en peropératoire, peut permettre de localiser des vaisseaux sanguins et des tumeurs et ainsi donner au chirurgien des possibilités auparavant inaccessibles. Le message est clair : l'information donne le pouvoir. Notre responsabilité est tout aussi claire : nous devons sérieusement évaluer les meilleurs rapports rendement-prix de ces technologies capables d'améliorer la santé du patient. Et plus important encore : nous devons opter pour le changement. Le changement peut nous permettre de garantir au patient une qualité de soins dont nous osions à peine rêver, il y a encore dix ans.»