Où commence, comment gonfle et jusqu'à quelles extrémités peut conduire une crise ? Il faudra reprendre un jour prochain l'enchaînement de tous les événements, hiérarchiser, analyser, comprendre. Pour l'heure le déferlement est tel que l'on ne peut les yeux rivés sur l'écran bleu de nuits parisiennes trop souvent blanches que rapporter dans l'instant. Dira-t-on un jour que la journée du mardi 12 novembre fut, d'une certaine manière, historique ? Peut-être. Elle commença dès l'aube cette journée plus que laborieuse. Avec tous les messages urgents des dépêches des agences internationales de presse. «Les ministres européens de l'agriculture sont parvenus mardi matin peu avant 7 h 00 GMT, à une position commune sur les conséquences de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et à certaines mesures pour endiguer la crise, a-t-on appris auprès de la présidence française» a-t-on reçu de Bruxelles. Quelques heures plus tard nous eûmes connaissance des premiers éléments de l'accord. «Le Conseil a procédé à un examen attentif de la situation résultant des récents développements relatif à l'ESB et a pris note des différentes mesures d'urgence arrêtées ces derniers jours, pouvait-on lire. Il a confirmé la nécessité d'assurer le niveau le plus élevé possible de protection des consommateurs et de regagner leur confiance. Il a également pris note de la résolution votée par le Parlement européen jeudi dernier [en faveur de l'interdiction définitive de l'utilisation des farines animales]. Il a confirmé l'importance des mesures prises en matière de traçabilité, y compris l'étiquetage des produits transformés, et de retrait des matériels à risques, tant au niveau communautaire qu'au niveau national pour protéger la santé des consommateurs».
Tout alors devait s'accélérer. Le Conseil rappelait qu'il appartient aux Etats membres de veiller à la stricte application de ces mesures et a pris bonne note de l'intention de la Commission de mener très rapidement les inspections nécessaires à cet effet. En conséquence, il estimait que les mesures communautaires «apportent aujourd'hui aux consommateurs de très grandes garanties sur la sécurité de la viande bovine, qu'il convient de continuer à évaluer et à renforcer en fonction du développement des connaissances scientifiques». Il accueillait enfin «favorablement» la récente proposition de la Commission visant à étendre les tests rapides de dépistage (type Prionics) dès le 1er janvier 2001 pour tous les bovins «à risque» âgés de plus de 30 mois. Mais qu'est-ce qu'un bovin «à risque » ? Ni l'Europe ni l'histoire ne le disent.
Après-midi du même jour : le gouvernement français annonce un plan d'aide à la filière bovine de 3,24 milliards de francs, dispositif aussitôt critiqué, tout comme le renforcement minimal du plan de lutte européen contre la maladie de la vache folle obtenu à Bruxelles. Les organisations agricoles, la FNSEA comme la Confédération paysanne, ont jugé ce plan d'aide insuffisant et menacé de descendre dans la rue. Selon les syndicats de la filière, l'activité a baissé en moyenne de moitié depuis le début de la crise, affectant durement les 50 000 salariés de la profession. Dans la soirée, de Rome, le ministre italien «des politiques agricoles», Alfonso Pecoraro Scanio, exprime un jugement positif sur l'accord intervenu entre les ministres de l'Agriculture européens à Bruxelles. «Nous avons réussi à inverser la position initiale du Conseil en introduisant des mesures de grande prudence dans la lutte contre la vache folle» n'a-t-il pas craint de déclarer.
Et pour finir Lionel Jospin, premier ministre français vient de demander aux maires de France de remettre le buf aux menus des cantines scolaires en faisant valoir que «les produits de qualité de notre filière bovine ont vocation à être de nouveau proposés et consommés sans crainte». S'exprimant devant le 83e congrès de l'Association des maires de France, M. Jospin a expliqué qu'il «revenait aujourd'hui à tous les responsables publics gouvernement et élus locaux de restaurer la confiance des Français dans leur alimentation». Il a aussi insisté auprès des élus sur le fait que le dispositif sanitaire français était «l'un des plus rigoureux d'Europe», en rappelant les mesures de renforcement prises le 14 novembre. Il y a une semaine, le gouvernement a notamment décidé d'interdire l'utilisation des farines animales dans l'ensemble des filières d'élevage.
Qui se souviendra de tout cela ? Qui pourra dire que ce soir-là, l'abattoir de Limoges, qui tue en général chaque semaine 600 jeunes bovins destinés à l'exportation a, ces derniers temps, vu progressivement ce chiffre descendre à 400, puis à 200, et n'en a abattu aucun ces derniers jours ? Ces jeunes bovins mâles de 20 mois, à 80% de race limousine, étaient destinés à l'exportation, exclusivement vers l'Italie et la Grèce qui contre les règles communautaires ferment leurs frontières.
Il fait bien froid, ce soir, sur Paris et sur l'Europe. Les premiers frimas hivernaux, sans doute.