Les méthodes traditionnelles de dépistage des néoplasies bronchiques (radiographie standard du thorax, cytologie des expectorations) ne sont pas en mesure de détecter la maladie à un stade suffisamment précoce pour abaisser de façon significative la mortalité à cinq ans des porteurs de cancer. Le perfectionnement de nouvelles techniques (CT à bas dosage, bronchoscopie en fluorescence, biomarqueurs tumoraux, et bientôt peut-être analyse de l'air expiré) permet une détection de ces néoplasies à un stade plus précoce (stade I) de leur extension. Par rapport aux méthodes traditionnelles, un plus grand nombre de malades est ainsi accessible à la chirurgie, ce qui, à terme, devrait améliorer la moyenne d'espérance de vie des cancéreux bronchiques. Il reste cependant à confirmer, par des études de cohortes, randomisées et si possible contrôlées que ces méthodes de dépistage diminuent réellement le taux de mortalité globale due au cancer pulmonaire.
L'incidence du cancer bronchique, et la mortalité qui lui est liée, demeurent élevées dans les pays développés et augmentent rapidement dans les contrées en voie de développement. La chirurgie reste le meilleur espoir de guérison de cette affection mais sa présentation clinique habituellement tardive fait que nombreux sont les patients inopérables au moment du diagnostic en raison d'une extension locale ou à distance de la tumeur. La mortalité globale dépend étroitement du stade d'extension de la maladie au moment de l'instauration du traitement : survie de 13% en moyenne à cinq ans pour l'ensemble des malades, mais 80% pour les cas qui n'ont pas dépassé le stade I.
Ainsi, la problématique de la détection précoce du cancer bronchique pourrait paraître simple : le cancer bronchique est une maladie fréquente et mortelle. La résection chirurgicale est la seule approche capable d'offrir une guérison potentielle et n'est applicable que dans les formes localisées. Les formes localisées sont les plus probablement celles qui sont identifiées avant que des symptômes en rapport avec le cancer n'apparaissent. La détection précoce est capable d'identifier un nombre significatif de lésions à un stade présymptomatique. Par conséquent, il pourrait apparaître évident qu'un programme de détection précoce du cancer bronchique puisse sauver des vies. Cette ligne de raisonnement intuitive est logique. Au début des années 80, les faits confirmaient chacune de ces assertions, à l'exception malheureusement de la plus importante : sauver des vies, car, par manque de sensibilité des méthodes, les cas étaient majoritairement découverts entre les intervalles de campagne de dépistage.1
En l'an 2000, la controverse du dépistage à large échelle du cancer bronchique resurgit à l'actualité. D'une part certains facteurs de risque ont été depuis lors plus clairement identifiés tels que broncho-pneumopathie chronique obstructive, histoire familiale, sexe, ce qui permet de mieux sélectionner les populations à soumettre au dépistage. D'autre part, ont été perfectionnés de nouveaux outils diagnostiques tels que, entre autres, le CT spiralé, la bronchoscopie en fluorescence, et la détection de marqueurs moléculaires dans l'expectoration, ce qui devrait accroître le rendement du dépistage.
La radiographie du thorax standard en vue postéro-antérieure ne permet de détecter que 70-88% des néoplasies pulmonaires2 dont la majorité ont déjà dépassé 1 cm de diamètre. Une radiographie de profil ou l'emploi de la radioscopie n'améliore que discrètement la sensibilité de cette technique.
Le CT spiralé thoracique à bas dosage, nouvellement mis au point, offre une série d'avantages : il ne nécessite que 15-30 secondes en inspiration, ne provoque pas plus d'irradiation qu'une mammographie de dépistage et peut mettre en évidence des lésions de 2-3 mm de diamètre seulement.
Une étude japonaise3 a comparé le rendement du CT à bas dosage comparé à la radiographie de thorax postéro-antérieure et de profil pour la détection de petits cancers périphériques dans une population à risque (tabagisme évalué à plus de 20 unités/paquet/année (UPA)). Ces examens étaient effectués bi-annuellement. Les radiographies de thorax étaient négatives sur onze des quinze cancers découverts. Le taux de détection était de 0,43% et de 0,12% respectivement pour le CT à bas dosage et les radiographies de thorax ; 93% des tumeurs découvertes par CT étaient à un stade I.
Une autre étude japonaise a montré la faisabilité d'un dépistage à large échelle par le biais d'un camion CT mobile.4 Sur 5483 individus âgés de 40 à 74 ans, dix-neuf cancers pulmonaires confirmés histologiquement furent découverts, dont seize à un stade I. Le taux de cancers détectés par CT à bas dosage fut de 0,48%. Les radiophotos thoraciques ont manqué dix-huit de ces néoplasies. Si cette étude confirme la supériorité du CT sur les radiographies dans le diagnostic du cancer pulmonaire, il reste à démontrer pour sa validation que cette méthode de dépistage diminue la mortalité à cinq ans.
L'étude ELCAP5 (Early Lung Cancer Action Project) s'est intéressée au CT à bas dosage comme méthode de détection de base puis à intervalles annuels, afin de déterminer le nombre de nodules détectés, le pourcentage de nodules malins parmi eux, et leur résécabilité. Mille volontaires de plus de 60 ans (âge moyen 67 ans), fumeurs de plus de 10 UPA (moyenne 45 UPA) et dont 14% avaient eu un contact avec l'amiante, ont subi un CT thoracique à bas dosage ainsi qu'une radiographie du thorax. Deux cent vingt-trois nodules ont été mis en évidence par CT (68 par radiographie). Parmi eux vingt-sept étaient malins (0,7 par radiographie) et vingt-six furent résécables ; vingt-trois cas étaient au stade I (0,4 par radiographie). Le CT à bas dosage a donc permis de détecter trois fois plus de nodules pulmonaires, quatre fois plus de tumeurs malignes et surtout six fois plus de tumeurs à un stade précoce, dont 96% étaient résécables.
Le principe de cette technique est d'utiliser les propriétés de fluorescence des tissus. Initialement on a eu recours à l'hématoporphyrine comme photosensibilisant capable de marquer de façon sélective les tissus malins en leur conférant une intense fluorescence rouge lorsqu'ils sont exposés à la lumière bleue.6 Malheureusement cette substance entraîne une photosensibilité généralisée, momentanée mais sévère, pouvant se traduire par des réactions cutanées graves. En outre, pour des lésions pré-invasives précoces, le rapport entre le signal et le bruit de fond est souvent défavorable. Par ailleurs, les faux positifs en présence d'inflammation ou de métaplasie sont de l'ordre de 27-50%.6
Une autre technique a été développée qui utilise la fluorescence naturelle des tissus soumis à une source lumineuse d'une certaine longueur d'onde (405 nm-442 nm = bleu violet). La source consiste en un laser à hélium-cadmium et montre une diminution de l'intensité de fluorescence surtout dans le vert lorsque les tissus deviennent anormaux (lésions néoplasiques ou pré-néoplasiques).
Avec le bronchoscope LIFE8,9 (Light-Induced Fluorescence Endoscopy) l'arbre bronchique est illuminé par une lumière bleue (442 nm) provenant d'un laser à hélium-cadmium. Les images fluorescentes sont transmises par les fibres optiques du bronchoscope et séparées en leurs différentes longueurs d'onde. L'intensité des couleurs rouge et verte est mesurée après intensification de l'image ; le traitement de celle-ci par ordinateur fournit des éléments de distinction entre tissus normaux et dysplasiques. La nécessité d'amplifier l'image conduit à une intensification du bruit de fond et à une réduction de spécificité. D'autres techniques basées sur des principes similaires sont actuellement en développement.
Plusieurs études ont comparé la détection des néoplasies pulmonaires avec une bronchoscopie conventionnelle et la bronchoscopie en fluorescence. Les quatre grandes études8,10,11,12 évaluant la méthode LIFE ont rapporté une augmentation du taux de détection des dysplasies et carcinomes in situ. Les faux positifs sont cependant fréquents, bien que certaines lésions apparaissant microscopiquement normales, puissent déjà comporter des altérations génétiques au niveau moléculaire suggérant une évolution possible vers un carcinome.
Dans l'étude de Kennedy,11,13 la sensibilité relative de la méthode LIFE par rapport à la bronchoscopie traditionnelle était de 6,3 pour les carcinomes in situ et de 2,7 pour les carcinomes invasifs, la valeur prédictive négative de 0,89 versus 0,83 et la valeur prédictive positive de 0,33 versus 0,39.
La bronchoscopie en fluorescence apporte donc une contribution significative dans la localisation d'une tumeur occulte avec cytologie d'expectorations positives, dans l'évaluation pré-opératoire de patients afin de mieux déterminer l'étendue endobronchique des lésions et dans la recherche de néoplasies synchrones.
Les études du NCI (National Cancer Institute) effectuées dans les années 70 n'ont pas montré de bénéfice en terme de mortalité pour le dépistage du cancer pulmonaire par des radiographies thoraciques et des examens cytologiques réguliers des expectorations en microscopie optique. Cependant, les cancers découverts en cas d'imagerie négative mais de cytologie positive étaient tous au stade précoce.1 L'histologie révélait de façon majoritaire un carcinome épidermoïde et la survie à cinq ans était de 85 à 90%. Ces résultats ont été confirmés par Bechtel et Saito14,15 qui ont montré que les cancers radiologiquement occultes avec une cytologie positive avaient un taux de survie à cinq ans nettement supérieur à la moyenne. Ceci est néanmoins à pondérer par le fait que les cancers de ce type ne présentent que 1/3 des cancers pulmonaires. Les études lancées par le NCI ne montrent cependant pas de bénéfice en termes de mortalité à ajouter au dépistage par radiographie standard une cytologie d'expectorations. On observe néanmoins un déplacement vers une détection plus précoce et une augmentation du taux de résécabilité, ainsi qu'une survie plus longue entre le moment de la pose du diagnostic et le décès.
Depuis lors de nombreux progrès ont été réalisés et ont amélioré le rendement des examens cytopathologiques grâce à des techniques d'immuno-marquages et d'amplification par PCR en vue de détecter les mutations génétiques prédictives d'invasion néoplasique.16
Tockman17 a étudié rétrospectivement les expectorations archivées au Johns Hopkins Oncology Center et recherché, sur les cytologies d'expectorations des patients ayant développé un cancer pulmonaire durant les huit ans de suivi, des biomarqueurs capables de prédire cette évolution. Il a mis en évidence deux anticorps monoclonaux (MoAbs) qu'il a pu identifier par la suite comme réagissant avec une protéine qui s'avère être une RNP (ribonucléoprotéine) hétérogène (hnRNP A2/B1) impliquée dans le «processing» de l'ARN et qui est surexprimée en cas de néoplasie.18 Une étude de cohorte réalisée en Chine19 a étudié 6000 mineurs fumeurs chez lesquels on effectuait simultanément un dépistage par une radiographie de thorax et une cytologie standard des expectorations ainsi qu'une recherche de l'expression du hnRNP A2/B1 dans les expectorations. Cette dernière s'est révélée deux à trois fois plus sensible que les méthodes classiques de dépistage avec une sensibilité de 74% (21% pour la cytologie, 42% pour les radiographies) et une spécificité de 70% (100% pour la cytologie et 90% pour les radiographies). Une autre étude20 est en cours dans onze centres oncothoraciques aux Etats-Unis où sont testés 1000 patients ayant déjà souffert d'un cancer pulmonaire de stade I, complètement réséqués. Les résultats préliminaires semblent indiquer une valeur prédictive positive de 67% pour l'expression d'hnRNP A2/B1.
D'autres marqueurs21 ont par ailleurs été étudiés, pour la majorité cependant, dans le cadre d'études rétrospectives où l'on examinait les expectorations qui avaient été stockées lors de campagnes de dépistage et dont l'évolution vers un cancer pulmonaire était donc connue. Ainsi en est-il des marqueurs k-ras, p53, dont des mutations ont été retrouvées jusqu'à treize mois avant la pose du diagnostic clinique. Cependant, ce type de mutation a également été retrouvé dans un certain pourcentage de cas de sujets fumeurs et n'ayant pas développé de néoplasie pulmonaire.
Ainsi, il apparaît que les marqueurs tumoraux identifiés dans les expectorations constituent un moyen prometteur de diagnostic moléculaire du cancer potentiellement plusieurs mois avant le développement clinique de la maladie. Leur sensibilité dans le dépistage pourrait peut-être être améliorée par une combinaison entre eux ou avec un CT à bas dosage.
En outre, des altérations de type non génétique ont été mises en évidence au voisinage des néoplasies pulmonaires.22,23 Ces MAC (Malignant Associated Changes) ne sont pas visibles à l'il nu et sont détectées par cytométrie assistée par ordinateur. Elles sont à mettre en relation avec des modifications de la distribution de l'ADN dans le noyau de cellules normales induites par la proximité de cellules néoplasiques. De façon intéressante, ces modifications disparaissent une fois la tumeur réséquée. L'avantage de cette technique réside dans le fait d'être indépendante de la présence de cellules tumorales dans l'échantillon prélevé.
Quant aux marqueurs tumoraux circulants,24 dont les plus utilisés pour le poumon sont le NSE (Neuron Specific Enolase), le CEA, le CYFRA21, le SCC (Squamous Cell Carcinoma Antigen) et le TPA (Tissue Polypeptide Antigen), tous manquent de spécificité. Ils ne sont donc pas un outil utile pour le dépistage. Ils sont utilisés comme indice de mauvais pronostic lorsqu'ils sont très élevés et peuvent fournir une indication quant à l'évolution du cancer bronchique sous traitement.
Des composés organiques volatils, surtout des dérivés des alkalènes et des benzènes25 ont été identifiés en quantité accrue dans l'air expiré de patients souffrant de cancer pulmonaire. Une des explications avancées serait que les cellules cancéreuses produisent des radicaux libres qui dégradent les membranes cellulaires par peroxydation des lipides et convertissent ces acides gras polyinsaturés en alkalènes volatils.
Chez cent-huit patients26,27 avec radiographie de thorax anormale référés pour une bronchoscopie, un prélèvement d'air expiré a servi au calcul du gradient alvéolaire pour différents composés organiques volatils. Parmi soixante cancers pulmonaires confirmés histologiquement, une combinaison de vingt-deux composés organiques volatils a permis de discriminer entre les patients ayant un cancer pulmonaire et les autres. Dans cette étude, l'analyse s'est adressée à une population dont la probabilité de souffrir d'une néoplasie pulmonaire était haute. On ne connaît donc pas la valeur prédictive de cette analyse dans une population non sélectionnée. Cette approche diagnostique pourrait jouer un rôle complémentaire aux autres méthodes de dépistage déjà citées et serait utile pour définir des groupes à risque chez qui les examens de dépistage complémentaires seraient indiqués.
L'incidence du cancer pulmonaire et sa mortalité restent hautes. La chirurgie demeure la méthode de choix pour un traitement curatif à condition que le cancer soit découvert à un stade précoce. Les études effectuées dans les années 70 n'ont pas permis de démontrer de façon formelle qu'un dépistage par radiographie thoracique et cytologie des expectorations soit bénéfique en terme de mortalité. Cependant, les méthodes actuelles de dépistage semblent plus efficaces pour dépister précocement le cancer pulmonaire. Il est essentiel de bien définir la population à risque à laquelle s'adresse le dépistage (consommation de tabac > 40 UPA, âge > 40 ans, BPCO, exposition professionnelle, anamnèse familiale positive, antécédents de cancer pulmonaire). Les résultats encourageants du dépistage par CT à bas dosage doivent néanmoins encore être consolidés par la démonstration d'une diminution du taux de mortalité à cinq ans. Par ailleurs, une place se dessine pour la bronchoscopie en fluorescence dans la détection des néoplasies radiologiquement occultes mais avec cytologie d'expectorations positive. Quant à la détection de marqueurs tumoraux et de MAC dans les expectorations, ces méthodes ont l'avantage d'être totalement non invasives et devraient permettre, à terme, un dépistage moléculaire précoce. Ces techniques, et ultérieurement d'autres pour l'instant en développement, devraient être employées en complément de l'imagerie par CT.