Résumé
Depuis 1982, tous les deux ans, Médecine et Hygiène consacre unnuméro spécial à la santé des adolescents. Que de chemin parcouru depuis qu'un premier numéro posait timidement quelques jalons dans un domaine totalement inconnu en Europe. A l'heure où l'on commence à reconnaître un peu partout la nécessité de soins, de structures et d'une formation spécifiquement adaptées aux jeunes, notre pays a le privilège de compter, par rapport au reste de l'Europe, la plus forte densité de médecins ayant accompli une formation dans ce domaine. C'est dans cette perspective que le présent numéro propose une réflexion sur les soins aux adolescents élaborée par des collègues de Zurich, Berne, Genève et Lausanne, tous formés aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie. Ce numéro illustre l'importance d'une approche globale et multidisciplinaire dans laquelle des institutions de soins somatiques et psychiatriques collaborent activement. Il insiste aussi sur la nécessité d'intégrer dans les soins les aspects préventifs, tellement importants à cette période de la vie.L'une des particularités de la médecine de l'adolescence est de se fonder non pas tant sur des maladies et problèmes très spécifiques que sur des approches et des perspectives spécifiques, intégrant notamment la dimension du développement physique et psycho-social. Une amélioration des activités de soins et de prévention auprès des adolescents passe nécessairement par une modification du paradigme d'intervention auprès des jeunes. Les études menées dans ce domaine montrent que ce ne sont pas tant les structures mais plutôt la qualité de l'accueil et la compétence des intervenants qui font la différence. Ainsi, les médecins praticiens doivent être en mesure de décoder les raisons souvent latentes pour lesquelles leurs patients consultent ; ils doivent apprendre à identifier, dans un laps de temps relativement restreint, les domaines dans lesquels leurs jeunes patients nécessitent une aide voire une intervention (cf. les chapitres consacrés à la maladie chronique et à la prévention) ; ils doivent être en mesure d'adapter leurs réponses thérapeutiques au développement psychologique et à l'environnement social de l'adolescent ; ils doivent enfin bien connaître le réseau de professionnels susceptibles d'améliorer l'efficacité de leurs interventions. Le champ d'activité de la médecine de l'adolescence est ainsi bien délimité, mais il reste à faire bénéficier les jeunes des avancées faites dans ce domaine. Ce défi, c'est aux facultés de médecine et aux sociétés professionnelles de le relever. Quelles sont les conditions qui permettront d'améliorer les performances des professionnels de la santé auprès des jeunes ? Nous en voyons essentiellement quatre :I Tout d'abord, il s'agit d'élaborer un programme de formation cohérent, tant au niveau de la formation pré-graduée que de la formation post-graduée ou continue. L'Unité multidisciplinaire de santé des adolescents à Lausanne a pris l'initiative de mettre sur pied un groupe européen rassemblant des spécialistes de treize nationalités différentes, et travaillant tous auprès des adolescents dans leur champ d'activité respective (pédiatrie, médecine générale, obstétrique-gynécologie, psychiatrie, santé publique). Ce projet, nommé EUTEACH, pour (European Training in Effective Adolescent Care and Health), a démarré il y a près de deux ans et proposera d'ici quelques mois des modules de formation disponibles notamment sur Internet.I Former les étudiants et les assistants. Il importe de disposer de structures d'enseignement. Après Lausanne, c'est maintenant au tour de Genève de mettre sur pied un programme de formation spécifique qui s'articule avec la création d'une structure de soins pour adolescents transversale, soutenue par les divers services concernés. On ne peut que regretter, le retard pris dans ce domaine par nos collègues suisse-alémaniques...I Une telle formation nécessite des approches pédagogiques interactives créatives : jeux de rôle, consultations vidéofilmées, patients simulés, travaux en groupe,échanges avec des jeunes sur le terrain, rencontres multidisciplinaires, recherche sur les sites Internet utilisés par les jeunes, etc. La mise en place de telles démarches d'éducation médicale impose une formation des enseignants et des moyens supplémentaires : c'est pourquoi nous saluons la collaboration active qui est en train de se mettre sur pied dans le domaine de l'adolescence entre lesdépartements de pédiatrie de Lausanne et de Genève ainsi que l'Unité de développement et de recherche en éducation médicale.I Enfin, il faudra penser à évaluer la qualité de l'enseignement ainsi dispensé : la recherche dans le domaine de la pédagogie a fait des progrès importants ces dernières années, avec l'utilisation non seulement d'appréciations par questionnaire, mais aussi par des méthodes plus fines, comme l'observation directe des consultations, ou même l'utilisation de canevas préétablis et simulés par des acteursformés à cet effet. Il s'agit là d'une musique d'avenir en Suisse, mais qui fait déjà partie intégrante de divers curriculums de formation aux Etats-Unis et au Canada.En fait, la demande en terme de formation est déjà très présente au sein du corps médical ; il ne s'agit en effet pas de former de nombreux spécialistes en médecine de l'adolescent qui auraient seuls le privilège de les traiter, mais bien plutôt d'améliorer le niveau général des soins qui sont dispensés aux jeunes dans toutes les structures de soins primaires. On le voit, la nécessité d'innover dans un domaine émergent comme celui de la médecine de l'adolescence ouvre des perpectives passionnantes dont, nous l'espérons, des numéros futurs de Médecine et Hygiène rendront compte !