A propos des articles : «Fable : les loups et les agneaux ou la naïveté en réseau a fait son temps...» de V. Gur Aubert, C. Sagnières et F. Thomé. Le REMED a-t-il vendu son âme ? (Lettre ouverte aux médecins genevois). Med Hyg 2000 ; 58 : 2600-1.
Avant d'essayer de répondre à cette question, rappelons brièvement les objectifs d'Optimed 2 acceptés par les médecins du REMED, une structure qui regroupe la grande majorité des médecins généralistes et internistes :
1. Le réseau Optimed se veut une réponse au développement des HMO. Par rapport à ces derniers, le réseau se différencie par des critères d'admission transparents pour les médecins, des critères qui :
résultent d'une négociation entre le REMED et les caisses-maladie, une négociation qui est sanctionnée par un vote démocratique par l'assemblée générale du REMED à l'instar du vote des conventions collectives par les syndicats ;
sont connus par tous les médecins du REMED, ce qui permet à chacun de faire une demande d'adhésion au réseau ; le médecin n'est donc pas choisi par simple cooptation par une caisse-maladie ou quelques médecins qui ont la confiance de la caisse-maladie en question.
Il est surprenant de constater que les «agneaux» du Comité Septembre Blanc n'aient jamais jugé utile de formuler la moindre critique à l'égard des différents HMO, des structures qui ne respectent justement pas ces critères d'adhésion.
2. La philosophie du réseau consiste à renforcer le rôle du médecin de premier recours. Cet objectif est à mettre en relation avec la défense d'une conception médicale qui pense le symptôme et la plainte en articulation avec l'unité psychosomatique du patient, une unité à placer dans le contexte physique, biologique et social de l'individu et dans son histoire. Une telle médecine doit apprendre à travailler avec les modèles de pensée des sciences humaines, de la complexité, de la non-prédictibilité et de l'herméneutique sans pour autant oublier la médecine basée sur les sciences expérimentales et statistiques et plus généralement les notions de l'Evidence-Based Medicine. La défense de la notion du médecin de premier recours est donc à mettre en relation avec une certaine conception de la médecine et non pas avec la défense d'une corporation médicale contre une autre ou avec un moyen permettant de diminuer les coûts du système de santé, une diminution qui ne sera probablement que marginale, même en cas de généralisation du modèle.
3. Enfin, le réseau Optimed prétend pouvoir offrir une médecine meilleure marché. Je n'y ai jamais cru et je l'ai répété à maintes reprises. En effet, nous ne pratiquons pas deux médecines différentes, une pour les patients d'Optimed et une autre pour les patients ne faisant pas partie de ce réseau. La diminution des cotisations pour les assurés Optimed la responsabilité financière incombe par ailleurs aux seules caisses-maladie durera aussi longtemps que les adhérents de ce réseau, par leur âge, leur état de santé et leur manière de consommer les soins médicaux, coûtent moins cher que la moyenne des assurés. Le seul moyen d'avoir un certain effet sur les coûts globaux consisterait à rendre le passage par le médecin de premier recours obligatoire pour tous les assurés.
Alors, pourquoi combattre avec un tel acharnement Optimed 2 ? Visiblement, le tort des médecins signataires est :
de collaborer avec les caisses-maladie, l'ennemi public numéro 1 dans les yeux de ces «médecins-agneaux» ;
d'admettre que les caisses-maladie ne veulent pas la mort de la pratique médicale qui accorde une place à l'écoute et à l'échange ; en effet, il s'agit d'une médecine plutôt meilleur marché, et
de reconnaître que la réflexion sur le coût de notre pratique est nécessaire ; une pratique médicale basée sur le temps et s'insérant davantage dans les sciences humaines peut être compatible avec un profil du CAMS à 130, une donnée statistique qui n'est certainement pas parfaite mais qui constitue un indicateur utile et intéressant pour évaluer le coût de notre activité, un coût évidemment à pondérer avec d'autres variables et à ne pas confondre avec la qualité de nos prestations.
La critique à l'égard des autres, à savoir des caisses-maladie et de l'Etat, est toujours plus facile qu'à l'égard de soi-même et de sa propre corporation. Refuser toute collaboration avec les caisses-maladie en les présentant comme la cause principale, pour ne pas dire unique, de l'augmentation des cotisations a l'avantage de constituer une explication simple, facilement compréhensible et populaire pour ne pas dire populiste. La gestion calamiteuse des caisses-maladie est indiscutable, comme par ailleurs aussi leur volonté d'accaparer du pouvoir en matière de politique de santé ; il est cependant faux d'affirmer que leurs données statistiques sont inutilisables, que toute concession à leur égard signifie la mort de la pratique médicale humaniste et que l'augmentation des primes aux caisses-maladie est en relation avec leur politique en matière de réserves. Quant à ce dernier point, rappelons que l'augmentation des cotisations est le reflet des dépenses totales des caisses-maladie, des dépenses qui sont tributaires de la consommation des soins et finalement de l'offre médicale. Le corps médical a donc sa part de responsabilité en ce qui concerne l'augmentation des primes. Le discours de nos «médecins-agneaux» fait étrangement penser à la parabole de la paille et de la poutre.
Enfin, leur argumentation ne cache que maladroitement leur volonté de ne céder aucune parcelle du pouvoir médical évidemment pour le bien des patients un discours qui me rappelle étrangement le discours médical dominant il y a quelques années face à des propositions de la gauche, comme celles demandant un financement plus social des caisses-maladie, un pouvoir renforcé des patients avec la loi sur les droits des patients ou un pouvoir accru de l'Etat dans le domaine de la politique de la santé. La peau d'agneau ne cache donc que maladroitement le loup dont les motivations profondes n'ont visiblement pas beaucoup changé.
A. Saurer