On ne compte plus, depuis le début de la crise de la vache folle, le nombre d'initiatives prises pour tenter de rassurer les consommateurs inquiets quant au risque qu'il y aurait aujourd'hui à redevenir carnivore. Ces opérations de séduction gastronomique, à visée clairement commerciale, consistent le plus souvent à offrir de la viande bovine généralement présentée sous forme de brochettes ou d'entrecôtes. A l'heure où nous écrivons ces lignes, des éleveurs espagnols de bovins distribuent gratuitement 2500 kg de viande lors d'une manifestation d'environ 2000 personnes devant le ministère de l'Agriculture, à Madrid. Ces éleveurs réclament des mesures compensatoires après la chute de la consommation due à la découverte des deux premiers cas officiellement recensés d'ESB dans la région de Galice. Equipés de grils, les éleveurs ont distribué des sandwichs chauds avec leur viande mais aussi des steaks emballés aux passants qui se pressaient pour obtenir cette nourriture carnée gratuite. «Notre viande est saine», «N'ayez pas peur», pouvait-on lire sur les banderoles. Des éleveurs ont notamment exigé une indemnisation du gouvernement pour les pertes du secteur en affirmant : «La consommation est presque nulle et ce n'est pas de notre faute».
Il y a quelques semaines près de 3000 agriculteurs et représentants de l'ensemble de la filière bovine manifestaient à Caen pour réclamer un plan d'aide d'urgence à la filière. Eleveurs, abatteurs, employés des abattoirs et négociants de Haute et de Basse-Normandie réclamaient eux aussi des mesures d'urgence destinées à soutenir les cours du marché du buf et des mesures d'accompagnement pour les éleveurs touchés par la crise de la vache folle. Les manifestants qui défilaient avec plusieurs bovins, ont placé des tracteurs et des semi-remorques devant la préfecture de région. Des autocollants où l'on pouvait lire «Du buf ? Oui, j'en mange !», ont été collés un peu partout dans la ville afin de promouvoir la viande bovine auprès des consommateurs.
La crise s'installant dans la durée et le marasme grossissant, il est vraisemblable que ce type de manifestation ira se multipliant. A Paris, on a changé de dimension avec la première manifestation nationale, organisée dimanche 10 décembre, dans le jardin du Luxembourg, par la Fédération de la boucherie de Paris et de l'Ile-de-France. L'affaire se voulait gustative, spectaculaire autant que pédagogique qui vit «trois bufs entiers rôtis à la broche» à proximité du Jeu-de-paume, non loin des célèbres tennis du paradis bucolique du VIe arrondissement de Paris. Face au Sénat, embrochées sur trois lits de charbon de bois et sous la férule d'un maître-rôtisseur, une limousine, une charolaise et une blonde d'Aquitaine ont commencé à cuire dans les règles de l'art dès le crépuscule du 9 décembre. Dix-sept heures plus tard, fumantes, elles commençaient à être découpées et servies gratuitement à tous les amateurs par 200 bouchers en tenue.
«Il était grand temps que nous prenions l'initiative, expliquent les organisateurs de ce méchoui tricolore sans précédent. La très grande majorité des consommateurs ne se renseignent pas sur la vache folle auprès des éleveurs ou des fabricants d'aliments pour bovins mais bien chez les artisans bouchers. Ce sont bien eux qui jouent un rôle fondamental de conseil, un peu à l'image du médecin ou du pharmacien.» Les «professionnels de la viande bouchère», eux qui n'utilisent que «des races à viandes» rappellent à cette occasion qu'ils appliquent depuis toujours ces règles d'or que sont, pour eux comme pour tous les métiers de bouche, «la sécurité alimentaire, la chaîne du froid, la traçabilité et l'étiquetage.»
Pour réussir là où toutes les campagnes de communication du gouvernement ou de la grande distribution ont échoué, la fédération de la boucherie a fait appel à différents spécialistes du Centre français d'information des viandes, des abattoirs ainsi qu'à des éleveurs. Annoncés sur le programme officiel, les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments ont préféré décliner l'invitation, soucieux de ne pas cautionner une entreprise certes sympathique mais qui ne correspond nullement aux missions de cet organisme en charge de l'évaluation du risque lié au prion pathologique et non de redonner confiance au consommateur.
Pour mieux attirer la grande foule, les bouchers parisiens ont, ces derniers jours, adressé aux médias divers dépliants annonçant l'événement sous forme de morceaux de viande de buf. Soucieux de respecter les règles élémentaires d'hygiène, ils avaient demandé à leurs apprentis de mettre cette viande sous vide avant de les mettre en circulation. Et soucieux de respecter les dernières dispositions réglementaires en vigueur, les professionnels de la découpe ont pris soin, dans le jardin du Luxembourg, de ne pas offrir aux consommateurs, qu'ils soient ou non inquiets, des pièces de viande au contact d'éléments vertébraux.J.-Y. Nau