C'est fait ! Après plus d'un an d'atermoiements, de tergiversations, de quiproquos et de malentendus, le gouvernement français a décidé d'interdire toute forme d'utilisation alimentaire des intestins de bovins. Quels que soient l'âge des animaux et leur lieu de naissance, l'intestin bovin, de l'iléon au cæcum soit près de 40 mètres de bon et beau tissu est banni de la sphère alimentaire animale et humaine. En d'autres termes, plusieurs dizaines de milliers de tonnes de viscères bovins vont, chaque année, s'ajouter à l'ensemble des abats qui, au nom de la lutte contre la «vache folle», doivent être détruits par incinération. Et, pour reprendre une formule que nous avions, il y a quelques mois, empruntée à un confrère du Figaro (Le journal de la vache folle no 15, Médecine et Hygiène du 31 mai 2000), les experts ont bel et bien eu la peau du saucisson.
L'affaire est, à bien des égards, exemplaire en ce qu'elle témoigne de la difficulté rencontrée par le politique à traduire dans les faits certaines des mesures recommandées par les experts scientifiques. En France, la question de l'élimination de l'incorporation des intestins bovins dans les circuits alimentaires humains et animaux n'est pas vraiment neuve. Elle a été pour la première fois officiellement soulevée le 30 juin 1999, date à laquelle le Comité des experts français des maladies à prions, présidé par le Dr Dominique Dormont, avait, entre autres mesures de précaution, recommandé au gouvernement de faire procéder à l'exclusion de ces abats. Cet avis a été fondé sur une série de références scientifiques permettant d'affirmer que, dans les pays où l'affection sévit sur un mode endémique, certains des composants des tissus intestinaux bovins (les formations lymphoïdes ou plaques de Peyer) pouvaient être contaminés par l'agent de l'ESB.
Qui, alors, s'intéressa vraiment à l'affaire ? Il fallut attendre le mois de juillet 2000 pour que l'on mette en place le retrait du seul iléon distal (soit une longueur de 1,5 mètre), fraction anatomique con-
nue pour être potentiellement plus dangereuse que le reste des intestins. Sans doute, alors, les politiques avaient-ils bien mesuré que l'interdiction définitive de la totalité de l'intestin ne pouvait pas avoir des conséquences notables dans l'industrie de la boyauderie et le secteur de la charcuterie traditionnelle. On observa ensuite une longue période de valse-hésitation, le gouvernement essayant diverses solutions et soumettant différents projets d'arrêtés à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Au final, cette agence fut saisie d'une demande relative à l'efficacité d'un procédé de traitement mécanique (connu dans les milieux professionnels sous le terme de délimonage et visant à éliminer les plaques de Peyer). Les expériences mises en uvre montrant que le délimonage n'offrait pas de garanties suffisantes, l'Afssa devait conclure que «l'ensemble de l'intestin peut être considéré comme à risque chez les animaux en incubation».
Sans doute, était-il temps d'agir et, pour le gouvernement, de passer aux actes demandés quinze mois auparavant par les experts. «Au terme d'un processus de décisions interministérielles et sur la base d'un accord unanime entre les trois ministères concernés, le gouvernement a décidé de suivre l'avis de l'Afssa, devait alors déclarer au Monde, Jean Glavany, ministre de l'Agriculture. Il faut rappeler que le premier avis de cette Agence allait au-delà des préconisations communautaires de l'Union européenne et que son impact économique et social était loin d'être négligeable avec de lourds problèmes de contrôle à l'importation. Nous avons donc, en toute transparence, cherché une solution. Celle-ci ne donnant pas satisfaction, le gouvernement se range à l'avis de l'Afssa».
Comme on pouvait l'imaginer, l'affaire devait aussitôt susciter de vives réactions dans les milieux professionnels comme chez les consommateurs. Elle devait aussi permettre au plus grand nombre de découvrir qu'une part non négligeable des charcuteries de gros cali-
bres étaient enveloppées de tuniques intestinales bovines. A Caen, les artisans charcutiers, producteurs de la véritable andouille de Vire, ont assuré qu'ils n'utilisaient pas d'éléments bovins dans leurs produits. «Il n'y a pas un gramme de buf dans la véritable andouille de Vire, a notamment déclaré, à l'Agence France-Presse, le président du syndicat de défense de la véritable andouille de Vire, qui regroupe les huit plus importants producteurs artisanaux et industriels de ce type d'andouille dans le Calvados. Nous sommes révoltés car certains médias ont fait aujourd'hui l'amalgame entre la véritable andouille de Vire et les autres». «Il y a la véritable andouille de Vire, celle que l'on fait nous, et l'andouille de Vire fabriquée en Bretagne par certains industriels qui utilisent du buf comme peau de substitution pour entourer l'andouille» a tenu à préciser un autre producteur affilié au syndicat de défense.
Alors quid de la baudruche de buf ? Plus chère à l'achat, elle est parfois utilisée par les industriels afin d'éviter les trop nom-
breux éclatements rencontrés avec les tissus porcins. Et pour les artisans producteurs d'andouille de Guéméné, dans le Morbihan, la suppression de la baudruche de buf pour la fabrication est parfaitement envisageable. «On peut faire sans. La baudruche de buf est utilisée à la finition. Il suffira donc de mettre une enveloppe de porc supplémentaire à la place. L'andouille sera un peu plus fripée, mais meilleure au goût car la fumée passera mieux à travers les boyaux», a expliqué un producteur. La vache est folle ? Que vive l'andouille !