La sclérodermie est une maladie auto-immune touchant le tissu conjonctif, les artérioles et les microvaisseaux. Pour l'instant, elle est considérée comme étant incurable, néanmoins, il est parfois possible d'en maîtriser l'évolution. Ainsi, un diagnostic et un traitement précoces sont essentiels. Des progrès technologiques récents ont facilité l'exploration et par conséquent le traitement du syndrome de Raynaud et des atteintes viscérales. Enfin, des recherches sont en cours pour mieux comprendre les mécanismes responsables de la fibrose et des lésions endothéliales, avec l'espoir de pouvoir ainsi disposer de médicaments spécifiques et efficaces.
La sclérodermie est une maladie auto-immune du tissu conjonctif, des artérioles et des micro-vaisseaux. Elle est caractérisée par une fibrose et une oblitération vasculaire pouvant toucher en particulier la peau, le tube digestif, le poumon et les reins. L'atteinte cutanée est la plus fréquente, mais c'est l'atteinte viscérale qui conditionne le pronostic de cette maladie assez rare qui touche le plus souvent les femmes. La pathogenèse est complexe et encore mal connue. Une activation du système immunitaire et des lésions vasculaires semble générer une population de fibroblastes activés, d'où la formation de collagène de structure normale, mais en quantité trop importante.1
Le traitement de cette maladie est difficile, et à l'heure actuelle, il n'est pas possible d'être curatif. Néanmoins, une meilleure compréhension des différentes catégories de sclérodermie et un diagnostic plus précoce quant à l'atteinte des différents organes permettent d'adopter une meilleure stratégie thérapeutique pour bloquer précocement l'évolution de cette maladie. Dans le suivi du malade, il sera donc essentiel de bien reconnaître le degré d'activité de la maladie et sa sévérité, en fonction des différents organes touchés, car le choix du traitement fera toujours intervenir ces critères.2
On divise en général la sclérodermie en deux grands groupes, la sclérodermie localisée et la sclérodermie systémique. A noter que l'évolution tardive de certaines sclérodermies localisées vers une forme systémique est possible.3
La sclérodermie localisée comprend les différentes formes de morphées, lésions cutanées circonscrites en plaques (multiples ou non, profondes ou superficielles), en gouttes, en bande, telle la sclérodermie en coup de sabre de l'enfant qui évolue en cinq à dix ans vers une lésion atrophique adhérente à l'os sous-jacent.
La sclérodermie systémique comprend deux groupes : 1) la forme cutanée limitée, avec essentiellement atteinte des extrémités et de la face. Les anticorps anti-centromères sont présents chez 70 à 80% des patients. C'est dans cette forme que l'on classe le syndrome CREST (calcinose, Raynaud, atteinte sophagienne, sclérodactylie, télangiectasies). On rencontre tardivement chez 15% des patients une hypertension pulmonaire ou une fibrose pulmonaire, mais l'atteinte rénale est rare ; 2) la forme cutanée diffuse d'évolution rapide, avec présence d'anticorps anti-scl70 chez 30% des patients. L'atteinte rénale, pulmonaire, gastro-intestinale ou myocardique est fréquente.
Le diagnostic de sclérodermie est le plus souvent posé grâce à la clinique. Ainsi, des critères cliniques pour la classification de la sclérodermie systémique4 ont été proposés par l'«American Rheumatism Association» (ARA) ; ils sont résumés dans le tableau 1. Dans les stades précoces de la maladie, le diagnostic clinique peut être rendu difficile à cause du fait que les signes typiques ne sont pas encore présents (télangiectasies, sclérose cutanée et calcinose). Pour étayer le diagnostic de sclérodermie, il y a peu d'anomalies biologiques. On observe un syndrome inflammatoire modéré non spécifique. Par contre, la plupart des patients atteints de sclérodermie ont des auto-anticorps :5 les anticorps antinucléaires (avec fluorescence nucléolaire surtout), les anticentromères et les anti-scl70 (antitopo-isomérase).
Lorsqu'un diagnostic de sclérodermie est posé, il est important de rechercher certaines atteintes viscérales6 qui méritent un traitement précoce, en particulier l'atteinte rénale ou pulmonaire, cette dernière étant la plus fréquemment responsable du décès du patient.
Les investigations pulmonaires incluent des tests fonctionnels pulmonaires avec mesure du facteur de transfert au CO (premier test fonctionnel perturbé), une radiographie pulmonaire standard (peu sensible pour déceler une fibrose débutante), et un CT-scan thoracique avec coupes à haute résolution (HRCT). Cet examen non invasif est extrêmement important, car il permet de diagnostiquer une atteinte pulmonaire débutante, et il donne des informations pronostiques,7 car il existe une bonne corrélation entre l'aspect des lésions observées au scanner et le résultat de la biopsie pulmonaire et du lavage broncho-alvéolaire (BAL) : la présence d'opacités en verre dépoli au HRCT correspond à une infiltration cellulaire à la biopsie pulmonaire et à la présence de lymphocytes surtout, au BAL, alors que la présence d'images réticulaires au HRCT est associée à la présence d'une fibrose tissulaire à la biopsie et à la présence de neutrophiles au BAL.8 Ces informations sont capitales pour l'introduction d'une thérapie. En effet, en cas d'opacités en verre dépoli, les lésions sont susceptibles de répondre à une thérapie immunosuppressive, alors qu'au contraire, en cas d'images réticulaires évoquant une fibrose, le traitement visera uniquement à bloquer la progression de cette fibrose pour épargner les régions les moins touchées du poumon. Pour ce qui concerne l'hypertension pulmonaire, c'est l'échocardiographie qui est l'examen non invasif le plus sensible pour établir un diagnostic précoce. En effet, les signes cliniques (dyspnée) sont souvent absents, de même que les signes radiologiques classiques (élargissement de l'artère pulmonaire, diminution du calibre des petits vaisseaux). Certains auteurs recommandent des investigations pulmonaires annuelles (DLCO, HRCT et échocardiographie) chez les sclérodermies systémiques, même en l'absence d'atteinte pulmonaire reconnue.
L'atteinte rénale peut toucher jusqu'à 50% des patients. Elle se manifeste souvent par une légère protéinurie, une augmentation modeste de la créatinine et une hypertension artérielle. Chez 10 à 15 % des patients, on peut observer une crise rénale très redoutée,9 avec insuffisance rénale aiguë, et le plus souvent hypertension artérielle brutale, alors que le sédiment urinaire reste normal ou ne montre qu'une légère protéinurie.
Les méthodes d'exploration fonctionnelle récentes ont facilité le diagnostic et le traitement de l'atteinte cardiaque10 et digestive.11
Dans la plupart des maladies auto-immunes, un traitement de fond permet de soigner globalement les différentes manifestations cliniques. Ceci n'est pas le cas de la sclérodermie qui requiert plusieurs traitements spécifiques en fonction des organes atteints. De plus, l'évaluation de l'efficacité des médicaments utilisés dans la sclérodermie est difficile, car il est impossible de prédire, chez un patient donné, l'évolution de la maladie. On sait que la topographie de l'atteinte cutanée joue un rôle, avec une diminution de la survie chez les patients présentant une sclérose cutanée du tronc, alors que chez les patients avec sclérodermie localisée, l'atteinte cutanée peut rester stable des années. Les atteintes viscérales apparaissent en général dans les cinq ans qui suivent le début de la maladie. Lors d'apparition plus tardive, l'évolution est plus lente. Il est donc nécessaire de tenir compte de ce polymorphisme évolutif pour choisir le traitement approprié et évaluer son efficacité. Des mesures générales simples s'imposent. On déconseille très vivement le tabagisme en raison de ses effets secondaires sur les vaisseaux et le poumon notamment. L'exercice physique régulier et un traitement de physiothérapie sont essentiels lorsque la mobilité est menacée.
S'il est possible d'améliorer le vasospasme dû à la sclérodermie, il est impossible pour l'instant de prévenir ou guérir les lésions prolifératives qui conduisent à une oblitération vasculaire.12 Parmi les mesures simples, on tente de prévenir le vasospasme dû au froid et d'éviter les facteurs aggravants (tabac, b-bloqueurs). Les anticalciques (nifédipine en particulier) peuvent être bénéfiques s'ils n'induisent pas des effets secondaires trop importants. Certains auteurs signalent l'action favorable des inhibiteurs de l'enzyme de conversion pour le Raynaud, néanmoins, c'est pour l'atteinte vasculaire du rein qu'ils sont indispensables. En effet, la crise rénale est moins fréquemment rencontrée lorsque les patients reçoivent un inhibiteur de l'enzyme de conversion. Ce type de traitement doit être introduit chez tout patient présentant une hypertension artérielle même légère, ou une atteinte rénale. L'utilisa-
tion de nitroglycérine (patch) peut être bénéfique pour l'ischémie des extrémités, néanmoins les effets secondaires (céphalées) en limitent l'utilisation. La nitroglycérine sous forme topique appliquée directement sur les ulcères ischémiques peut en faciliter la guérison. Lorsque le Raynaud est sévère, il est possible d'administrer cinq jours de file des perfusions d'iloprost (analogue de la prostacycline). Ceci permet parfois d'éviter l'amputation d'un doigt ou d'un orteil. L'iloprost est également administré avec succès lors d'hypertension pulmonaire, après vérification de son efficacité lors d'un cathétérisme cardiaque.13,14 On l'administre soit en aérosol (6 x/jour), soit en perfusions (toutes les trois semaines environ). Quant à la sympathectomie, il n'est pas possible d'expliquer pourquoi cette intervention au niveau cervical n'apporte pas de bénéfice, alors que la sympathectomie lombaire améliore clairement le Raynaud des pieds. Une intervention chirurgicale plus récente, la sympathectomie digitale (micro-artériolyse radicale), s'est avérée efficace (guérison des ulcères, diminution des douleurs et de la sévérité du Raynaud). Cependant, en cas d'urgence, une perfusion d'iloprost semble le traitement le plus efficace. L'utilisation de prostacycline sous forme orale (beraprost) est à l'étude, de même que les anti-oxydants (pour réduire les lésions de l'endothélium) et les antagonistes de l'endothéline (pour bloquer le vasospasme).
Dans la sclérodermie, l'activation du système immunitaire se traduit par une production accrue de cytokines et de facteurs de croissance capables d'induire la fibrose et les lésions vasculaires. Une chimiothérapie précoce permet parfois de bloquer ces phénomènes. Toutefois, la prudence s'impose, car dans la sclérodermie, les effets secondaires peuvent être plus marqués que dans les autres maladies auto-immunes, et les résultats obtenus parfois médiocres. A l'heure actuelle, les études contrôlées concernant la chimiothérapie sont peu nombreuses. Nous ne citerons que les thérapies les plus couramment utilisées.
La cortisone doit être prescrite avec beaucoup de précautions, car elle est impliquée dans le déclenchement de crises d'insuffisance rénale aiguë.15 Il est préférable de ne pas dépasser 20 mg/j environ, et de réserver ce médicament aux phases précoces de la maladie, en particulier lors d'alvéolite pulmonaire, de myosite, d'arthrite ou de ténosynovites réfractaires aux anti-inflammatoires non stéroïdiens.
Le cyclophosphamide s'est avéré efficace en association avec la cortisone lors d'alvéolite,16 pour autant que l'atteinte pulmonaire ne soit pas trop avancée, c'est-à-dire lors de présence de lésions en verre dépoli au scanner à haute résolution, ou lorsque le lavage bronchio-alvéolaire révèle la présence de lymphocytes notamment. Nous l'administrons durant un an sous forme de perfusions mensuelles, ce qui en limite les effets secondaires.
L'azathioprine est surtout utilisée pour épargner les doses de cortisone, en particulier en cas de myosite.
Le méthotrexate a permis, dans une étude en double aveugle, une amélioration du score cutané.17 Néanmoins l'utilisation de ce médicament est très délicate en cas d'insuffisance rénale même modérée.
La ciclosporine n'est en général pas recommandée, une toxicité rénale pouvant apparaître même à des doses faibles (18
La transplantation de cellules autologues a été rarement utilisée avec succès. Pour l'instant, elle est surtout indiquée dans les cas désespérés de sclérodermie, vu la mortalité élevée de ce type de traitement.
Les médicaments disponibles actuellement ont malheureusement une action lente et ne sont en général pas suffisamment puissants pour permettre de bloquer l'évolution parfois très rapide de la fibrose. Ils sont surtout utilisés pour freiner l'atteinte viscérale (pulmonaire par exemple).
La D-pénicillamine (DP) agit sur la biosynthèse du collagène, avec en outre un léger effet immunosuppresseur. Elle a été utilisée depuis de nombreuses années à des doses variant entre 500 et 1500 mg/j. Plusieurs études non contrôlées décrivent un bénéfice possible sur l'atteinte viscérale, cutanée, et sur la survie, malheureusement avec des effets secondaires nécessitant souvent l'arrêt du traitement.19,20 Récemment, dans une étude en double aveugle comportant 134 patients avec sclérodermie diffuse débutante,21 l'utilisation de DP à doses classiques (750 à 1000 mg/j) a été comparée à une dose très faible (125 mg tous les deux jours), avec des résultats similaires concernant l'atteinte cutanée, la crise rénale et la mortalité. Les effets secondaires nécessitant l'arrêt du traitement ont été beaucoup plus rarement observés avec la dose faible (4 patients), qu'avec la dose élevée (20 patients). Cette étude a le mérite de montrer qu'il n'y a apparemment pas d'avantage à utiliser une dose élevée de DP. Elle ne permet toutefois pas de se prononcer sur l'efficacité de ce traitement puisqu'il n'y avait pas de groupe placebo. L'effet de la DP ne se manifeste qu'après quatre à six mois, ainsi on propose ce type de traitement dans les sclérodermies diffuses relativement stables, ou après l'arrêt de médicaments plus agressifs, pour tenter de stabiliser la maladie à plus long terme.
Les interférons (g surtout, et a) sont connus pour inhiber la synthèse du collagène in vitro. Ils ont donc été testés chez les patients souffrant de SD.22,23 Les effets secondaires majeurs ont conduit à leur abandon : crise hypertensive rénale lors d'administration d'interféron-g, et péjoration de l'atteinte cutanée et pulmonaire avec l'interféron-a.
La minocycline a été utilisée récemment chez onze patients souffrant de SD diffuse débutante sans atteinte viscérale, avec une disparition des lésions cutanées après un an chez quatre patients.24 Ces résultats préliminaires sont surprenants et devront être vérifiés.
La sclérodermie est une maladie dont les mécanismes pathogéniques comportent encore beaucoup d'inconnues, ce qui en limite le traitement. Néanmoins, le traitement du syndrome de Raynaud a été facilité par l'apparition de nouveaux vasodilatateurs et de techniques microchirurgicales récentes. De même, le diagnostic des atteintes viscérales peut être plus précoce et aisé grâce aux méthodes d'exploration fonctionnelle modernes, ce qui permet une meilleure prise en charge des patients. Néanmoins, si certaines sclérodermies restent bénignes ou répondent assez bien au traitement, d'autres formes continuent à évoluer, et parfois rapidement, aboutissant à des handicaps majeurs. Il est donc urgent de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires aboutissant aux lésions du tissu conjonctif et des vaisseaux, avec l'espoir de pouvoir développer de nouveaux médicaments spécifiques et efficaces.