A propos de l'article : «Et avec ça, je vous dose aussi le PSA ?» de A. Perrier. Med Hyg 2000 ; 58 : 2210-3.
Monsieur le Rédacteur en chef,
J'ai lu avec vif intérêt l'article «Et avec ça, je vous dose aussi le PSA ?» (Med Hyg 2000 ; 58 : 2210-3), qui a le mérite de réattirer l'attention sur le bien-fondé de l'indication à traiter de façon radicale le cancer localisé de la prostate. En effet, le doute existe, car les résultats initiaux des deux premières études prospectives randomisées comparant l'ablation chirurgicale radicale et la surveillance ne seront pas connus avant 2005.
Cependant, dire qu'«on ne sait pas mais on fait quand même» est une image travestie de la réalité du cancer localisé de la prostate. Je tiens à tempérer cette vision par les évidences suivantes.
Tout d'abord, en raison de l'indolence variable et relative de la biologie des tumeurs de la prostate, l'évaluation de l'efficacité d'un traitement de ce cancer se fait non pas à dix ans (tableau 1 de l'article sus-mentionné) mais à quinze ans. Ainsi, après quinze ans de suivi, 45 à 55% des patients porteurs d'un cancer localisé de la prostate (T1-2 G1-3) uniquement surveillé vont décéder de leur tumeur, alors que ce taux de mortalité n'est que de 15 à 20% chez ceux qui ont bénéficié d'une prostatectomie radicale.1
L'intéressante série suédoise de Johansson, d'ailleurs mise à jour en 1997,2 comporte une majeure partie (2/3) de tumeurs bien différenciées (grade 1, soit un score de Gleason 2-4 !!), l'autre tiers se composant de tumeurs moyennement (grade 2, soit un score de Gleason de 5 à 7) et peu différenciées (grade 3, soit un score de Gleason de 8-10). Les faibles taux de décès liés au cancer relevés dans cette cohorte reflètent donc surtout le comportement des tumeurs bien différenciées. Cette constatation justifie une surveillance chez les patients porteurs de néoplasies de grade 1, pour au-
tant que les comorbidités et l'âge résultent en une espérance de vie inférieure à dix ans. Au-delà de dix ans en effet, une proportion significative de ces tumeurs bien différenciées connaîtront une progression métastatique. A noter par ailleurs que la Suède se distingue mondialement par un taux de mortalité extrêmement élevé associé au cancer de la prostate.3
L'avènement du PSA a modifié le stade initial de découverte des cancers localisés de la pros-
tate : en regroupant les tumeurs détectées en raison d'un toucher rectal suspect et celles mises en évidence suite à la découverte d'un PSA au-dessus de la norme, la proportion de néoplasies confinées à l'organe, donc guérissables, a doublé (deux tiers des cas) par rapport aux tumeurs pour lesquelles la biopsie avait été indiquée seulement par un toucher rectal suspect (un tiers des patients avec une tumeur confinée à l'organe).4 S'est alors posée la question de l'éventuelle indolence d'une partie de ces tumeurs, notamment de celles qui sont non palpables. Selon des critères de volume et de degré de différenciation, seulement 15% de ces cancers se sont avérés cliniquement non significatifs.5 Pratiquer une biopsie uniquement en raison d'un taux de PSA au-dessus de la norme n'est donc pas une hérésie.
Il n'est par ailleurs pas inintéressant de relever que l'augmentation de la détection du cancer de la prostate déclenchée par l'avènement du PSA ainsi que l'administration plus fréquente de traitements à visée curative concordent ces dernières années aux Etats-Unis avec une diminution annuelle de 2% du taux de mortalité lié à cette tumeur, alors que le reste du monde, plus passif, a vu la proportion de décès dus au cancer de la prostate augmenter de 1% par année.6
Plusieurs études de cohortes ont démontré l'efficacité du traitement à visée curative des tumeurs localisées moyennement différenciées (Gleason 5 à 7), ainsi que d'une partie de celles qui sont peu différenciées (Gleason 8 à 10) chez les patients dont l'espérance de vie va de dix à quinze ans. Ainsi, une détection ciblée du cancer de la prostate est défendable, de surcroît chez les patients porteurs de facteurs de risque avérés tels que l'hérédité et la race noire.7
Enfin, l'article rapporte des taux d'impuissance postopératoire non négligeables. Hormis la multicentricité de ces chiffres, qui masquent les différences techniques des centres ou les opérateurs sont occasionnels ou fréquents,8 il faut noter que ces résultats datent de 1994 et 1995. Or la prostatectomie radicale progresse en termes de qualité de vie,9 à
l'image de cet outil électrophysiologique simple récemment mis sur le marché, qui semble apporter une aide substantielle dans la mise en évidence et la préservation des nerfs érecteurs.10 Allant dans ce sens, une étude publiée cette année révèle que la prostatectomie radicale ne semble péjorer que très modérément la qualité de vie, puisque 80% des patients opérés repartiraient pour la même intervention.11Ch. IselinRéponse du Dr A. PerrierMonsieur le Rédacteur en chef,
L'article sur la place du dépistage du cancer de la prostate au moyen du dosage du PSA n'avait d'autre ambition que de susciter la réflexion et le débat. Me voilà donc comblé, d'autant que l'argumentation du Pr Ch. Iselin est de grande qualité. En guise de réponse, j'aimerais relever les points suivants :
I La phrase «on ne sait pas, mais on fait» ne se rapportait pas à l'opportunité du traitement radical d'un cancer de la prostate localisé découvert chez un patient symptomatique. Elle s'adressait au contraire à la détection systématique du cancer par le PSA chez un patient asymptomatique, qu'il soit venu consulter dans le cadre d'un contrôle de santé ou d'une affection non reliée au cancer de la prostate.
I Dans la lettre du Pr Ch. Iselin, deux points d'exclamation suivent la mention «tumeurs de grade 1, soit un score de Gleason 2-4 ! !». Ceci est sans doute destiné à attirer l'attention du lecteur sur une erreur de rédaction de ma part. En effet, le score de Gleason se décline sur une échelle de 10, et permet de définir trois grades de différenciation, qui constituent actuellement le meil-
leur indice pronostique du cancer prostatique. Je remercie le Pr Ch. Iselin de cette occasion de rectifier cette
inexactitude, bien que le lecteur aura probablement rectifié de lui-même...
(je préfère personnellement les points de suspension qui laissent au lecteur un espace de réflexion, au point d'exclamation, un peu déclaratif et emphatique à mon goût).
I Le fait qu'un suivi de quinze ans soit nécessaire pour évaluer l'efficacité
du traitement du cancer de la prostate ne fait que souligner le comportement fréquemment indolent de cette maladie, et donc le choix difficile devant lequel le dépistage laisse le patient. Comment choisir entre l'expectative et une intervention grevée d'une morbidité importante immédiate lorsque le bénéfice en est, si l'on croit les chiffres cités par le Pr Ch. Iselin lui-même,1 d'environ 20% de survie supplémentaire après quinze ans ? C'est d'autant plus difficile que ce chiffre est vraisemblablement très optimiste. En effet, dans le suivi à quinze ans de
l'étude suédoise citée par le Pr Ch. Iselin,2
seuls 11% des 300 patients porteurs d'un cancer localisé, et donc justifiables d'un traitement radical, étaient décédés de leur cancer à quinze ans. De plus, la survie à quinze ans des 223 patients traités de façon différée (soit à l'apparition de symptômes) était de 81%, identique à celle des patients traités au moment du diagnostic initial. Il est vrai que les tu-
meurs de bas grade étaient sur-représentées dans cette série.
I Les critères de l'étude histopathologique d'Epstein et coll.3 pour affirmer qu'une majorité des cancers détectés par le PSA est «cliniquement significative» sont très discutables, et leur ob-
servation est issue d'une population hautement sélectionnée. Ceci étant, je n'ai jamais prétendu qu'il est hérétique de pratiquer une biopsie uniquement en raison d'un PSA élevé. Si l'on a décidé de pratiquer un dosage du PSA en accord avec un patient dûment informé des enjeux, il serait aberrant de ne pas pratiquer de biopsie en cas de résultat anormal.
I Les variations du taux de mortalité lié au cancer de la prostate sont très difficiles à interpréter, car elles sont sujettes à des variations importantes liées à des définitions et des systèmes de collecte de données différents selon les pays. La plupart des experts attribuent la faible baisse de mortalité observée
aux Etats-Unis aux
progrès enregistrés dans le traitement de la mala-
die métastatique,
et non au dépistage.4
I Il existe en effet des études, d'ail-
leurs citées dans mon article, qui, bien que non randomisées, offrent des arguments solides en faveur d'une efficacité du traitement radical du cancer de la prostate. Néanmoins, la question n'est pas tant de savoir si le traitement est capable de guérir la maladie, mais bien si la maladie nécessite toujours d'être dépistée et guérie.
I Enfin, je ne peux que saluer les efforts continus des urologues pour diminuer la morbidité entraînée par la prostatectomie radicale, et me réjouir de l'amélioration de la qualité de vie qui en résultera pour les patients. Pour le moment, les chiffres rapportés par les patients eux-mêmes sont plutôt plus pessimistes que ceux rapportés dans les grandes études. Dans l'étude citée par le Pr Ch. Iselin qui repose sur un questionnaire auto-administré,5 la fréquence de l'incontinence post-prostatectomie était de 66%, un tiers de ces patients portant des protections, et 88% des patients se déclaraient impuissants.
En conclusion, j'aimerais insister sur le fait qu'il s'agit d'une problématique complexe et qui mérite donc mieux que des prises de position dogmatiques et sans nuances. Je remercie le Pr Ch. Iselin d'avoir évité cet écueil, et espère n'avoir pas moi-même cédé à cette tentation. Je vois toutefois un bénéfice à notre incertitude concernant le dépistage du cancer de la pros-
tate, en ce qu'elle nous oblige à un
partenariat plus étroit avec le patient. En effet, seul le patient est à même de nous dire quelle valeur il accorde au maintien de sa qualité de vie présente par rapport à un gain potentiel d'années de vie futures. Espérons simplement que les études en cours nous permettront de mieux préciser au patient l'importance réelle de ce gain au moyen du dépistage.A. PerrierPr Christophe Iselin
Clinique d'urologie
Département de chirurgie
Hôpital cantonal universitaire
1211 Genève 14
PD Dr Arnaud Perrier
Cliniques de médecine 1 et 2
Département de médecine interne
Hôpital cantonal universitaire
1211 Genève 14
Arnaud.Perrier@medecine.unige.chBibliographie :Pr Ch. Iselin
1 Hugosson J, Aus G, Norlén L. Surveillance is not a viable and appropriate treatment option in the management of localized prostate cancer. Urol Clin North Am 1996 ; 23 : 557-73.
2 Johansson JE, Holmberg L, Johansson S, Bergström R, Adami HO. Fifteen-year survival in prostate cancer. A prospective, population-based study in Sweden. JAMA 1997 ; 277 : 467-71.
3 Walsh PC, Brooks JD. The Swedish prostate cancer paradox. JAMA 1997 ; 277 : 497-8.
4 Catalona WJ, Smith DS, et al. Detection of organ-confined prostate cancer is increased through pros-
tate-specific antigen-based screening. JAMA 1993 ; 270 : 948-54.
5 Epstein JI, Walsh PC, Carmichael M, Brendler CB. Pathologic and clinical findings to predict tumor extent of non palpable (stage T1c) prostate cancer. JAMA 1994 ; 271 : 368-74.
6 Hankey BF, Feuer EJ, Clegg LX, et al. Cancer
surveillance series : Interpreting trends in prostate cancer Part 1 : Evidence of the effect of screening in recent prostate cancer incidence, mortality and survival rates. J Natl Cancer Inst 1999 ; 91 : 1017-24.
7 Iselin C. Antigène spécifique de la prostate : quelle utilité clinique ? Med Hyg 2000 ; 58 : 1795-6.
8 Ellison LM, Heaney JA, Birkmeyer JD. The effect of hospital volume on mortality and resource use after radical prostatectomy. J Urol 2000 ; 163 : 867-9.
9 Steiner MS. Editorial : Quality of life after prostatectomy. J Urol 2000 ; 163 : 870-1.
10 Studen M, Stenzl A, Hobisch A, Bartsch G. Optimal nerve sparing during radical prostatectomy and cystectomy with a new surgical device (Cavermap). Eur Urol 2000 ; 37 (Suppl. 2) : 99.
11 Kao TC, Cruess DF, Garner D, et al. Multicenter patient self-reporting questionnaire on impotence, incontinence and stricture after radical prostatectomy. J Urol 2000 ; 163 : 858-64.Dr A. Perrier
1 Hugosson J, Aus G, Norlen L. Surveillance is not a viable and appropriate treatment option in the management of localized prostate cancer. Urol Clin North Am 1996 ; 23 : 557-73.
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3 Epstein JI, Walsh PC, Carmichael M, Brendler CB. Pathologic and clinical findings to predict tumor extent of nonpalpable (stage T1c) prostate cancer. JAMA 1994 ; 271 : 368-74.
4 Tannock IF. Eradication of a disease : How we cured asymptomatic prostate cancer. Lancet Oncol 2000 ; 1.
5 Kao TC, Cruess DF, Garner D, Foley J, Seay T, FriePrichs P, et al. Multicenter patient self-reporting questionnaire on impotence, incontinence and stricture after radical prostatectomy. J Urol 2000 ; 163 : 858-64.