L'histoire retiendra donc que c'est dans le froid crépuscule londonien du 19 décembre 2000 que le Parlement britannique a approuvé par 366 voix contre 174 la proposition de loi du gouvernement de Tony Blair d'autoriser le clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques. Retiendra-t-elle les conditions dans lesquelles le premier pays au monde à s'ouvrir à ce secteur de recherches a organisé le débat et obtenu de faire taire bien des controverses. On a, bien évidemment, dit haut et fort à quel point on condamnait ce monstrueux frère jumeau qu'est le clonage reproductif. On a aussi, dans le même temps, décliné la somme des promesses thérapeutiques. «Le clonage reproductif est illégal et il le restera dans le cadre de cette loi, a déclaré la sous-secrétaire d'Etat britannique à la santé, Yvette Cooper, en ouvrant le débat. Le but de ce texte est de promouvoir la recherche en thérapie cellulaire, qui offre un potentiel énorme pour soulager les souffrances de centaines de milliers de personnes dans ce pays».
Le gouvernement travailliste avait-il véritablement créé la surprise lorsque, en août dernier, il avait annoncé sa volonté d'autoriser les scientifiques à tenter de cloner des embryons humains afin de disposer de cellules souches pour tenter de traiter des pathologies aujourd'hui incurables ? La loi britannique autorisait déjà depuis 1990 l'utilisation d'embryons humains pour la recherche pour lutter contre les problèmes de stérilité. Le législateur britannique avait aussi mis en place une structure chargée, dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation, du contrôle des activités de thérapeutique et de recherche (la Human Fertilisation and Embryology Authority), de donner son accord à des recherches sur des embryons âgés de moins de 14 jours, qualifiés à ce titre de «pré-embryons». C'est ainsi qu'en Grande-Bretagne, entre 1991 et 1998, près de 48 000 pré-embryons, conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation mais ne faisant plus l'objet d'un projet parental, avaient été utilisés par des chercheurs. Durant la même période, 118 embryons avaient été également créés à des fins de recherche.
Pourquoi, dès lors ne pas aller plus loin et proposer aux parlementaires d'étendre la portée de la Human Fertilisation and Embryology Act afin d'autoriser les recherches dans un cadre plus large ? Comme on l'imagine ce nouveau texte a rencontré une opposition certaine de la part des associations opposées à l'avortement, et de tous ceux pour qui l'embryon humain est une personne et ne peut à ce titre être traité comme «une usine à médicaments». Mais qui, sur les bords de la Tamise, a entendu le pape Jean Paul II condamnant une mesure «moralement inacceptable» ? Le même jour, la décision britannique a été également condamnée par un représentant du gouvernement allemand. Qui a entendu, à Berlin, Andrea Fischer, écologiste et ministre de la Santé, dire qu'elle était opposée en principe à l'idée d'autoriser dans son pays le clonage thérapeutique. «Nous devrions dire une bonne fois pour toutes : nous ne voulons pas que l'on fasse des recherches sur les embryons humains, avait-elle déclaré en août dernier. Je ne veux pas encore me prononcer définitivement, mais je tiens à souligner que l'argument de l'utilité ne suffit pas en soi. Il faudra toujours peser le pour et le contre face à un possible danger. Et il y a précisément grand danger si nous permettons que les embryons deviennent du matériel pour les scientifiques».
Il y eut certes, outre-Manche des citoyens exprimant leur inquiétude face aux dérives possibles des techniques de thérapie cellulaire vers le clonage reproductif. On s'est ému d'entendre le député conservateur, Edward Leigh, comparer, devant le Parlement, l'utilisation d'embryons à des «meurtres d'innocents» et dire que jusqu'à présent seuls «les nazis considéraient certains humains comme des sous-humains». «Conscient du caractère très personnel et intime du débat, le Gouvernement avait prévu un vote libre des députés, qui ont ainsi pu approuver ou rejeter son texte quelle que soit leur appartenance politique, nous rapporte l'Agence France-Presse. Ses défenseurs ont souligné les «énormes possibilités de guérison» que ce secteur de recherches recélait pour les malades atteints de maladies comme le diabète ou la maladie de Parkinson».
Une député travailliste, stérile et atteinte de sclérose en plaques, a ému le Parlement en expliquant qu'actuellement les deux embryons qu'elle avait fait congeler ne pouvaient pas être utilisés pour la soigner
mais pouvaient l'être pour l'aider à avoir un enfant. «Or la chose qui m'angoisse le plus, c'est ma sclérose en plaques» a déclaré Fiona MacTaggart, jugeant qu'il serait «arrogant et injuste» de refuser aux malades ce type de recherches.
Mais qui nous dira jamais où est l'arrogance et l'injustice ? Qui nous dira jamais à quoi conduira ce processus désormais en marche de réification de l'embryon humain ? Sans doute pas le Pr Ian Wilmut, créateur de la brebis clonée Dolly, qui n'a pu faire autrement que de défendre le projet de loi. Quant à la célèbre British Medical Association, elle avait jugé nécessaire d'écrire à chaque parlementaire pour les appeler à approuver le texte.
Bien évidemment, enfin, on a dit et redit à quel point les retombées économiques de cette nouvelle loi étaient «potentiellement considérables». Ce n'est peut-être qu'une impression ; peut-être nous trompons-nous. Mais en cette nuit du 19 décembre le vent venu de Londres avait quelque chose de glacial. Verrons-nous jamais le printemps ? W