Au cours du vieillissement, la marche se modifie de manière significative. Les modifications sont liées à l'âge et à d'autres facteurs tels que la peur de chuter ou de rechuter, le manque de force musculaire, les troubles de la sensation périphérique et de la vision ou un état dépressif.Par l'analyse biomécanique de la marche, il est possible d'identifier ces modifications à un stade précoce avant qu'elles deviennent visibles à l'il nu. L'augmentation de l'écartement des deux pieds, la variabilité élevée de l'enjambée et du temps en appui bipodal, ont été identifiées comme facteurs prédictifs de chutes. L'analyse de la marche a donc pour rôle l'identification précoce des individus à haut risque de chute. Il reste à prouver que cette méthode est également appropriée pour documenter les effets des interventions sur la marche et des facteurs prédictifs de chute.
La chute est un événement majeur dans la vie d'une personne âgée. La première chute devrait être considérée comme le signe précoce d'un déclin fonctionnel accéléré. Face à la peur d'un placement en institution, les chutes sont souvent passées sous silence, surtout quand il n'y a pas eu de témoins ni de blessure visible. La peur de rechuter favorise l'adoption d'un style de vie encore plus sédentaire menant à l'isolement social et à une diminution importante de la qualité de vie.
Depuis des décennies, l'élimination d'obstacles potentiels dans le domicile d'une personne âgée a été la stratégie de premier choix dans la prévention des chutes. Cependant, par rapport à l'efficacité des modifications environnementales, quelques doutes subsistent. Dans deux études récentes, aucune association entre les obstacles environnementaux et les chutes n'a été relevée.1,2 Une des explications est la divergence de perception du rôle de ces obstacles : beaucoup de personnes âgées se servent de ces objets, placés dans leur domicile de façon à augmenter leur mobilité et leur élimination par les soignants crée une déstabilisation, ce qui a pour résultat d'être contre-productif.
Aujourd'hui, la prévention des chutes consiste plutôt à intervenir sur l'individu que sur son environnement. De nombreuses données montrent que des interventions au niveau de la personne : exercices physiques, instructions de comportement ou ajustements de médicaments sont extrêmement efficaces.3-5 De plus, de telles interventions s'adressant à l'individu et non à l'environnement, ont l'avantage d'être efficaces, non seulement à l'intérieur du domicile, mais aussi à l'extérieur.
Prévenir les chutes, c'est :
1. identifier des facteurs prédictifs de chute avant que celle-ci ne survienne. Pour les chutes qui surviennent pendant la marche, les facteurs prédictifs ne sont souvent pas évidents à première vue et nécessitent une analyse biomécanique de la marche effectuée dans une unité spécialisée ;
2. initier à temps des interventions spécifiques dans le but de renverser les déficits identifiés.
Une majorité des chutes a lieu au cours de la marche.6 Des tests d'équilibre statique tels que : se balancer sur un pied ou le test de Romberg, ne donnent que peu d'informations sur la capacité d'équilibre dynamique d'une personne âgée et son risque de chute pendant la marche. Par exemple, l'habilité d'ajuster la longueur du pas, suite à l'apparition soudaine d'un obstacle, semble être une meilleure façon d'identifier les personnes à risque de chuter pendant la marche.7
L'analyse biomécanique de la marche est un moyen d'identifier des modifications d'équilibre dynamique qui ne sont pas forcément visibles à l'il nu. Récemment, des modifications biomécaniques telles que l'écartement élevé des deux jambes pendant la marche ou la variabilité de longueur d'un pas à l'autre, ont été associées à un risque de chute élevé.8 L'identification de ces facteurs prédictifs de chute au stade précoce offre la chance d'intervenir à temps chez les chuteurs potentiels.
Quand le corps se meut en avant, un des membres inférieurs sert comme source mobile de support pendant que l'autre membre avance vers une nouvelle position de support. Ensuite, les deux membres inférieurs inversent leurs rôles. Cette série de mouvements est répétée jusqu'au moment où la personne arrive à la destination souhaitée. Une seule séquence de mouvements effectués par une jambe, se définit comme étant le «cycle de marche». Du fait de sa définition biomécanique précise, l'événement de contact avec le sol a été choisi comme début du cycle de marche. Un cycle de marche commence donc au moment où le pied touche le sol et se termine au moment où le même pied touche de nouveau le sol. Le cycle de marche d'une jambe est divisé en phases statique et dynamique (stance, swing) (fig. 1). Dépendante de l'activité de l'autre jambe, la phase statique se divise en phase d'appui bipodal et monopodal (double support, single limb stance). La différenciation des diverses phases du cycle de marche est importante car elle diffère de manière significative chez les personnes jeunes et les personnes âgées.
La vitesse de marche est mesurée au «steady state» sans inclure les changements de vitesse lors de l'initiation ou de la décélération de la marche et s'exprime en mètres/seconde. Sans autre indication, la vitesse de marche est choisie par la personne elle-même et correspond à sa vitesse de confort. Le rythme de la marche est défini comme étant la cadence et correspond au nombre de pas effectués par minute. La longueur du pas est la distance entre deux contacts avec le sol consécutifs des deux pieds, l'enjambée (stride) est la distance entre deux contacts avec le sol consécutifs du même pied (fig. 2).
Pouvoir marcher est un des aspects fondamentaux pour le maintien de l'indépendance et de l'intégration sociale. Huit à vingt pour cent des personnes âgées non institutionnalisées ont des troubles de la marche.6 Ce chiffre monte à 63% chez les personnes âgées institutionnalisées.6
Avec l'âge, la longueur de l'enjambée et du pas diminue sans ralentissement de la cadence.9 Ces changements font que la vélocité diminue et que la durée de l'appui bipodal augmente. L'énergie musculaire au niveau de la cheville (flexion plantaire) diminue et celle du niveau de la hanche (flexion) s'accroît. Toutes ces modifications étant intimement liées, la cause primaire pour les changements décrits reste peu évidente. Aussi, les modifications peuvent être le résultat de l'adaptation à un style de marche plus stable avec de longs passages en appui bipodal et de courts passages sur une seule jambe.
De nombreuses pathologies du système neuro-musculaire et du squelette (par exemple : maladie de Parkinson, arthroses, déformations du pied, etc.) modifient l'image de marche de manière visible. La personne boite, fait des pas minuscules ou avance à une vitesse extrêmement lente. D'autres facteurs (par exemple : peur de chuter, troubles de la vision, dépression ou manque de force au niveau des membres inférieurs) peuvent affecter la marche de manière importante sans être forcément visibles8,10,11. Par exemple, Maki et coll.8 ont trouvé que des personnes âgées qui ont peur de chuter présentent une diminution de leur enjambée de 20 cm, une diminution de leur vitesse de marche de 0,2 m/sec et une augmentation du temps passé en appui bipodal de 5,5% par comparaison avec des sujets qui n'ont pas peur de chuter.
Dans la même étude prospective de Maki et coll., les facteurs prédictifs de chutes suivants ont été identifiés : l'augmentation de l'écartement des deux pieds pendant la marche, l'augmentation de la variabilité de la longueur de l'enjambée et du temps de l'appui bipodal. Ces facteurs prédictifs identifiés corroborent l'hypothèse antérieure de Gabell et coll.12 selon laquelle la variabilité des paramètres de marche est associée à un risque de chute élevé. Il est possible que cette variabilité élevée soit due à des erreurs au niveau du contrôle moteur qui amène à un mauvais placement du pied.
A première vue, l'association entre l'écartement de jambe élevé et un risque de chute élevé est surprenante. En écartant plus les deux jambes, on pourrait s'attendre à ce que la stabilité soit plutôt améliorée. D'ailleurs, il est connu que des personnes âgées qui chutent ont des difficultés à contrôler leur stabilité latérale.13 En fait, avec un placement de pied plus latéral, l'accélération latérale du centre de gravité est augmentée et il en résulte une instabilité latérale plus importante.
A ce jour, l'influence d'interventions sur les facteurs prédictifs de chute décrits a été peu investiguée. Basées sur l'hypothèse de déficit du contrôle moteur, les formes d'exercices qui incluent des tâches sollicitant des mouvements précis et bien contrôlés (par exemple : le Tai Chi, danse, exercices de balance) semblent être les plus prometteuses. Cette hypothèse est soutenue par les résultats de Wolf et coll.14qui attestaient une diminution de risque de chute de 47,5% chez des personnes âgées qui participaient à un entraînement de Tai Chi pendant quinze semaines. Une grande étude prospective qui investigue l'effet du Tai Chi sur les paramètres de la marche et d'autres variables est actuellement en cours aux Etats-Unis.
La variabilité élevée en longueur de pas et l'augmentation de l'écartement des deux jambes sont associées à un risque élevé de chute chez la personne âgée. Pour l'instant, l'analyse biomécanique de la marche est le moyen de choix pour détecter ces facteurs prédictifs de chute. Il reste à prouver dans quelle mesure des exercices sollicitant le contrôle moteur sont capables d'influencer ces facteurs prédictifs de chute et à quel point l'analyse de la marche peut servir de méthode de contrôle de l'efficacité des interventions.