Le suivi d'un adolescent souffrant d'une mala-die doit être mis en place dans une perspective développementale : peu à peu, le jeune patient sera associé activement au traitement, dont les différents composants feront l'objet d'une négociation. La présence et les causes d'une mauvaise compliance seront systématiquement explorées. Le praticien s'intéressera également au retentissement de l'affection chronique sur la vie affective, sociale et professionnelle de l'adolescent et investiguera avec lui ses habitudes de santé et de vie ; au besoin il lui proposera des modifications progressives de ses habitudes de vie. Quant aux parents, ils seront incités à adopter un rôle d'appui et de soutien plutôt que celui de censeur.
François est un adolescent de 14 ans qui souffre d'épisodes fréquents d'asthme depuis l'âge de 3 ans. Vous le rencontrez en compagnie de ses parents pour la première fois dans le cadre de votre pratique. Ses parents se font du souci, car l'asthme de François est devenu de plus en plus fréquent et sévère. Lorsqu'ils ont rencontré un médecin de famille trois mois auparavant, il s'est vu offrir un traitement à base de Pulmicort® et de Ventolin®, en dosage adéquat, mais François vous dit d'emblée que ces traitements n'ont pas été efficaces du tout. Les parents de François ne l'ont pas autorisé à participer à des activités sportives de compétition depuis plusieurs mois. Enfin ses résultats scolaires se sont détériorés et l'un de ses professeurs a récemment constaté qu'il fumait avec ses amis dans la cour d'école ou en quittant l'établissement.
Quelles sont les difficultés et les conflits que les adolescents comme François rencontrent dans le vécu et le traitement de leur maladie chronique ?
Souffrir d'une maladie chronique telle que l'asthme peut mener à une restriction des activités physiques, de même qu'à une limitation importante des activités sociales, tout comme une dépendance à long terme à l'égard de certains médicaments, des absences scolaires répétées, un maternage excessif de la part des parents. De ce point de vue, la maladie chronique interfère avec les tâches développementales de l'adolescent qui sont précisément d'acquérir une indépendance, en s'engageant notamment dans les activités sociales avec les pairs. La conséquence de cela est qu'il est fréquent que de jeunes gens ou des jeunes filles qui se sont bien débrouillés avec leur affection durant leur enfance deviennent beaucoup moins compliants durant l'adolescence, niant toute difficulté dans la mesure où ils souhaitent avant tout ressembler à leurs amis. A l'extrême, un tel déni les amène à adopter des comportements comportant des risques pour leur santé, tels que le fait de fumer dans la situation de François.
Les adolescents sont très concernés par le regard des autres et l'image qu'ils renvoient d'eux-mêmes ou qu'ils ont d'eux-mêmes, en particulier durant le début de l'adolescence (marqué par les processus pubertaires) et le milieu de l'adolescence, phase d'existence au cours de laquelle les jeunes commencent à beaucoup sortir avec leurs amis. Beaucoup d'adolescents, notamment ceux qui souffrent de handicap physique visible, se sentent embarrassés lorsqu'ils sont interpellés sur leur handicap.
Les parents vous demandent s'il est justifié d'interdire à François toute participation dans des sports de compétition. Quelle serait votre réponse ?
La quête de l'autonomie est l'un des piliers des processus développementaux de l'adolescence. En gardant à l'esprit le fonctionnement cognitif et émotionnel de ces patients, les cliniciens devraient fournir à leurs jeunes patients l'occasion de prendre plus de responsabilité dans le traitement de leur affection chronique.
Pour être sûr que François devienne plus actif dans la prise en charge de son asthme, il est essentiel de lui fournir des informations appropriées compte tenu de son développement psychologique : le langage doit être à la fois simple et clair et les informations doivent être répétées à plusieurs reprises en s'assurant, par quelques questions, que l'adolescent vous a bien suivi.
L'optimisation du traitement est le but premier à atteindre et non le fait de proposer des limites aux activités physiques. Il existe en réalité de nombreux sportifs d'élite qui souffrent de degrés variables d'asthme et qui ont pu, grâce à une bonne connaissance de leur affection et un traitement optimal, surmonter ce handicap. De plus, il est bien connu que certaines activités, comme la natation par exemple, ont une influence favorable sur le traitement et l'évolution d'un asthme. Il faut bien entendu respecter les préférences de François et l'engager avant tout à reprendre des activités sportives qui le «branchent» ; mais il est possible, dans le cours de la discussion, de faire des suggestions sur les sports les plus appropriés.
Pour quelles raisons pensez-vous que le traitement proposé à François a été inefficace ?
Comme chez chaque patient, il est important, lorsqu'un adolescent ne répond pas au traitement qui lui a été proposé, de se demander si sa compliance médicamenteuse a été adéquate. Il est souvent possible d'obtenir une réponse franche de la part de l'adolescent en admettant dès le départ qu'une telle éventualité existe, et qu'il vaut mieux en discuter que de la nier. Des questions formulées comme «cela peut arriver d'oublier ses médicaments, nous le savons bien ; et toi, à quelle fréquence cela t'arrive-t-il ?» mettent souvent l'adolescent à l'aise dans la mesure où elles lui démontrent d'emblée que le praticien est prêt à accepter une telle éventualité et à en discuter ouvertement.
Lorsque la compliance n'est pas optimale, il est important de discuter avec l'adolescent des obstacles qu'il rencontre dans la mise en place de son traitement. Une phase de négociation est souvent nécessaire, au cours de laquelle l'adolescent acceptera certaines modifications, et à certaines conditions, et pour autant qu'elles n'interfèrent pas trop avec sa vie courante.
Le maître d'école vous a laissé entendre que François fumait des cigarettes avec ses camarades. Comment pouvez-vous aborder une telle situation ?
L'une des manières assez simple d'aborder le bien-être et les styles de vie des adolescents est de faire usage de l'acronyme HEADS, développé dans un autre article de ce numéro de Médecine et Hygiène :1 il s'agit d'explorer sans jugement de valeur et de façon progressive les comportements de santé de l'adolescent dans différents domaines comme celui de l'activité sportive, des habitudes nutritionnelles, des consommations de tabac voire de drogue, ou enfin de la vie sexuelle. Il s'agira également de s'intéresser à l'environnement familial et social de François, de répertorier les difficultés qu'il peut rencontrer avec ses parents ou avec certains de ses amis, et les ressources dont il dispose pour faire face à de telles difficultés.
Il ne sera peut-être pas possible de convaincre d'emblée François de renoncer à fumer, mais peut-être sera-t-il envisageable de passer avec lui un contrat limitant la quantité de cigarettes consommées et les occasions de fumer.
Dans quelle mesure l'asthme peut-il contribuer à la détérioration des résultats scolaires de François ?
L'une des causes les plus fréquentes
d'échec scolaire chez les adolescents souffrant d'une affection chronique est évidemment l'absentéisme scolaire qui peut devenir important en cas de rechutes fréquentes. Cependant, beaucoup d'études montrent qu'un asthme (ou toute autre condition chronique) bien contrôlé n'entraîne pas nécessairement de problèmes majeurs, et il est important de discuter avec l'adolescent des causes d'un éventuel absentéisme, celles-ci pouvant être liées à d'autres problèmes que la maladie chronique elle-même.
L'asthme en soit n'a pas d'impact direct sur les capacités cognitives et les performances scolaires ; il est donc important pour le médecin de famille de rechercher des signes de dépression qui peuvent être fréquents durant l'adolescence : bien souvent, à cet âge, la dépression ne se manifeste en effet pas sous la forme de signes typiques, comme de la tristesse voire des larmes, mais plutôt par des signes indirects tels que des violences infligées aux autres ou à soi-même, un retrait de la vie sociale voire des symptômes psychosomatiques.
Dans certains cas, des jeunes souffrant d'un asthme vraiment sévère vont devoir envisager de réorienter leur carrière professionnelle, notamment lorsque celle-ci les expose à des agents potentiellement irritants. Le médecin de famille doit être clairement associé à une telle discussion.
Y a-t-il encore d'autres éléments à prendre en compte dans le traitement d'un adolescent souffrant d'une maladie chronique ?
La continuité du traitement est un des éléments-clés de la prise en charge de jeunes souffrant d'affection chronique. En dehors des interventions plus ou moins ponctuelles de spécialistes de différentes disciplines, le médecin de premier recours (pédiatre, généraliste) peut jouer un rôle-clé dans le maintien d'une certaine cohérence et d'une certaine continuité dans les soins. A certains moments, la compliance, presque inévitablement se péjore et le rôle du médecin pourra être dans ces cas de soutenir les parents et de maintenir à tout prix un contact chaleureux avec l'adolescent. Les punitions dans ces cas-là s'avèrent en effet totalement inutiles. Envoyer un petit mot de rappel, ou un téléphone, montrera à l'adolescent l'intérêt du médecin pour sa santé et son avenir.
Bien entendu, l'un des aspects-clés de la rencontre avec l'adolescent est la possibilité qui lui est laissée de voir son médecin en tête-à-tête : cette transition entre les consultations réalisées avec les parents ou la mère et les consultations réalisées entre quatre yeux se fera de façon graduelle entre l'âge de 12 et 15 ans, et l'adolescent sera peu à peu invité à donner de plus en plus clairement son avis sur le traitement et la prise en charge de son affection chronique. Dès le départ, la question de la confidentialité doit être clarifiée, tant avec l'adolescent lui-même que ses parents.
Un troisième élément important est celui de la négociation : plus l'adolescent devient âgé, plus il est nécessaire de négocier avec lui les différentes mesures thérapeutiques proposées, en les intégrant progressivement dans la vie sociale et professionnelle du jeune consultant. La mise en place d'un véritable plan de traitement est souvent l'une des conditions sine qua non d'une amélioration de la compliance de l'adolescent. En d'autres termes, les buts thérapeutiques ne doivent pas être prescrits mais bien négociés, et refléter progressivement un compromis entre les objectifs du thérapeute et du patient !
Le soutien familial reste également un élément essentiel du traitement : les parents doivent être encouragés, en dépit des écarts de traitement de leur enfant, de continuer à le soutenir et à participer d'une façon ou d'une autre aux décisions qui touchent la santé, la maladie et l'avenir du jeune. En d'autres termes, si le contrat de traitement est avant tout discuté avec l'adolescent lui-même, les parents doivent être régulièrement informés de la situation. Dans cette même perspective, le soutien par les amis constitue une ressource à ne pas mésestimer : c'est au sein de groupes d'amis, parfois même de groupes de patients souffrant d'une affection similaire que le jeune garçon ou la jeune fille pourra exprimer ses sentiments et ses émotions par rapport à sa maladie et les inquiétudes qu'elles peuvent lui inspirer, et en enfin la manière dont il arrive à faire face. Ce travail de debriefing émotionnel doit d'ailleurs aussi être assuré de routine par le praticien, qui s'enquerra systématiquement de la manière dont l'adolescent vit sa situation. L'une des manières concrètes de favoriser l'adaptation du jeune à sa maladie est d'anticiper avec lui les situations difficiles auxquelles il aura à faire face. Ce type de stratégie cognitive ou comportementale, même si elle a des limites, permet de discuter très concrètement avec l'adolescent de la manière dont il peut réagir face à l'angoisse liée à ses crises, face à des demandes qui excèdent ses capacités, ou enfin face à des propositions qui iraient à l'encontre du traitement (dans le cas de François par exemple, comment refuser une cigarette qui vous est offerte !).
Une fois vu seul, François admet qu'il a non seulement commencé à fumer la cigarette, mais qu'il a même pris des joints de cannabis à quelques reprises ; il a entendu dire que le cannabis améliorait l'asthme ! La plupart de ses copains fument du cannabis et du tabac. De quelle manière pourriez-vous conseiller François dans ce domaine ?
La plupart des jeunes sont relativement au courant des risques liés à la consommation de tabac, mais sont beaucoup moins bien renseignés en ce qui concerne les risques liés à la consommation de cannabis. Il est notamment important de s'attaquer au mythe selon lequel le cannabis améliore le traitement de l'asthme !
Prendre des risques fait partie du processus normal de l'adolescence. Ce qui est important, c'est de déterminer l'importance des risques pris : à quelle fréquence François fume-t-il et quelle quantité de cigarettes ? Ses parents sont-ils au courant de cette habitude ? Que feraient ses amis s'il cessait de fumer ? La recherche scientifique récente a clarifié le rôle très addictogène de la nicotine, et il est possible d'aborder de façon relativement neutre la question du tabac et de l'addiction en général.
L'une des manières d'aborder de façon neutre la question du tabac est de demander au patient s'il a envisagé un moment ou à un autre de cesser de fumer. Le processus qui conduit à l'abandon de la fumée est en général assez lent et peut être discuté périodiquement avec l'adolescent. Parmi les questions très simples qui peuvent être proposées au jeune patient, on peut citer quatre points.
I Est-ce qu'il y a des copains dans ton groupe d'amis qui ne fument pas et qu'est-ce qui leur permet d'être tout de même acceptés dans le groupe ?
I Est-ce que ça t'aiderai que tu puisses dire à tes copains que ton médecin t'a recommandé de ne pas fumer pour des raisons de santé ? Cela aide parfois certains jeunes à refuser des cigarettes.
I Est-ce que certains de tes amis t'ont vu au moment ou tu as une crise d'asthme grave ? Peut-être que ça leur permettrait de comprendre mieux à quel point le tabac peut être nocif pour toi.
I Si tu as envie d'arrêter de fumer, peux-tu imaginer à quel moment tu serais prêt à le faire et de quelle manière ? Serais-tu d'accord de revenir d'ici quelque temps pour que nous en reparlions ?
Avant d'inviter à nouveau la mère ou les parents de François à vous rejoindre, il est important de clarifier avec lui les éléments de l'anamnèse que vous souhaitez discuter ouvertement, et ceux dont il souhaite qu'ils restent confidentiels. Si François souhaite taire sa consommation de cannabis par exemple, ce serait une occasion de convenir alors d'une nouvelle discussion à ce sujet entre quatre yeux lors du prochain rendez-vous. Avant de quitter François, une question utile à poser est de savoir comment l'atteindre s'il ne se présente pas à son prochain rendez-vous (!). Il faut aussi l'assurer que vous êtes à sa disposition pour répondre à des questions par téléphone, ou même pour le recevoir en urgence s'il en ressent le besoin.