La pharmacogénétique s'intéresse aux différences génétiques de métabolisation des médicaments. Parmi les gènes les plus importants impliqués dans le métabolisme des xénobiotiques, ceux codant pour les isoenzymes du cytochrome P450 occupent une place de choix...
La pharmacogénétique s'intéresse aux différences génétiques de métabolisation des médicaments. Parmi les gènes les plus importants impliqués dans le métabolisme des xénobiotiques, ceux codant pour les isoenzymes du cytochrome P450 occupent une place de choix. Un déficit d'expression d'un sous-type de cytochrome P450 peut, par exemple, s'accompagner d'effets indésirables graves, car le taux plasmatique d'un médicament sera plus élevé que dans une population contrôle.
Le profil pharmacologique de certains médicaments pourra également être différent. Ainsi, la codéine est partiellement métabolisée en morphine par le cytochrome P450 2D6, dont l'activité est fortement réduite chez environ 5-10% de la population. L'activité analgésique de la codéine sera donc fortement réduite dans cette fraction de la population.
Dans un contexte plus large que vu sous un angle purement métabolique, la pharmacogénomique («pharmacogenomics» des Anglo-Saxons) s'efforce d'expliquer les différences de réponses, bénéfiques ou indésirables, en fonction des gènes exprimés chez un individu donné. Bien qu'actuellement cette notion ne soit encore qu'embryonnaire, et que les applications quotidiennes soient rares, le concept de pharmacogénomique est en expansion constante, car elle reflète les acquisitions rapides obtenues ces dernières années au sujet du génome humain. Le but ultime de la pharmacogénomique est d'offrir à un patient donné le ou les médicaments qui seront les mieux adaptés à sa pathologie en fonction des connaissances acquises au sujet de son patrimoine génétique et, le cas échéant, du génome d'un agent infectieux hébergé par le patient. Dans ce contexte, il a été démontré que l'étude du génome viral permet de mieux préciser quelle association médicamenteuse serait la mieux à même de prévenir la survenue de résistance au VIH.1
La pharmacogénomique n'est pas un concept récent, car la variation d'une réponse à un traitement est une notion connue de tout thérapeute. L'apport des techniques de biologie moléculaire devrait toutefois permettre d'estimer de manière prédictive quelle sera la réponse thérapeutique individuelle vis-à-vis d'un traitement donné. L'importance de la pharmacogénomique est illustrée ici par quelques exemples.
La pravastatine (Selipran ®) est un hypocholestérolémiant agissant par inhibition de l'enzyme régulant la biosynthèse du cholestérol, l'HMG-CoA réductase. Son efficacité a été démontrée tant en prévention primaire qu'en prévention secondaire. Une autre enzyme, la cholestryl ester transfer protein (CETP) assure le transfert des lipoprotéines (en particulier des HDL) des tissus vers le foie. C'est par cette voie que l'on explique l'effet «anti-athérogène» des HDL. Si l'activité plasmatique de la CEPT est trop élevée, il y a baisse de la concentration plasmatique de HDL.2 Un polymorphisme du gène TaqIb codant pour la CETP a été décrit. Il existe deux variants de TaqIb, appelés B1 et B2. Les patients porteurs de deux allèles B1 ont un taux de CETP élevé, alors que leur taux de HDL est bas, et le contraire est observé chez les patients porteurs de deux allèles B2. Huit cents patients mâles d'âge moyen dont le polymorphisme pour le TaqIb était connu ont reçu de la pravastatine 40 mg/j ou un placebo pendant vingt-quatre mois, et les changements angiographiques au niveau coronaire ont été objectivés.3 Dans le groupe placebo, la progression a été la plus rapide chez les patients exprimant la forme B1B1, intermédiaire chez les patients hétérozygotes, et la moins élevée dans le groupe B2B2. Dans le groupe pravastatine, seuls les porteurs de l'allèle B1B1 semblent avoir un effet statistiquement significatif sur l'évolution du diamètre luminal coronarien, alors que les trois groupes (B1B1, B1B2 et B2B2) avaient une diminution semblable du cholestérol total, des LDL et des triglycérides, ainsi qu'une augmentation comparable du cholestérol HDL. En première analyse, nous pourrions conclure que seuls les patients porteurs de l'allèle B1B1, qui représentent un tiers de la population étudiée bénéficient d'un traitement à la pravastatine. A l'heure actuelle, cette conclusion est naturellement trop hâtive, car le facteur le plus important recherché lors de la prescription d'une statine est la réduction d'événements cliniques (infarctus, décès), et ce travail n'avait pas le collectif nécessaire pour établir ce type de conclusion. Une étude sur un collectif plus large permettrait certainement d'établir définitivement quels patients bénéficient réellement d'un traitement avec une statine. Cette étude suggère aussi que l'évolution des lipides plasmatiques n'est pas forcément suffisante pour estimer l'efficacité d'un traitement hypocholestérolémiant.
L'analyse d'autres gènes pourrait permettre de déterminer quels patients bénéficient le plus d'un traitement par statines. Gerdes et coll.4 ont ainsi récemment démontré, dans le cadre de l'étude 4S, que la réduction de la mortalité par la simvastatine était particulièrement élevée chez les patients présentant à la fois l'allèle e4 de l'apolipoprotéine E (environ un tiers de la population étudiée) et un taux élevé de Lp(a). Le sous-groupe de patients ne présentant pas ces deux facteurs de risque ne voit pas sa mortalité réduite à l'issue des cinq ans qu'a duré l'étude. Il est intéressant de relever que, dans ce travail, la baisse du LDL-C induite par la simvastatine était égale quel que soit l'allèle d'Apo E exprimé.
Les sulfonylurées augmentent la sécrétion d'insuline pancréatique en stimulant un récepteur associé à une sous-unité du canal potassique dépendant de l'ATP. Ce récepteur, appelé SUR1, présente un polymorphisme au niveau d'un exon et d'un intron. Les sujets qui présentent simultanément les deux variations alléliques ont une sécrétion plus faible d'insuline en réponse au tolbutamide.5
La glycoprotéine P (GPP) est codée par le gène appelé multidrug resistance gene (MDR-1). Cette protéine membranaire a pour rôle principal de favoriser l'extrusion de xénobiotiques de l'intérieur vers l'extérieur de la cellule. Elle est exprimée par exemple au niveau intestinal, du rein et de la barrière hémato-encéphalique. De nombreux médicaments, tels que la digoxine, sont transportés activement par la GPP. Certains inhibiteurs de la GPP, comme la quinidine élèvent la concentration plasmatique de digoxine en réduisant son élimination de l'organisme.6 Le gène MDR-1 présente un polymorphisme au niveau de l'exon 26 qui se traduit par une expression plus faible et une activité moindre. L'extrusion de substrats comme la digoxine chez ces sujets sera donc plus basse, et les taux de digoxine plus élevés que chez les contrôles.7 Sachant l'importance de la GPP dans l'absorption, la distribution et l'excrétion de nombreux médicaments, des conclusions analogues à celles valables pour la digoxine seront certainement publiées prochainement.
Le gène c-erbB2 est un oncogène codant pour la protéine HER2, récepteur membranaire apparenté à celui de l'epidermal growth factor. Cette protéine est surexprimée chez environ 25-30% des patientes atteintes d'une tumeur primaire du sein, et sa surexpression est associée à un pronostic moins favorable de la maladie. Le trastuzumab (Herceptin ®) est un anticorps dirigé contre la protéine HER2 utilisé en thérapeutique oncologique depuis peu. Son administration doit être réservée aux patientes qui surexpriment HER2.
La tacrine, commercialisée jusqu'à peu sous le nom de Cognex ®, était utilisée dans des formes légères à modérées de maladie d'Alzheimer. Ce médicament agit en inhibant l'acétylcholine estérase, enzyme qui dégrade l'acétylcholine, un neurotransmetteur dont le déficit serait en partie responsable des troubles mnésiques observés chez les patients atteints de maladie d'Alzheimer. La tacrine, dont l'efficacité est pour le moins modérée (la FDA a rejeté la tacrine deux fois avant de l'accepter finalement en 1993), produit dans le meilleur des cas une faible amélioration chez 25-50% des patients. Ce médicament a un mécanisme d'action similaire à celui de divers produits récemment introduits en thérapeutique et dont le profil d'effets indésirables est plus acceptable (donépézil : Aricept ®, rivastigmine, Exelon ®).
Une étude publiée en 1995 avait démontré que les patients atteints de maladie d'Alzheimer répondaient différemment au traitement à la tacrine selon le sous-type d'apolipoprotéine E (apoE) exprimé.8 Les malades qui exprimaient l'apo e4 avaient moins de chance de répondre au traitement par la tacrine, contrairement aux porteurs des allèles e2 ou e3. Récemment, il a été démontré que seules les femmes porteuses des formes e2-3, mais non celles porteuses de la forme e4 réagissaient au traitement par cet inhibiteur de l'acétylcholine estérase.9 Notons enfin que les porteurs de l'allèle e4, bien que non-répondeurs aux agents cholinomimétiques, semblent réagir à un traitement avec le S12024, un agent favorisant la transmission vasopressinergique.10 Ces résultats suggèrent qu'à la fois le sexe et le génotype d'ApoE prédisposent à un éventuel effet bénéfique de la tacrine. Sachant le faible coût de ce type d'analyse et le prix d'une thérapie par les inhibiteurs de l'acétylcholine estérase, un screening systématique pourrait être recommandé. Aucune donnée ne semble exister à l'heure actuelle concernant la rivastigmine ou le donépézil. Néanmoins, ces médicaments ayant un profil pharmacologique similaire à celui de la tacrine, on peut s'attendre à des résultats analogues.
Les antidépresseurs de la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) agissent en bloquant le transporteur neuronal de la sérotonine (5-HT). Il existe un polymorphisme génétique dans la région qui contrôle la transcription du gène de ce transporteur, associé à une variante longue et une variante courte de cette région. La variante longue s'accompagne d'une activité transcriptionnelle de base du gène qui est le double de celle de la forme courte. Cette particularité a suscité un intérêt chez les cliniciens qui ont cherché à vérifier si ce polymorphisme avait des implications thérapeutiques. Il a été effectivement récemment rapporté que des patients dépressifs, homozygotes pour la variante longue (l/l) ainsi que les hétérozygotes (l/c) avaient une meilleure réponse à un traitement antidépresseur de fluvoxamine (Floxyfral ®).11
Une étude avec la paroxétine (Deroxat ®) a également montré une diminution plus rapide et plus importante des scores de dépression chez les patients homozygotes pour les allèles (l/l) et hétérozygotes (l/c).12 Ces résultats pourraient être dus à une inhibition plus importante des neurones sérotoninergiques chez les porteurs des allèles (c/c). En effet, l'augmentation de sérotonine dans l'espace synaptique est initialement fortement limitée par un mécanisme de feedback inhibiteur, suite à la stimulation des autorécepteurs 5-HT1A par la sérotonine extracellulaire. C'est seulement après plusieurs jours de traitement, lorsque ces autorécepteurs sont «désensibilisés», que la sérotonine pourra être relâchée au niveau des terminaisons synaptiques et exercer ses effets sur les récepteurs post-synaptiques. Chez les homozygotes (c/c), la même dose d'antidépresseur pourrait s'accompagner d'une plus forte inhibition des autorécepteurs 5-HT1A, retardant ainsi l'effet antidépresseur. Cependant, les résultats des deux études précitées n'ont pas été confirmés par ceux obtenus chez une population de patients coréens dépressifs traités avec un SSRI (fluoxétine ou paroxétine).13 Dans cette étude, les patients homozygotes pour l'allèle c/c ont montré une meilleure réponse au traitement antidépresseur ! Il faut toutefois relever que les résultats de cette étude sont à considérer en fonction de données qui révèlent que le pourcentage d'homozygotes pour l'allèle c/c est beaucoup plus élevé chez les Asiatiques que dans la population européenne.13 Des études supplémentaires sont donc nécessaires pour clarifier la signification de ces résultats en fonction des différences d'ethnies.
Un autre polymorphisme du gène codant pour le transporteur de la sérotonine a été identifié récemment (nombre variable de répétitions de bases au niveau du deuxième intron du gène). Dans leur étude avec des patients coréens dépressifs,13 Kim et coll. ont montré que les sujets homozygotes pour la forme longue (l/l) dans l'intron 2 avaient une meilleure réponse au traitement. De plus, l'absence du polymorphisme l/l permettait de prédire une probabilité de non-réponse au traitement chez 83% de ces sujets.
Des études ultérieures sont donc attendues avec impatience afin de permettre de préciser la question du génotypage des patients dépressifs traités par un ISRS.
Les récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques sont les cibles majeures des antipsychotiques. Toutefois, il a été postulé que les différences parfois importantes de réponse au traitement constatées en pratique clinique pourraient être liées à des variations interindividuelles de liaison à ces récepteurs. Les avancées rapides de ces dernières années en génétique moléculaire, avec la caractérisation de nombreux sous-types de récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques, ont permis de tester cette hypothèse. Concernant les récepteurs sérotoninergiques, une association a été rapportée entre le polymorphisme 102-T/C du récepteur 5-HT2A et la réponse à la clozapine (Leponex ®), un antipsychotique atypique dont l'efficacité est meilleure que les autres antipsychotiques chez des patients résistant aux traitements usuels. Les patients avec l'allèle C102 avaient une moins bonne réponse à la clozapine.14 Une association entre un polymorphisme structurel du récepteur 5-HT2A (His452Tyr) et la réponse à la clozapine a également été rapportée.14
Le polymorphisme du récepteur dopaminergique D4 a été exploré dans différentes études, mais à ce jour, l'association entre certains allèles de ce récepteur et la réponse à un traitement antipsychotique reste controversée.15 Tout récemment, une approche prometteuse a été appliquée par Arranz et coll., qui ont publié une étude dans laquelle ils ont analysé un ensemble de dix-neuf polymorphismes chez des patients schizophrènes traités avec la clozapine.16 Les polymorphismes concernaient certains récepteurs sérotoninergiques, dopaminergiques, adrénergiques, histaminergiques, ainsi que le transporteur à la sérotonine. La combinaison des six polymorphismes qui montrait l'association la plus forte avec une réponse au traitement de clozapine a permis d'obtenir un niveau de prédiction de 76,9% et une sensibilité de 95%. Ces résultats sont les premiers à utiliser la combinaison de polymorphismes de différents récepteurs et représentent un domaine de recherche stimulant pour essayer d'améliorer le choix d'un traitement antipsychotique.
Les quelques exemples ci-dessus démontrent quels pourraient être les bénéfices thérapeutiques d'une approche basée sur la pharmacogénomique humaine. Il est certain qu'à l'avenir de nombreux médicaments seront sélectionnés pour certains sous-groupes de patients, et déconseillés à d'autres, grâce à des informations basées sur notre génome. Cette relation entre expression de certains gènes et médicaments n'est pas toujours aisée à définir, car, comme on a pu l'illustrer plus haut, la variation génique étudiée ne code pas pour la cible du médicament (acétylcholine-estérase pour la tacrine et HMG-CoA-réductase pour la pravastatine).
Cette nouvelle approche thérapeutique permettra certainement de réduire la variabilité interindividuelle de l'action des médicaments, connue de chaque prescripteur. On peut dans ce contexte évoquer la possibilité d'une analyse génétique couvrant certains gènes chez les patients souffrant de pathologies bien caractérisées, ce qui permettra d'éviter la prescription de médicaments à des patients non répondeurs, qui risquent néanmoins de présenter des effets indésirables, coûteux tant sur le plan humain que sur celui de la santé publique.17