Nous abordons divers travaux publiés dans les douze derniers mois, nous concentrant surceux dits de phase III dans les tumeurs solides. Ces travaux comparatifs sont ceux qui établissent initialement l'impact véritable de traitements essentiellement médicamenteux dans la thérapeutique cancérologique, impact qui est ensuite modulé par la pratique. Nous citons aussi d'importants travaux de chimio-radiothérapie simultanée. Les progrès de l'an 2000 dans le traitement des tumeurs solides sont indéniables pour le cancer du côlon, de la vessie et du sein, et l'on peut, sans craindre d'être détrompés, annoncer que 2001 verra d'autres résultats importants dans d'autres types de tumeurs.
L'oncologie en marche vers le XXIe siècle se doit d'être multidisciplinaire, et tous les efforts doivent être déployés pour assurer une meilleure coordination des efforts des divers groupes de par le monde. Et nous n'entendons pas seulement les chercheurs, mais aussi et surtout les patients et leurs gouvernements. Tel est le sens d'une action commencée à Paris en février 2000,1 et à laquelle chacun peut souscrire sur le site http://www.charteragainstcancer.org/. Cette oncologie en marche fait partie de la médecine, dont l'art est complexe. Citons, parmi les divers articles traitant de sujets similaires en l'an 2000, un travail de l'équipe infirmière de Bellinzone, Tessin, Suisse, qui souligne les aspects éthiques et l'importance de l'abord correct des malades qui se voient proposer des études en phase I.2 Les études en phase I sont celles où l'on teste une approche pour sa faisabilité, sans but thérapeutique premier. Quant aux études de phase II, la méthodologie va changer. Les critères RECIST (Response Evaluation Criteria in Solid Tumors) sont une nouvelle méthodologie d'évaluation de l'activité antitumorale des agents évalués en phase clinique précoce. Cette méthodologie tient compte des progrès de l'imagerie médicale et permet à la fois plus de rigueur, et on l'espère moins de résultats faussement prometteurs dans l'évaluation de nouvelles thérapeutiques. Il vaut la peine de citer ceci dans un article destiné au praticien qui doit s'habituer à entendre parler de cette technique qui devrait remplacer les critères NCI (National Cancer Institute) et OMS (Organisation mondiale de la santé).3
Cette rigueur dans la méthodologie contraste avec d'autres pratiques. Nous avons eu l'occa-
sion d'évoquer les aspects utiles de certaines médecines traditionnelles, et de ce fait nous nous devons aussi de noter que les produits
d'origine végétale ne sont pas, comme le public tend à le croire, inoffensifs. Il suffit de rappeler les intoxications aux champignons, à la digitale, et maintenant l'erreur fatale commise dans des préparations d'herbes chinoises, qui a entraîné l'apparition de cancers des voies urinaires chez les personnes prenant ces produits.4 Et restant dans les aspects «à la mode écolo», remarquons qu'un groupe nordique attire notre attention sur le fait que pour la plupart des cancers la part de la susceptibilité génétique reste modeste, et que l'influence de l'environnement est difficile à évaluer, bien qu'évidente. L'exemple notoire est l'abus de tabac, qui reste la première cause de cancer, bien simple à éliminer si le «lobby» industriel n'était influent au point d'amener les cours européennes à casser des directives qui interdisaient certaines formes de publicité en faveur de ce poison.5
Une partie des bénéfices du «lobby» pourrait aller à des études pour savoir quelle est la meilleure manière de détecter précocement certains cancers, car si pour le cancer du col utérin et du sein il existe un consensus, il n'en est pas de même pour les autres tumeurs.6,7
L'EORTC a étudié 399 patients avec adénocarcinome de l'estomac et noté que le taux de réponses était de 9% (chimio dite ELF), 20% (chimio dite FUP), et 12% (chimio dite FAMTX), ces différences apparentes n'ayant pas de signification statistique ni clinique. Avec une médiane de suivi de 4,5 ans la médiane de survie était la même : 7,2, 7,2 et 6,7 mois.8 De toute évidence ces traitements, quel que soit leur acronyme, ont peu d'utilité. La plupart des experts du domaine estiment que l'association appelée ECF (épirubicine, cisplatine et fluorouracile en perfusion continue), testée dans une étude randomisée,9 reste le moins mauvais choix. Nous avons récemment eu l'occasion de tester une autre association, qui introduit les taxanes, et ses résultats prometteurs forment la base d'une étude randomisée.10
Bien que ces chimiothérapies de la maladie gastrique métastatique aient des effets modestes (mais supérieurs à l'absence de traitement tant sur le plan de la survie que de la qualité de vie), elles ont été testées en complément à la chirurgie (traitements dits adjuvants). Un groupe italien a évalué la littérature et collecté des informations sur 3658 patients entrés dans des études randomisées. La chimiothérapie post-
opératoire réduirait le risque de décès de 18% (hazard ratio 0,82, 95% CI : 0,75-0,89, p 11
Cet effet bénéfique est de l'ordre de grandeur de celui observé dans le cancer du sein, mais
l'analyse des auteurs n'a pas la rigueur voulue pour emporter l'adhésion de tous.
ICON3 est une étude qui compare l'association carboplatine-paclitaxel au carboplatine seul ou à l'association de cisplatine, adriamycine et cyclophosphamide. Entre février 1995 et octobre 1998, 2074 patientes de 132 hôpitaux de huit pays sont entrées dans l'étude. La présentation préliminaire des résultats de l'étude n'est pas encourageante12 et d'aucuns y ont vu une raison d'abandonner le paclitaxel en première ligne, suivant en cela une idée déjà suggérée par l'étude du GOG (Gynecological Oncology Group 111).13 Le débat n'est pas clos, mais une revue récente, basée en partie sur l'expérience directe des auteurs,14 indique bien l'importance de l'association paclitaxel-cisplatine dans cette affection et conclut qu'il s'agirait là du standard de traitement actuel.15
L'augmentation du risque de cancer du sein par un traitement hormonal de substitution lors de la ménopause continue à être discutée, ce risque étant en partie déterminé par le type exact de traitement de remplacement. Ross et coll.16 ont décrit une augmentation de 10% du risque de cancer par cinq années d'utilisation, et aussi que l'addition d'un progestatif de type progestérone (plus en séquentiel qu'en combiné) augmentait encore plus le risque par rapport à une substitution par de l'strogène seul. Magnusson et coll.17 avaient montré, dans une étude suédoise, qu'un traitement combiné augmentait plus le risque qu'un traitement séquentiel, mais d'autres articles ont paru pour proposer qu'un traitement par strogènes seuls était plus risqué qu'un traitement combiné ou séquentiel sur le plan du cancer du sein. Mais quel est le rôle de ce traitement, quel qu'il soit, s'il semble moins utile que prévu pour protéger contre le risque cardiovasculaire18 et que nous disposons de produits tels que le raloxifène pour lutter contre l'ostéoporose et éventuellement le cancer du sein ?
Bien que le tamoxifène soit actuellement proposé aux Etats-Unis comme traitement de prévention du cancer du sein aux femmes à «haut risque», l'effet sur la survie de ces femmes n'est pas encore prouvé, et de nombreux groupes européens poursuivent leurs études dans le domaine.19 Cela serait d'autant plus justifié que certains mettent en avant un risque plus important lié aux cancers de l'endomètre induits par le tamoxifène que celui accepté,20 même si ce risque reste modeste.
L'approche chirurgicale de l'aisselle dans le traitement du cancer du sein est en train de se modifier rapidement. Cependant, il faut rester prudent, car il est évident que la technique du «ganglion-sentinelle» comporte des limites, comme l'indiquent de nombreux travaux, dont celui cité.21 Les chercheurs ont évalué diverses techniques et constatent que le ganglion sentinelle est difficile à localiser chez 12,4% des patientes de plus de 50 ans et 7,4% des plus jeunes, ce qui laisse environ 10% de faux négatifs.
Une analyse de cinq études prospectives du MD Anderson comprenant 1031 patientes ayant bénéficié d'une mastectomie suivie d'une chimiothérapie adjuvante comprenant de la doxorubicine (adriamycine) sans radiothérapie permet de confirmer les groupes de patientes à risque qui doivent probablement bénéficier d'une radiothérapie postopératoire. Ces patientes seraient celles avec tumeur > 4 cm, ou > 3 ganglions axillaires atteints, qui ont un taux de rechute locale de 20% avec un suivi médian de 116 mois (presque dix ans).22
L'étude des effets de la radiothérapie adjuvante du cancer du sein par le fameux groupe de méta-analyse EBCTCG (Early Breast Can-
cer Trialists' Collaborative Group) rappelle donc que la radiothérapie diminue le risque de rechute locale de deux tiers. A condition d'employer des techniques modernes qui ne conduisent pas à une toxicité à long terme (essentiellement cardiaque) cette amélioration du contrôle local permettrait d'augmenter de 2 à 4% le pourcentage de femmes survivant vingt ans ou plus à leur cancer. Cette donnée favorable serait limitée pour les femmes avec un risque modéré à élevé de rechute locale et confirme les données que les équipes danoises avaient rapportées.23,24
Ah, les idées reçues : le traitement préventif postopératoire «doit» commencer dans les six semaines à deux mois après la chirurgie. Et pourquoi cela ? Si les «métastases occultes» contre lesquelles nous nous battons existent depuis des années chez la malade, quelle est l'importance de quelques mois de retard ? «Mieux vaut commencer plus tôt, pour ne pas donner le temps à la tumeur de continuer à se développer». Cette vision par trop simpliste ne tient pas compte des caractéristiques biologiques des tumeurs individuelles. Il existe peu d'études sur les traitements adjuvants retardés et encore moins où le traitement retardé ait été vraiment administré dans des modalités d'efficacité certaine. Delozier et coll.25 ont évalué
494 patientes traitées «en adjuvant» par du tamoxifène plus de deux ans après le traitement initial de leur cancer du sein. Il s'avère que même dans ces circonstances inhabituelles on retrouve l'effet positif du tamoxifène comme traitement de prévention des rechutes du cancer du sein chez les femmes dont la tumeur était positive pour les récepteurs aux strogènes.
Dans le domaine du traitement adjuvant, il est important de remarquer que la prudence s'impose dans l'emploi des taxanes, qui devrait probablement rester limité dans cette indication à une catégorie de patientes à haut risque ne bénéficiant pas de façon évidente d'un simple traitement de chimiothérapie associé au tamoxifène. Ceci nous a été rappelé par l'International Breast Cancer Study Group (IBCSG)26 et par les données présentées à la conférence de consensus de l'Institut national du cancer des Etats-Unis, tenue du 1er au 3 novembre 2000.27 Dans le même domaine du traitement adjuvant, l'IBCSG a réévalué certaines données chez 3700 patientes en pré- ou périménopause traitées dans divers protocoles. Les femmes de moins de 35 ans ont eu un avenir bien plus compromis, avec à 10 ans 35% seulement sans rechute contre 47% (hazard ratio 1,41 (95% CI 1,22-1,62), p 28
En poursuivant ce même thème dans la situation métastatique, notons que Klijn et coll. de l'EORTC (Organisation européenne de recherche et traitement du cancer) nous rappellent que le traitement du cancer du sein chez la femme préménopausique avec récepteurs hormonaux positifs doit comprendre, surtout pour la femme jeune, une castration (chimique ?) combinée à un traitement anti-strogénique comme le tamoxifène, et non pas le tamoxifène seul. Le traitement combiné fut supérieur à tous les égards au traitement avec l'un ou l'autre agent isolé (taux de réponses 48%, 34%, et 28% p = 0,11), survie médiane (9,7, 6,3, et 5,6 mois ; p = 0,03), et survie globale (3,7, 2,5, 2,9 ans ;
p = 0,01).29 Stadtmauer et coll.30 ont publié les résultats de l'étude dite de Philadelphie, qui montreraient qu'après un suivi médian de 37 mois, les patientes traitées par chimiothérapie à haute dose avec transplantation de cellules souches autologues pour un cancer du sein métastatique n'avaient pas de bénéfice en termes de survie (médiane de 9,6 versus 9,0 mois) par rapport à un groupe recevant un traitement plus conventionnel. Cette étude et toutes les autres en cours ou (prématurément) publiées sont revues par Rodenhuis,31 qui montre bien que les données à notre disposition permettent
d'indiquer que les études en cours doivent se poursuivre et qu'il n'est pas encore possible de généraliser et de dire que le traitement par chimiothérapie supra-intensive soit un échec global. De même que pour tous les autres cancers, le traitement du cancer du sein doit sortir de son empirisme globalisateur et arriver au XXIe siècle avec une meilleure compréhension de la biologie du cancer du patient, permettant alors d'adapter le meilleur traitement à cette biologie spécifique. L'association du docétaxel et de
l'adriamycine a reçu, de la part de l'European Medicine Evaluation Agency en août 2000, une recommandation d'emploi en première ligne métastatique dans le cancer du sein. Une étude pivot a permis de démontrer, en effet, que ce traitement était supérieur, dans ses effets à court terme, à l'association adriamycine et cyclophosphamide. Le rapport final n'est pas encore publié,32 et l'on attend aussi la publication des études avec le paclitaxel, l'autre taxane actif dans le cancer du sein, en notant que l'association de deux agents très actifs n'entraîne pas obligatoirement un avantage, car les réductions de dose de l'un des agents peuvent compromettre l'efficacité de l'ensemble.33
Et que faire après l'échec des anti-aromatases (dont le rôle éventuel en première ligne avant le tamoxifène sera discuté lorsque les études auront été publiées),34,35 et l'échec des chimiothérapies aux anthracyclines et taxanes, le tout combiné à un traitement de bisphosphonates en cas de métastases osseuses ?36 La réponse n'est pas simple, mais au moins savons-nous qu'à côté de la capécitabine,37 de nombreux au-
tres médicaments tels que la gemcitabine,38 l'UFT et l'éniluracil combiné au 5-fluorouracile se profilent et d'ailleurs, vu leur activité dans ces situations, on doit se demander si leur emploi ne doit pas avancer en première ligne thérapeutique et même au traitement adjuvant, comme pour le trastuzumab (Herceptine®).39 Ces études sont d'ailleurs en cours, ou complétées en phase précoce.40
Pendant plusieurs années, il a été discuté si un traitement intensif avec l'adriamycine et l'ifosfamide avait un intérêt par rapport à des dosages plus classiques. L'étude de l'EORTC ne répond pas entièrement à la question, car sa manière d'associer les produits n'est peut-être pas idéale. Cependant, dans ces limites, elle montre qu'en routine les doses plus conventionnelles restent un traitement valable.41
Une publication de plus vient conforter l'approche par chimio-radiothérapie combinée dans les tumeurs ORL. Le traitement combiné offre un avantage de survie à deux ans (68% contre 49%) et à cinq ans (46% contre 25%), p 42 Cette étude isolée se trouve renforcée dans ses conclusions par la méta-analyse enfin parue qui montre une diminution du risque relatif de décès dans le groupe de chimioradiothérapie combinée simultanée de 19%, représentant une augmentation de 25% de la survie à cinq ans, celle-ci passant de 32% à 40%.43
Si nous admettons donc que le standard actuel, dans ce domaine aussi, est l'association chimio-radiothérapie, peut-on en diminuer la toxicité ?
L'amifostine diminue la sécheresse aiguë de grade 2 de 78% à 51%, p 44 D'autre part, des alternatives existent, mais ne sont pas promues car elles ne sont pas protégées par une patente.45
A la veille de la 2e conférence Genolier-Genève-MSKCC (Memorial Sloan Kette-
ring Cancer Center) qui se tiendra du 15 au 16 février 2001 à Genève, dédiée cette fois au carcinome prostatique, nous notons que l'utilisation de traitements complémentaires au traitement local s'affinera sous peu, dès que des études pros-
pectives auront validé des critères avancés par le groupe Radiation Therapy Oncology Group des Etats-Unis.46 Il s'est agi d'une tentative de déterminer des groupes ne bénéficiant respectivement pas d'une hormonothérapie, ou bénéficiant d'une hormonothérapie courte ou longue, combinée à la radiothérapie. La survie globale et la survie sans rechute de 2200 hommes traités par radiothérapie dans cinq études prospectives a été stratifiée selon
divers critères : groupe 1 : patients avec Gleason (GS) = 2-6, et tumeur T1-2Nx ; groupe 2 : GS = 2-6, T3Nx ; ou GS = 2-6, N+, ou GS = 7, T1-2Nx ; groupe 3 : T3Nx, GS = 7 ; ou N+, GS = 7, ou T1-2Nx, GS = 8-10 et groupe 4 : T3Nx, GS = 8-10, ou N+, GS = 8-10. Le groupe 2 avec maladie «bulky» ou T3 bénéficie de quatre mois de gosereline et flutamide. Les patients des groupe 3 et 4 bénéficiaient le plus d'un traitement hormonal à long terme (p ¾ 0,0004).
Il existe actuellement, à côté des données sur la mitoxantrone, plusieurs études qui suggèrent que les taxanes et d'autres agents, associés le plus souvent à l'estramustine, ont un effet bénéfique chez les patients souffrant de carcinomes prostatiques. Même si les études comparatives définitives n'ont pas encore été présentées, aux Etats-Unis, l'association du docétaxel et de l'estramustine rencontre les faveurs des cliniciens.47
Le «MVAC» a vécu, et les patients ont gagné en qualité de vie.48 Considéré par d'aucuns comme le standard du traitement de l'adénocarcinome métastatique de la vessie, le MVAC (combinaison de méthotrexate, vinblastine, doxorubicine et cisplatine) doit céder sa place à des traitements plus simples, moins toxiques et aussi efficaces. Plusieurs groupes utilisaient le «CMV», dont la doxorubicine (A du MVAC, car la doxorubicine est l'adriamycine) avait été enlevée et les doses de platine modifiées. Et le débat faisait rage. Mais maintenant au moins savons-nous que la gemcitabine associée au cisplatine constitue un traitement qui, comparé au MVAC chez 405 patients, donne des résultats comparables et surtout un profil de toxicité moindre. Mais le CMV a-t-il vécu ?
Schatzkin et coll.49 et Alberts et coll.50 ont-ils mis du plomb dans la diète riche en fi-
bres, et l'ont-ils rendue encore moins appétissante ? Des patients ayant eu un adénome colique et bénéficiant de telles diètes n'ont pas vu le nombre d'adénomes détectés ultérieurement diminuer, et ceci avec un suivi de quatre ans. Ces résultats ne veulent cependant pas dire que les études observationnelles qui mettent en avant le rôle protecteur contre le cancer colorectal des diètes riches en fruits et légumes soient fausses. Donc, il est encore raisonnable, pour d'autres motifs de santé aussi, de continuer à encourager des diètes pauvres en matières grasses et équilibrées dans ce sens. Faut-il adjoindre à sa diète un inhibiteur de la cyclooxygénase-2, ou simplement de l'aspirine ou un autre anti-inflammatoire non stéroïdien, du calcium ou de l'acide folique ? La conclusion de la revue de Janne51 est qu'il faut attendre les résultats d'études en cours, malgré les indications prometteuses des études récemment publiées.
L'étude NSABP (National Surgical Adju-
vant Breast and Bowel Project) R-0252 nous montre que l'addition de la radiothérapie pelvienne dans les cancers du rectum Dukes B et C réduit le risque d' incidence cumulée de récidive loco-régionale de 13% à 8% à 5 ans, p Il n'y a pas d'effet de ce traitement loco-régional sur la survie des patients, qui est améliorée par la chimiothérapie adjuvante. Les associations de chimio-radiothérapie, souvent préopératoires, sont le standard actuel dans le traitement du cancer du rectum. Mais rappelons que pour ce traitement la qualité de la chirurgie joue un rôle essentiel53 et qu'il n'est pas exclu que la radiothérapie ne soit, pour être provocateurs, qu'un moyen de réparer une mauvaise technique chirurgicale.
Le suivi des patients traités pour un carcinome colorectal suit, en Suisse, des directives des diverses sociétés de la discipline. Notons dans ce cadre qu'un article a montré le rôle essentiel de la colonoscopie par rapport à des lavements barytés en double-contraste. Imperiale et coll. et Lieberman et coll.54,55 montrent l'importance de cette technique dans la détection précoce de tumeurs colorectales, et l'on se demande, avec les données à disposition, s'il faut encore attendre les résultats des grandes études en cours pour organiser des campagnes de détection précoce du cancer colorectal.
Un des éléments les plus importants dans la pratique oncologique courante a été la publication des travaux divers qui ont établi l'importance des associations de médicaments dans le traitement du carcinome du côlon métastati-
que.57,58,59,60 Cette publication et les diverses autorisations gouvernementales font que le clinicien se doit actuellement de discuter avec ses patients l'option d'emploi d'irinotécan ou d'oxaliplatine en adjonction au 5-fluorouracile lors du traitement d'une maladie métastatique. Des études en cours permettront de savoir s'il ne faut pas envisager une «trithérapie», mais malheureusement nous resterons encore en discussion sur la meilleure méthode d'employer le 5-fluorouracile, un produit connu depuis 40 ans. Et nous ne sommes pas non plus près d'employer des indicateurs biologiques qui permettent de définir le meilleur traitement pour un patient donné.61
Le carcinome pulmonaire reste un domaine où les progrès sont désespérément lents. Nous attendons la publication des données de Depierre (et celles de Mattsson) qui confirment le rôle important de la chimiothérapie préopératoire, mais en attendant nous sommes obligés de lire un article qui indique l'inutilité d'une ancienne chimiothérapie (mise au point à la fin des années 1980) comme traitement post-
opératoire du cancer du poumon, sans pouvoir encore l'intégrer dans la revue de Paesmans (non publiée) qui donnerait des résultats plus encourageants. Notons que cet article de Keller et coll.,62 bien que paru dans un prestigieux journal américain, souffre de nombreux défauts, dont le moindre n'est pas que la moitié des chirurgiens impliqués n'a opéré qu'un seul patient et que cent vingt et un centres ont contribué avec un total de 488 patients en sept ans de recrutement, laissant planer des doutes sérieux sur la méthodologie de l'étude.
Si la situation du traitement postopératoire reste confuse, le choix du traitement de la ma-
ladie métastatique est caractérisé par une profusion de régimes divers, sans qu'il soit possible actuellement de choisir le ou les meilleurs.63 Le coût de ces régimes doit aider le clinicien dans le choix, mais il faut intégrer au coût du médicament le coût de tout ce qui fait le traitement, calculs complexes qui dépendent de facteurs loco-régionaux. Et en plus du coût, certains traitements semblent, à efficacité égale, mieux tolérés par les malades, élément essentiel dans une situation palliative.64
Un total de 373 patients souffrant de carcinomes pulmonaires métastatiques non petites-cellules ont reçu du docétaxel 100 mg/m2 ou
75 mg/m2, soit la vinorelbine ou l'ifosfamide.65 Cette étude cherchait à établir quel choix était le meilleur en deuxième ligne thérapeutique, après échec d'une chimiothérapie comportant du platine en première ligne thérapeutique. Le résultat statistiquement indiscutable a conduit à proposer le docétaxel comme agent de premier choix dans ces conditions. Est-ce correct ? Formellement oui, mais pratiquement ? Le clinicien se doit de lire le document source, de discuter avec son patient et d'arriver à un choix raisonnable, tenant compte des études qui montrent que chez les patients dont l'état général est bon, le traitement par docétaxel est supérieur à l'absence de traitement, même en termes de qualité de vie.66,67 On souhaite vivement que des traitements moins toxiques puissent être proposés en deuxième ligne, en espérant que le docétaxel fasse plutôt ses preuves en première ligne thérapeutique ou en néoadjuvant ou adjuvant, parmi la multitude d'agents plus ou moins actifs dans ce type de cancer.
Les Britanniques n'ont pas une grande réputation «d'agressivité» dans l'emploi des chimiothérapies. Il est donc remarquable de constater qu'ils ont évalué des traitements intensifiés dans le traitement du carcinome pulmonaire à petites cellules. Ils ont montré que l'emploi de facteurs de croissance hématopoïétique permettait de faire passer le cap du traitement intensifié avec en fait moins de complications qu'avec le traitement standard, et sans perte en qualité de vie.
A douze mois de suivi, puis à vingt-quatre mois, sur les 431 patients entrés dans l'étude, 47% (puis 13%) des patients traités par le régime intensifié étaient en vie contre 39% (puis 8%) de ceux traités de manière plus conventionnelle.68
Enfin, l'article de A. Hugli et coll. confirme le grand intérêt d'une radiothérapie accélérée à dose modérée, donnée très tôt en combinaison avec la chimiothérapie dans le traitement du carcinome pulmonaire à petites cellules à extension limitée.69
Le groupe américain promoteur de l'emploi de l'interféron alpha comme traitement adjuvant continue à rapporter des résultats positifs70 qui n'ont pas encore convaincu les autres groupes coopérateurs. La toxicité du traitement est importante, et ces résultats positifs ne doivent pas faire oublier les résultats négatifs d'autres études, résultats négatifs éventuellement dus à une mauvaise utilisation du produit.71 Le traitement de la maladie métastatique, en dehors d'approches encore expérimentales, reste confiné à certains agents chimiothérapeutiques et peut-être à l'emploi de l'histamine72 avec l'interleukine 2.
La population mondiale vieillit et dans vingt ans le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans souffrant d'un cancer sera deux fois plus important dans les pays en voie de développement que dans les pays riches. D'ici là, les choix seront de plus en plus complexes. Mais pour faire de bons choix il faut de bonnes données de base, et c'est cela qui fait encore défaut. Comment adapter le traitement aux caractéristiques de co-morbidité des personnes âgées ? Et comment nous débarrasser d'idées préconçues selon lesquelles on peut sans autre procéder à une prothèse de hanche, mais que l'on hésite à faire une tumorectomie mammaire ? Une revue portant sur 34 914 patients inclus dans vingt-huit études indique à nouveau le risque de l'opération en urgence pour cancer du côlon et permet de confirmer que dans certaines conditions (impossibles à préciser dans les limites de cette revue), une intervention pour cancer du côlon peut et doit se faire malgré la comorbidité présente.73
Dans le traitement des personnes âgées atteintes de carcinomes pulmonaires, les Italiens continuent leurs études, sur la base de la démonstration initiale de la supériorité de la vinorelbine sur le traitement de support seul. Ils nous montrent dans des données préliminaires que l'association de la gemcitabine à la vinorelbine peut améliorer les résultats, tout en évitant de diminuer la qualité de vie des malades.74
Enfin, Extermann et coll. discutent des indications au traitement adjuvant du cancer du sein chez la personne âgée. Ils proposent qu'en tenant compte de trois niveaux différents de comorbidité, on peut même envisager, si les conditions de risque de rechute à cinq ans ou à dix ans le justifient, une chimiothérapie. Le praticien ne sera donc pas étonné si l'oncologue lui semble parfois trop «enthousiaste» dans la proposition d'un traitement complémentaire à la chirurgie.75
Nous laissons ce chapitre à d'autres collègues, qui décriront les progrès de l'année écoulée. Mais il importe de souligner, même ici, que le traitement de la leucémie myéloïde chronique subit une révolution avec l'introduction du STI-571, un agent qui inhibe spécifiquement l'un des mécanismes moléculaires impliqués dans cette maladie.76,77 L'effet de ce produit sur des cellules dépendant de l'activité tyrosine kinase du récepteur c-kit78 ouvre aussi des perspectives pour le traitement d'autres tumeurs (dont certains sarcomes), et des données seront présentées en mai à la Société américaine d'oncologie clinique.
L'un des problèmes pratiques pour l'oncologue et le médecin traitant des patients sous chimiothérapie est la fièvre en cas de neutropénie. Les recommandations classiques sont d'hospitaliser le patient, mais cette attitude est battue en brèche par différents groupes. L'une des dernières publications à ce sujet permet d'aider le praticien. L'absence de symptômes généraux hormis la fièvre, l'absence d'hypotension, l'absence de pneumopathie sévère de base, une tumeur solide à la base, l'absence de déshydratation et un âge de moins de 60 ans sont des facteurs favorables à un traitement ambulatoire. Hélas, le nomogramme établi par les auteurs n'est pas d'utilisation aussi simple qu'on le voudrait.79
Il est certain que de nombreuses contributions n'ont pas été mentionnées, mais nous espérons avoir discuté celles qui peuvent influencer le plus la pratique quotidienne dans l'immédiat. Comme d'habitude, les Américains s'enthousiasment, non pas pour un président qui est encore incertain au moment où nous écrivons ces lignes, mais pour la dernière des nouveautés, et probablement celle qui sera encore actuelle en 2001, le ZD-1839 (Iressa®), un inhibiteur de la tyrosine-kinase dépendante du récepteur au facteur de croissance épidermique.80