Organisé au Centre médical universitaire par le Dr Marc Archinard, chef de la Division de psychiatrie de liaison, et parrainé par Pharmacia (Suisse), le9e Colloque de Genève sur les progrès récents en psychiatrie était avant tout consacré aux psychothérapies de la dépression. Aujourd'hui, personne (ou presque) ne conteste la nécessaire complémentarité entre thérapies médicamenteuses et thérapies psychologiques. En revanche, une question reste toujours débattue : «Quelle psychothérapie pour quel patient ?». Pour tenter d'y répondre, trois psychothérapeutes ont évoqué les approches psychanalytique, cognitiviste et interpersonnelle. Si les points de vue sont différents, ils arrivent à la même conclusion : le thérapeute compte plus que la technique.Dans la dépression, les facteurs biologiques, environnementaux et psychologiques s'influencent mutuellement, rappelle le Dr Bernard Reith, psychanalyste genevois. Et d'ajouter que si les médicaments agissent sur les symptômes dépressifs, la psychothérapie s'attaque à l'origine du mal, à savoir le comportement dépressiogène. Ce dernier regroupe un ensemble d'attitudes qui, à l'insu du patient, vont le déprimer ou le maintenir dans cet état.
La dépression apparaît ainsi comme une tentative inadéquate de faire face aux vicissitudes de la vie. Une mauvaise stratégie de résolution des problèmes qui met le patient en échec et augmente sa propension à marquer des «auto-goals».
Derrière ces «solutions» dépressiogènes, on trouve, selon l'interprétation psychanalytique, une lutte incessante contre des sentiments dérivés des conflits inconscients non résolus remontant à l'enfance. Traduction : l'individu a été confronté à des pertes réelles ou symboliques précoces dont il n'a pu faire le deuil. A l'âge adulte, ce vécu d'impuissance, de détresse et de rage continue à hanter son inconscient et à entraver ses capacités d'adaptation.
Antidépresseurs et psychanalyse
(B. Reith)
La psychothérapie d'inspiration psychanalytique, en face à face ouvert ou limité dans le temps, a sa place dans le traitement de la dépression. Cependant, ce type d'approche ne convient pas à tout le monde. A vérifier avant par le psychothéra-
peute : le patient doit impérativement réa-
liser qu'il joue un rôle dans le maintien et la répétition de ses échecs. Il doit désirer changer et participer activement à ce changement. Autre préalable nécessaire : son organisation mentale doit être suffisamment solide et souple pour supporter une remise en question de soi et le bouleversement émotionnel qui peut en découler.
En effet, le patient est amené au cours de la psychothérapie à s'intéresser de très près à son fonctionnement interne. L'objectif ? L'amener à voir que ses comportements manifestes ont leur pendant inconscient. Grâce au mécanisme de transfert, la répétition de ces attitudes avec le thérapeute va servir de révélateur et permettre au processus de changement de s'engager.
Cette prise en charge n'exclut pas le recours aux médicaments. «J'attends une réelle synergie entre la psychothérapie et la pharmacothérapie, explique Bernard Reith. Contrairement aux idées reçues, l'effet des antidépresseurs n'entrave pas le travail psychothérapeutique. Il aide même le patient à s'engager dans un travail qu'il n'aurait pas fait autrement.» Oui, mais encore faut-il que celui-ci accepte de les prendre. Or, il y a beau-
coup à apprendre du sens que donne le patient au médicament. D'où l'impor-
tance d'intégrer le traitement pharmaco-
logique dans la relation.
Thérapies cognitives et comportementales (TCC) et dépression récurrente
(G. Bondolfi)
L'interdépendance entre les facteurs biologiques et psychologiques est particulièrement visible dans la dépression récurrente. Rappelons que les troubles dépressifs majeurs récidivent dans 50% des cas. Après deux épisodes, le taux de rechute atteint 70%. Après trois épisodes, il grimpe jusqu'à 90%.
On pense aujourd'hui que la répétition des épisodes dépressifs favorise un phénomène de sensibilisation à la fois biologique et cognitif : le seuil d'activation de la dépression tend à baisser au fil des rechutes. «On assiste à un passage progressif d'une réaction psychologique à une maladie qui se développe indépendamment des événements qui lui ont donné naissance», explique le Dr Guido Bondolfi, spécialiste des thérapies cognitives et comportementales (TCC) au Département de psychiatrie des Hôpi-
taux universitaires de Genève (HUG).
La succession d'épisodes dépressifs facilite également la réactivation de schémas de pensée rigides et pessimistes. Mises en place après des expériences négatives et intériorisées depuis l'enfance, ces croyances de base sont à l'origine de distorsions cognitives automatiques. Le déprimé interprète le monde, lui inclus, sur un mode négatif. On peut même dire qu'il pense la réalité de «travers». Ces erreurs d'appréciation renforcent la dépression et jouent un rôle indéniable dans son maintien.
La TCC propose justement de travailler sur ces schémas dysfonctionnels et d'aider le patient à trouver des pensées alternatives. Cette thérapie brève, souvent combinée aux antidépresseurs, pose comme principe de départ que le patient est «l'expert de sa vie». En cherchant avec son thérapeute des solutions concrètes pour gérer son quotidien, il acquiert des compétences qu'il pourra tester in vivo, en dehors des séances.
Mais les atouts de la TCC ne s'arrêtent pas là. Elle permet aussi de lutter contre les signes résiduels de la dépression, lesquels augmentent le risque de rechute. Des séquelles qui s'expliquent par la difficulté qu'a le patient à déchif-
frer ses variations d'humeur : il se sent tris-
te mais ne parvient pas à savoir si c'est normal ou si c'est une dépression. Or, les techniques telles que la TCC permettent d'améliorer ce décodage et de ren-
dre le patient actif dans la détection des symptômes précoces. Des études ont d'ailleurs montré qu'après trois épisodes dépressifs, le suivi d'une TCC pendant la phase de rémission est capable de réduire le nombre de rechutes.
Thérapie interpersonnelle
(Th. Hovaguimian)
Du point de vue interpersonnel, une personne déprime parce qu'elle se trouve dans l'impossibilité de poursuivre un rôle. Ce blocage dans les liens interpersonnels est fondamentalement impliqué dans le déclenchement ou le maintien des troubles dépressifs. Le contexte dans lequel se déploie la dépression est donc essentiel. «L'étude des événements de vie occupe une place centrale dans la prise en charge du patient dépressif», insiste le Dr Théodore Hovaguimian, spécialiste de la thérapie interpersonnelle (TIP). Et de préciser qu'il existe qua-
tre domaines susceptibles d'empêcher un individu d'exercer de manière satisfaisante un rôle interpersonnel : le deuil (réel ou symbolique), les conflits, les transitions de vie et l'isolement social.
La TIP est plus particulièrement recommandée dans les dépressions réactionnelles simples sans trouble de la personnalité. Axée sur le présent, cette approche prévoit une vingtaine de séances au cours desquelles le patient prend part activement à la recherche de solutions pour surmonter ses difficultés interpersonnelles. Comment ? En résolvant un deuil, en terminant une dispute, en se recyclant dans un autre rôle ou encore en trouvant des ressources pour rompre
l'isolement social.
A noter aussi que les antidépresseurs peuvent être associés à la TIP. «Les médicaments améliorent les symptômes les plus endogènes de la dépression, estime Théodore Hovaguimian. Les psychothérapies corrigent d'autres dysfonctions. Les antidépresseurs soignent la dépression, la psychothérapie le déprimé. Il faut les deux».S. Soumaille