La prise en charge hospitalière des pyélonéphrites aiguës (PNA) repose principalement sur la clinique. Ce sont l'anamnèse et l'évolution au cours des deux à trois premiers jours qui vont permettre de différencier une PNA simple d'une PNA compliquée. On pratique ainsi sélectivement le bilan radiologique, ce qui engendre moins d'examens et donc limite le coût de la prise en charge. A l'ère de la médecine fondée sur les preuves, nous avons remis ce dogme en question. Notre étude rétrospective sur dix ans et plus de 500 cas suggère que le rapport coût-bénéfice est nettement en faveur d'une échographie de routine pour tous les cas de PNA admis dans notre institution.
Le terme de pyélonéphrite aiguë (PNA) réunit plusieurs entités nosologiques allant de la pyélonéphrite aiguë simple à la pyonéphrose, en passant par les abcès rénaux ainsi que plus rarement à la pyélonéphrite emphysémateuse.
Pour le clinicien toutefois, lors de la prise en charge et au cours du suivi initial, il est surtout primordial de distinguer entre pyélonéphrite aiguë simple et compliquée.1 Cette dernière entité est définie de la façon suivante : toute infection rénale chez un patient dont l'arbre urinaire présente une anomalie structurelle et/ou fonctionnelle à l'origine d'une stase urinaire dans le rein.
Le diagnostic de PNA compliquée est donc essentiel, car il aboutit le plus souvent à un drainage en urgence par voie endoscopique rétrograde (sonde urétérale) ou par voie percutanée (néphrostomie) d'une hydronéphrose surinfectée ou d'un abcès (ponction radioguidée). En effet, lors d'une obstruction, un traitement antibiotique seul est inefficace, comme pour toute collection purulente non drainée.
L'identification tardive d'une PNA compliquée aboutit à un drainage différé dont les conséquences médicales (perte de parenchyme rénal, sepsis, décès) et économiques (prolongation du séjour hospitalier) peuvent être majeures.2,3
Le diagnostic de PNA est basé sur des critères cliniques qui ne permettent pas de différencier de manière fiable une forme simple d'une forme compliquée.1
Actuellement, l'imagerie radiologique n'est pas considérée comme faisant partie du bilan initial d'une PNA.4,5,6 La constellation clinique et biologique aboutit à une prescription antibiotique dirigée contre les germes Gram négatifs.7
Dans les formes sévères ou d'évolution défavorable, il est d'usage de réévaluer la situation après deux à trois jours d'antibiothérapie bien conduite en pratiquant soit une tomodensitométrie computérisée, soit une échographie.8,9 Cette sélection clinique est censée augmenter le rendement du bilan radiologique.6
Tout clinicien a cependant en mémoire la PNA compliquée dont le drainage tardif aboutit à des complications septiques graves, voire fatales. C'est dans ce contexte que nous avons remis en question le dogme de l'investigation radiologique différée : ne serait-il pas plus rentable médicalement et économiquement que toute PNA bénéficie d'un bilan radiologique immédiat ?
Une revue de la littérature confirme l'absence d'études démontrant économiquement l'avantage d'un bilan radiologique sélectif différé. Le fait de restreindre l'imagerie à certains patients limite évidemment le coût de la facture radiologique. Les conséquences économiques et cliniques de cette sélection restent peu explorées dans la littérature.10,11
Nous avons donc comparé l'impact clinique et économique en milieu hospitalier de la classique investigation radiologique différée en cas d'évolution défavorable par rapport à l'échographie immédiate pour toute PNA hospitalisée.
De manière rétrospective, nous avons comptabilisé tous les patients hospitalisés pour une PNA à l'Hôpital cantonal de Genève au cours des dix dernières années (de 1990 à 1999). Les PNA associées aux pathologies suivantes ont été considérées comme des formes compliquées (tableau 1) : obstructions (calcul, maladie de la jonction pyélo-urétérale, sténose urétérale), anomalie anatomique congénitale (rein en fer à cheval, uretère bifide, urétérocèle), anomalie acquise (néo-vessie iléale orthotopique, dérivation urinaire urétéro-iléale transcutanée selon Bricker), anomalies fonctionnelles (vessie neurogène, reflux vésico-urétéral, résidu sur trouble de la vidange vésicale) et diabète.
Les dossiers des patients hospitalisés dans le service d'urologie pour une PNA compliquée ont été revus en détail. Ont été répertoriés : l'anamnèse, le status, le laboratoire, les examens radiologiques et leur date, ainsi que les paramètres propres aux patients.
Pour chaque patient, deux intervalles de temps illustrant le délai entre la prise en charge initiale et la réalisation du drainage de la stase urinaire rénale ont été calculés :
1. le nombre de jours entre la première consultation médicale à l'admission et la réalisation de l'échographie, soit le nombre de jours théoriques d'hospitalisation inutiles (on part du principe que la mise en évidence de l'aspect obstructif de la PNA aboutit immédiatement à un drainage) ;
2. le nombre de jours entre la première consultation médicale à l'admission et la décision thérapeutique adéquate (indication au drainage) ; soit le nombre réel de jours d'hospitalisation inutiles. La différence entre ce nombre et celui défini en 1. permet de mettre en évidence l'éventuel délai injustifié entre l'information-clé et le drainage.
Seuls les patients dont la PNA était le diagnostic principal ont été inclus dans l'étude. Ont été exclues les PNA de greffons rénaux ainsi que celles ayant eu lieu en cours de grossesse, chez lesquelles une échographie immédiate s'impose de toute manière.
Dans notre institution, le coût réel d'une journée d'hospitalisation est de Fr. 900. en chambre commune. Quant à l'échographie abdominale complète, elle revient à Fr. 100.. Il n'y a pas de différence de coût entre sa réalisation en électif ou en urgence.
Nous avons imaginé un modèle théorique en tenant compte du coût d'une échographie et du classique délai de deux jours d'observation, ce qui permet de calculer la fréquence maximale des PNA compliquées, au-delà de laquelle il devient avantageux de faire une échographie à l'admission de toute PNA. Ceci peut être calculé selon la formule donnée dans le tableau 2. En termes simples, dans notre institution, deux jours d'hospitalisation (2 x Fr. 900.) coûtent la même chose que 18 échographies (18 x Fr. 100..). Donc au-delà d'une fréquence d'une PNA compliquée pour 18 formes simples, il est avantageux d'effectuer une échographie immédiate de routine.
Cinq cent trente-six patients, porteurs du diagnostic principal de PNA, ont été hospitalisés dans notre établissement pendant ces dix ans. 97 patients (18%) ont été transférés à la clinique d'urologie en raison de leur forme compliquée. A noter que chez 52% (N = 50) de ces patients, il n'y avait pas d'indice anamnestique en faveur d'une PNA compliquée.
De ces 97 patients, trois quarts (n = 73) ont été drainés, soit par néphrostomie (antérograde), soit par sonde urétérale (rétrograde) pour une forme obstructive. Ces 73 PNA, que l'on peut qualifier de chirurgicales en raison de leur drainage, représentent 14% du collectif total de PNA (n = 536) (tableau 3).
Sur les 97 patients qui nous ont été adressés, 82 d'entre eux l'ont été à l'admission, notamment sur la base des critères anamnestiques dont la liste se trouve dans le tableau 1. Par contre, quinze patients ont eu une ultrasonographie en moyenne huit jours après la prise en charge initiale totalisant 125 jours. Enfin sept patients nous ont été tardivement présentés malgré une échographie compatible avec une obstruction, ceci après un intervalle supérieur à deux jours dans tous les cas.
La morbidité spécifique associée aux drainages tardifs n'a pas été évaluée. A noter toutefois que 19 des 73 patients drainés (26%) ont perdu une unité rénale dans les six mois qui ont suivi.
Au plan économique, il est aisé de calculer que si une US avait été faite à l'admission de chaque PNA durant ces dix ans (n = 536), cela aurait coûté Fr. 53 600. (536 x 100).
Par contre, si les 97 patients avec une forme compliquée avaient attendu selon l'attitude classique deux jours avant d'avoir leur US, cela aurait théoriquement coûté en termes d'hospitalisations prolongées Fr. 174 600. (2 x Fr. 900. x 97), soit plus du triple de ce qu'aurait coûté une US pour chaque PNA admise (tableau 4).
En réalité, le coût du nombre de journées hospitalières inutiles, mises en évidence chez quinze patients avant l'échographie, se monte à Fr. 112 500. (125 jours x Fr. 900.), soit plus du double qu'une US immédiate à tous les patients hospitalisés pour PNA.
Selon la formule développée dans le tableau 2, la fréquence minimale de PNA compliquée au-delà de laquelle il devient avantageux de pratiquer une échographie à chaque PNA admise est inférieure à 6% (2 x Fr. 900./Fr. 100. = 18 et 1/18 = 0,056). Ceci est largement inférieur aux 14% de PNA qui ont nécessité un drainage dans notre institution. En admettant que l'anamnèse soit susceptible d'orienter vers le diagnostic de PNA compliquée dans 50% des cas, la moitié des PNA drainées représente toujours 7% du collectif, soit 1,5 % de plus que la fréquence maximale calculée à 5,6%.
Ce travail démontre qu'il est cliniquement et économiquement injustifié dans notre institution de tenter de cibler le bilan radiologique selon l'évolution clinique. Cette tentative de sélection coûte plus cher que de réaliser systématiquement une échographie à tout patient admis pour une PNA.
Une telle constatation surprend car elle survient dix à quinze ans après les règles établies sur la base de travaux réputés sérieux.12,13 Il y a plusieurs explications à cette surprise. Tout d'abord, en reprenant ces travaux, il apparaît que les critères qui visent à sélectionner les patients allant bénéficier d'un bilan radiologique ne remplissent pas les exigences de la médecine fondée sur les preuves. Il n'y a notamment dans aucune de ces études une analyse financière valable, de type rapport coût-bénéfice. Au mieux, seul le coût des échographies est pris en considération.11
Ensuite, il nous semble que la valeur de l'ultrasonographie a été sous-évaluée par certains.
Les adeptes de l'échographie sélective clament en effet que celle-ci n'est pas assez sensible pour diagnostiquer une pyonéphrose.14 Nous répondrons à cela que l'échographie a le mérite de pouvoir facilement dévoiler une dilatation pyélo-calicielle, qui dans le contexte clinique doit faire suspecter une possible pyonéphrose obstructive.
Ce travail comporte des biais à commencer par sa méthodologie qui est rétrospective. On ne peut en effet affirmer que toutes les PNA obstructives ont vraiment bénéficié de leur drainage. On ne peut pas non plus exclure qu'un faible pourcentage d'entre elles ait pu évoluer favorablement sous traitement médical seul.
Un autre biais est celui de la tarification. Dans notre institution, le coût de l'ultrasonographie est faible, ce qui permet le large emploi que nous proposons dans ce travail. La facturation d'une échographie peut toutefois être jusqu'à 3 à 5 fois plus élevée, notamment dans la pratique extra-hospitalière. Dans ces circonstances, il conviendra d'adapter l'indication à l'ultrasonographie selon la formule du tableau 2.
Deux autres constatations frappent dans cette étude. Tout d'abord, le bilan radiologique n'a été différé que chez 16% des patients. Ceci renforce la valeur de l'anamnèse qui, chez la moitié des patients, est contributive, et permet un triage rapide, aboutissant à la réalisation du bilan radiologique le jour de l'admission. Reste toutefois l'important délai (plus d'une semaine) dont ont souffert 16% des patients. Ceci illustre le danger de la pratique du bilan radiologique sélectif différé : on sait qu'il est autorisé d'observer l'évolution quelques jours, mais ce temps d'observation ouvre apparemment la porte à la procrastination du bilan. Ceci renforce la validité d'une règle simple et efficace telle que l'immédiateté du bilan ultrasonographique pour toute PNA admise.
Enfin, la constatation de l'existence d'un délai entre la réalisation de l'échographie et le drainage est intrigante. Cette latence reflète peut-être chez certains l'absence de notion de danger que représente une PNA compliquée, notamment obstructive.
Si l'on part du principe qu'une dilatation est d'emblée signalée à l'urologue ce qui n'est pas toujours le cas3 et finalement que celui-ci prenne une décision ad hoc, alors dans notre institution, une ultrasonographie immédiate à toute PNA admise se justifie économiquement. Comme toujours en médecine, l'anamnèse reste le pilier principal d'une prise en charge correcte. Le drainage de toute PNA obstructive est un principe thérapeutique essentiel.
La proportion significative de PNA compliquées mise en évidence dans ce travail renforce le rôle-clé joué par le clinicien trieur aux admissions.