Trois domaines des acquisitions thérapeutiques de l'année 2000 en pneumologie sont discutés dans cette revue : l'utilisation de la bupropione dans le sevrage du tabagisme, de l'iloprost dans le traitement de l'hypertension pulmonaire et, enfin, d'un anticorps anti-IgE dans celui de l'asthme allergique de gravité moyenne à forte.
Bien que du point de vue strictement assécurologique les moyens visant à l'abstinence tabagique soient encore considérés comme une prophylaxie, il s'agit d'une mesure dont le rapport coût-efficacité est parmi les plus favorables dans le domaine de la santé publique.1 A côté des dispositifs de nicotine disponibles et éprouvés depuis plusieurs années, un antidépresseur, la bupropione, a été introduit en décembre 1999 en Europe comme aide médicamenteuse au sevrage tabagique. La bupropione fait partie des antidépresseurs dits «atypiques» avec une activité à la fois dopaminergique et adrénergique. A ce jour cinq études à long terme ont été conduites avec ce médicament dans le but d'investiguer son efficacité dans le sevrage2,3,4 ou dans la rechute.5 L'analyse poolée des quatre premières publications donne un odds ratio de 2,73 (1,90-3,94) en faveur de la bupropione.4 Par ailleurs la bupropione s'est révélée plus efficace que les dispositifs transdermiques de nicotine3 et l'association bupropione plus «patch» supérieure aux patchs en monothérapie. Les observations glanées lors de ces études à large échelle montrent également que la bupropione a une efficacité qui est indépendante de l'humeur ou de l'éventuel état dépressif du fumeur en cours de sevrage. En d'autres termes, son action ne paraît pas directement liée à son effet sur la thymie. Cependant d'autres médicaments antidépresseurs ont également été investigués dans le contexte du sevrage tabagique : en particulier la nortriptyline, un tricyclique avec une efficacité dans deux études à large échelle. La méthodologie différente de ces travaux ne permet pas de formuler une comparaison des efficacités respectives de la bupropione et de la nortriptyline.
Comment intégrer ces données dans la prise en charge du patient désireux d'arrêter de fumer ? Il a été amplement démontré que l'arrêt du tabagisme, sans aucune mesure d'accompagnement a un taux de succès de l'ordre de 2-5%. L'association de thérapies de soutien comportementales, de substituts de nicotine, et maintenant de certains antidépresseurs, peut augmenter ce pourcentage à 25-30%. Il est certain que toutes les mesures ne peuvent être appliquées indistinctement à chaque fumeur et que la stratégie de sevrage est à adapter en fonction des préférences du patient, de son degré de dépendance, et des éventuels effets secondaires.6
Une autre approche, novatrice, consiste en l'élaboration d'une immunisation contre la nicotine, à l'aide d'une molécule vectrice ou adjuvante, la nicotine elle-même étant incapable de générer une réponse immunitaire. La démarche en est actuellement au stade de l'expérimentation animale.7 Le principe escompté est une neutralisation «in situ» de la nicotine et par conséquent de son action cérébrale ; fumer n'aurait alors plus aucun effet stimulant ni addictif. Plus encore que pour d'autres thérapies, le passage de l'expérimentation animale aux essais cliniques sera décisif pour juger de la validité de cette approche.
L'année écoulée a apporté plusieurs progrès dans le domaine de l'hypertension pulmonaire. Tout d'abord une mutation d'un gène lié à l'hypertension familiale et aussi à certains cas isolés d'hypertension primaire a été identifiée. Il s'agit du récepteur de type II de la bone morphogenetic protein.8 La voie de signalisation de ce récepteur est étroitement liée à celle du transforming growth factor-b. Comme chaque fois en pareil cas, il est espéré que cette découverte aboutira à de nouveaux traitements bien que l'expérience nous ait appris que le délai entre une découverte au niveau génétique et une application thérapeutique pouvait être très variable.
Dans cette attente, ce sont la prostacycline et ses analogues qui ont fait l'objet des résultats les plus prometteurs pour le traitement de cette affection. Dans une étude multicentrique
d'envergure, Badesch et coll. ont démontré que l'efficacité d'une perfusion continue de prostacycline (appelée aussi époprosténol), déjà établie pour l'hypertension artérielle pulmonaire primitive, s'appliquait aussi à l'hypertension secondaire, en l'occurrence l'hypertension associée à la sclérodermie.9 Le groupe traité par prostacycline avait après douze semaines de traitement une pression moyenne inférieure de 6 mmHg par rapport au groupe contrôle et franchissait 108 mètres de plus lors du test de marche de six minutes.
Approuvé comme traitement de l'hypertension artérielle pulmonaire primitive sévère aux Etats-Unis et dans quelques pays européens (mais pas en Suisse), l'administration intraveineuse continue de prostacycline pose des problèmes considérables de coûts et de logistique et est grevée d'effets secondaires sévères liés au cathéter intraveineux tels que sepsis ou pneumothorax. L'administration sous forme inhalée d'un analogue de la prostacycline, l'iloprost, dont la demi-vie biologique est légèrement plus longue, est une autre option en cours d'évaluation. Dans une étude sans groupe contrôle, 100-150 mg d'iloprost ont été administrés pendant douze mois chez vingt-quatre patients atteints d'hypertension primitive. La pression pulmonaire moyenne a baissé de 7 mmHg après traitement alors que la distance de marche en six minutes augmentait de 85 mètres.10 Dans une autre étude non contrôlée, le traitement par iloprost en inhalation de dix-neuf patients atteints d'hypertension terminale a permis une amélioration de la classe de dyspnée NYHA ainsi
qu'une amélioration hémodynamique dans la plupart des cas.11 Une étude contrôlée multicentrique européenne est actuellement en cours et devrait permettre de juger de l'efficacité, sur une période de trois mois, des aérosols d'iloprost pour les formes primitives et secondaires d'hypertension pulmonaire.
Les antagonistes des récepteurs de l'endothéline-1 sont une autre option thérapeutique qui commence a être étudiée au stade clinique. Le bosentan, un antagoniste mixte des récepteurs A et B de l'endothéline-1 a été évalué en phase aiguë chez sept patientes avec hypertension primitive.12 Si l'effet sur la résistance vasculaire pulmonaire a été tout à fait net (20%), l'étude hémodynamique a révélé que l'administration de cet antagoniste entraînait également une chute de la pression moyenne systémique de l'ordre de 20%, ce qui risque évidemment de limiter son application clinique dans cette indication.
Les vingt dernières années ont vu apparaître des progrès considérables dans le traitement pharmacologique de l'asthme : généralisation des corticostéroïdes inhalés comme traitement d'entretien, introduction des bêta-2 agonistes de longue durée d'action et, finalement, apparition avec les antileucotriènes d'un nouveau médicament d'appoint. C'est dans ce contexte que se développe aujourd'hui un principe thérapeutique nouveau : l'injection régulière d'un anticorps monoclonal dirigé contre l'ensemble des IgE circulantes. Le premier produit de ce type, le rhuMAb-E25 (pour recombinant human Monoclonal Antibody-E25) a été mis au point par Genentech aux Etats-Unis et sa commercialisation prise en main par Novartis sous le nom de Xolair®. Il devrait être disponible sur le marché suisse en 2001. Il s'agit d'un anticorps humanisé dirigé contre la partie de la molécule d'IgE qui se lie spécifiquement au récepteur que l'on trouve à la surface des mastocytes et des basophiles (récepteur aux IgE dit de haute affinité ou FceRI-récepteur). Cet anticorps E25 a une série de propriétés qui expliquent son efficacité.13 Premièrement, le E25 se lie à toutes les IgE circulantes avec une forte affinité. Les complexes E25-IgE ainsi formés sont éliminés par le système réticulo-endothélial. La diminution des IgE circulantes ainsi obtenue entraîne une diminution de l'expression des récepteurs par les mastocytes et les basophiles. Deuxièmement, l'anticorps E25 ne se lie pas aux IgE qui se sont déjà fixées sur les récepteurs des mastocytes, évitant de ce fait d'amplifier la libération des médiateurs de l'inflammation. Troisièmement, enfin, le E25 se fixe sur les IgE liées à la membrane des lymphocytes B, diminuant ainsi la production de ces mêmes IgE. Une autre bonne surprise devait apparaître lors des premiers essais cliniques effectués chez des patients asthmatiques lors de test de provocation avec des antigènes spécifiques : non seulement la réponse aiguë attribuable à la dégranulation mastocytaire était atténuée, mais également la réaction tardive qui survient six à huit heures plus tard. Il semble donc que l'anticorps E25 empêche aussi la stimulation par les IgE des lymphocytes T et des macrophages, c'est-à-dire des acteurs de la phase tardive de la réaction asthmatique.
Quatre grands essais cliniques randomisés et contrôlés contre placebo, portant sur plusieurs mois, ont déjà été réalisés. Le premier d'entre eux a été publié à la fin de 1999.14 Il consistait en l'injection de l'anticorps E25 par voie intraveineuse toutes les deux semaines. Les trois essais cliniques suivants ont été faits par application sous-cutanée à intervalle de deux à quatre semaines et l'un d'eux a été publié en partie sous forme d'abstract.15 Le dessein de ces études et les résultats sont assez semblables. Tout d'abord, ils s'adressent à des asthmatiques allergiques de degré moyen à sévère, qui sont dépendants en permanence d'une prise de corticostéroïdes par inhalation. Dans une première phase de quatre mois, dite de stabilisation, le traitement par E25 est ajouté sans modification du traitement de fond. Dans une deuxième phase, dite d'épargne stéroïdienne, les stéroïdes inhalés sont progressivement diminués pour atteindre la plus petite dose nécessaire au contrôle de l'asthme. Les résultats montrent que le nombre d'exacerbations est en moyenne de moitié plus bas dans le groupe traité par E25 que dans le groupe placebo, aussi bien dans la phase de stabilisation que dans celle d'épargne stéroïdienne. De plus, la diminution des stéroïdes est plus importante, en moyenne, chez les patients traités par E25. Il n'est pas apparu
d'effets secondaires du traitement, mis à part des réactions urticariennes chez un petit nom-
bre de patients lors de la première injection. En particulier, aucune maladie sérique ni atteinte rénale n'a pu être détectée. La diminution du taux d'IgE circulantes est spectaculaire. On pourrait craindre, en principe, que ce traitement diminue l'immunité face aux maladies parasitaires, mais ceci n'a pas été confirmé dans des modèles animaux.
Un certain nombre de questions restent évidemment ouvertes :16 les patients devront-ils être traités indéfiniment ou, au contraire, leur production excessive d'IgE va-t-elle progressivement diminuer et nécessiter de moins en moins d'injections d'anticorps E25 ? Même si cela devait être le cas, il s'agira de toute manière d'un traitement de longue durée et une vigilance particulière devra être exercée sur d'éventuels effets secondaires à long terme.
Actuellement, les essais cliniques ont été limités aux asthmes allergiques, c'est-à-dire aux patients qui ont des tests cutanés positifs pour des allergènes pertinents à leur problème. De plus, les asthmatiques qui présentent des taux d'IgE très élevés (> 700 UI/ml) ont été exclus des études de peur de devoir leur administrer des doses élevées d'anticorps. Finalement, il n'est pas exclu que les asthmatiques dits «non allergiques» ne bénéficient pas eux aussi de ce traitement dans la mesure où une production anormalement élevée d'IgE non circulantes, mais limitées aux voies respiratoires, pourrait contribuer chez eux à la pathogenèse de l'asthme.16 On le voit, le traitement de l'asthme par anticorps anti-IgE n'en est qu'à ses débuts et va poser un nombre élevé de questions fascinantes. Il faut espérer aussi qu'il contribuera à les résoudre.