Dès 1996 apparaissent les trithérapies antirétrovirales qui ont diminué de manière drastique la morbidité et la mortalité liées à l'infection VIH dans les pays industrialisés.1,2
Par la suite, en 1998, on note l'avènement des traitements simplifiés dont les résultats apparaissent aujourd'hui prometteurs.3,4
Toutefois, l'an 2000 nous révèle qu'il ne sera pas possible d'éradiquer le virus. En effet, les cellules T à mémoire sont le réservoir de l'infection VIH, et il continue à se renouveler même lorsque le patient bénéficie d'une trithérapie antirétrovirale efficace.5
De plus, les trithérapies antirétrovirales
s'avèrent être des traitements grevés de nombreux effets indésirables, plus fréquents que prévus, qui conduisent à nuancer le moment de
l'initiation au traitement.
En conséquence, l'intérêt se porte vers de nouvelles stratégies thérapeutiques dont le but est de stimuler l'immunité du patient, de diminuer les coûts et les effets secondaires. Il s'agit des traitements intermittents et de l'immunothérapie.
Quelles sont les nouvelles recommandations de traitements ? Quels sont les effets secondaires préoccupants des traitements antirétroviraux ? Quelles stratégies thérapeutiques adopter en cas d'échec virologique ? Quels sont les résultats des traitements simplifiés et des interruptions de traitements ?
Le but de cet article est de tenter de faire le point sur ces différents sujets à la lumière des congrès récents (7th Conference on Retroviru-
ses and Opportunistic Infections ; San Francisco février 2000, XIIIe Conférence mondiale sur le Sida, Durban, juillet 2000 ; 40th Interscience Conference on Antimicrobial Agents and Chemotherapy, Toronto septembre 2000), ainsi que des publications importantes qui ont jalonné l'année 2000.
Chez les patients asymptomatiques, les recommandations actuelles tiennent compte de nouvelles données qui nous incitent à débuter plus tardivement le traitement qu'auparavant. En effet, l'éradication ne paraît pas possible avec les traitements anti-rétroviraux actuels et la restauration immunitaire est envisageable même lorsque que le taux de CD4 a beaucoup diminué. De plus, la toxicité à court terme et à long terme des antirétroviraux est un sujet très préoccupant (toxicité mitochondriale, hépatotoxicité, troubles dysmorphiques, troubles métaboliques, possibles complications cardiovasculaires).
En Suisse, les nouvelles recommandations viennent d'être établies, elles sont résumées dans le tableau 1.
Le traitement antirétroviral initial doit avoir pour objectif la réduction de la charge virale plasmatique au niveau le plus bas possible, afin de rendre le plus longtemps possible la virémie «indétectable» par les tests de mesure très sensibles. Pour atteindre cet objectif et limiter le risque d'émergence de résistance du VIH aux antirétroviraux, il est nécessaire d'associer plusieurs molécules antirétrovirales.
Actuellement, il existe en Suisse une quinzaine d'antirétroviraux à disposition (tableau 2). Les essais thérapeutiques et l'expérience clinique nous conduisent à recommander une association de deux inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase (INRT) et d'un inhibiteur de protéase (IP) avec comme alternative une trithérapie initiale comportant deux INRT et un inhibiteur non nucléosidique de la reverse transcriptase (INNRT).6
Le schéma thérapeutique avec IP pose plusieurs problèmes. En premier lieu, les patients éprouvent de la difficulté à adhérer au traitement en raison du nombre important de comprimés et de la complexité de la posologie. D'autre part, les problèmes pharmacocinétiques et de toxicité à long terme ne font pas de ce type de trithérapie le traitement idéal pour contrôler la réplication du VIH de façon prolongée. C'est pourquoi l'utilisation en première intention d'une trithérapie avec INNRT constitue une réelle alternative à une trithérapie avec IP.3
Depuis 1998, de nouveaux effets indésirables imputables aux traitements anti-rétroviraux ont été décrits : la lipodystrophie (LD)7 et plus récemment la lipo-atrophie. En ce qui concerne la LD, il s'agit d'une répartition anormale des graisses associée à des troubles métaboliques tels que hyperglycémie, hypertriglycéridémie et hypercholestérolémie. La prévalence de la LD est d'environ 50% chez les patients traités depuis plus d'un an. Ces anomalies métaboliques initialement observées avec des traitements comportant des IP sont maintenant aussi décrites avec l'ensemble des associations thérapeutiques. En effet, la lipo-atrophie survient chez des patients qui ne reçoivent que des inhibiteurs de la reverse transcriptase et s'associe à une acidose lactique et à une atteinte hépatique.8 La physiopathologie de ce syndrome est encore controversée, mais il semble que les INRT aient une toxicité mitochondriale qui induit ces anomalies.9 Plusieurs études indiquent que certains INRT (d4T, ddI) sont fréquemment associés à cette toxicité mitochondriale.10 Ces effets indésirables entraînent un risque de non-adhésion au traitement, au détriment de son efficacité. Ces données sont résumées dans le tableau 3.
Les anomalies du bilan lipidique suscitent de l'intérêt concernant l'augmentation de maladies cardiovasculaires. Heureusement, les études analysant les répercussions vasculaires des IP n'ont pas permis de mettre en évidence, à court terme, un effet athérogène des IP ni une incidence augmentée d'ischémie myocardique. Enfin, une étude américaine (portant sur 4500 patients ayant un suivi moyen de 2,6 personnes-année) n'a pas permis d'objectiver une augmentation du risque de maladies coronariennes.11 Mais ceci n'exclut pas une toxicité à plus long terme.
En résumé, plus de 50% des patients traités par antirétroviraux présentent à des degrés divers des lipodystrophies. Les modifications thérapeutiques n'entraînent pas de régression spectaculaire des anomalies cliniques. Il est donc recommandé de procéder à un bilan lipidique et glucidique avant et après instauration du traitement antirétroviral, de rechercher et de traiter les facteurs de risque cardiovasculaires.
D'autres effets indésirables inattendus ont été décrits ces derniers mois : ostéonécrose des articulations, ostéopénie.12 Cependant, la relation causale avec les IP reste à prouver.
L'échec virologique est défini par la persistance d'une charge virale détectable (> 50 copies/
ml) à vingt-quatre semaines de traitement ou par la réapparition d'une charge virale détectable après une phase d'indétectabilité (rebond). Quatre-vingt-onze pour cent des patients naïfs de traitement atteignent une charge virale indétectable (13 Les stratégies à adopter en cas d'échec virologique sont les suivantes :
Modifications du traitement
I Au moins trois nouvelles substances auxquelles on ne suppose pas de résistance ;
I addition d'au moins une nouvelle classe de médicaments.
Parmi les nouvelles substances à disposition, une nouvelle combinaison d'antiprotéases (lopinavir/ritonavir) semble très prometteuse. Son association avec l'efavirenz a montré de bons résultats chez les patients ayant déjà subi plusieurs échecs d'antiprotéases.14
Analyses des résistances aux anti-rétroviraux
I Par la mesure génotypique (séquençage du génome viral) ;
I par la mesure phénotypique qui correspond à «l'antibiogramme viral».
L'utilité de ces mesures en clinique reste très controversée, notamment au vu d'études récentes qui ne montrent pas d'avantage particulier, en termes de succès thérapeutique, des analyses génotypiques ou phénotypiques par rapport au standard of care.15
Dosages pharmacologiques
Le dosage des inhibiteurs de protéases, en raison de leur grande variabilité pharmacologique inter-individuelle et des nombreuses interactions avec d'autres médicaments, apporte des informations importantes. Les résultats de ces dosages permettent une adaptation des posologies afin d'optimaliser le traitement. Cependant, des études prospectives et contrôlées sont nécessaires pour confirmer ces hypothèses.
Les premières études portant sur les traitements simplifiés ont débuté il y a deux ans. Elles étaient destinées à des patients ayant une excellente réponse virologique sous trithérapie classique et avaient pour but de restreindre les effets secondaires et les astreintes liés à ces traitements antirétroviraux complexes.
Les résultats à quarante-huit semaines de l'étude suisse SMT4 (simplified maintenance therapy) qui teste une simplification de la trithérapie avec IP par une trithérapie sans IP (avec trois INRT), sont très prometteurs. En effet, le traitement simplifié par Trizivir® (2 x 1 cp/j comprenant 300 mg d'abacavir + 300 mg d'AZT + 150 mg de 3-TC par comprimé) améliore l'observance et abaisse les taux sanguins lipidiques (par rapport au groupe contrôle). L'efficacité du traitement simplifié est néanmoins un peu moins bonne que le traitement à base d'IP. Il semble que ce soit le traitement préalable qui fasse la différence. En effet, dans cette étude, c'est chez les patients qui avaient reçu auparavant de l'AZT sans traitement concomitant d'IP que le taux d'échecs virologiques était plus élevé (29% versus 11,1% dans le groupe poursuite de la trithérapie).
Une autre stratégie visant d'une part à atténuer les effets toxiques et les coûts des trithérapies et d'autre part à promulguer la réponse immune, est représentée par les traitements intermittents. Les hypothèses avancées par les auteurs des études, portant sur les interruptions structurées de traitement, sont basées sur le fait que des cycles courts d'interruption et de reprise de traitement vont stimuler la réponse immune VIH-spécifique et donc pourraient permettre au patient de maintenir une charge virale basse sans traitement.
La plus grande étude d'interruption de traitement en cours actuellement est conduite par les centres de Genève et Barcelone.16 Elle porte sur 128 patients dont 55 ont atteint la semaine 40 qui correspond à l'arrêt définitif du traitement. La plupart de ces patients avaient les critères virologiques pour reprendre leur trithérapie préalable. Seuls neuf patients ont une charge virale inférieure à 5000 copies/ml qui leur permet de rester sans traitement.
Ces résultats confirment les hypothèses suggérées récemment concernant l'impossibilité d'éradiquer le virus en raison de sa quiescence au niveau des lymphocytes T à mémoire qui représentent le réservoir de l'infection VIH.5
Les limites thérapeutiques des traitements antirétroviraux au long cours, ainsi que leur capacité à induire des phénomènes de toxicité relancent la nécessité de traitements associés, qui utiliseraient une approche complémentaire. C'est pourquoi l'association des traitements antirétroviraux à des stratégies d'immunothérapies spécifiques (vaccination), ou non spécifiques (interleukine-2, GM-CSF), constituera sans aucun doute une étape nouvelle dans la prise en charge des personnes atteintes.17,18,19
Les avancées thérapeutiques survenues ces dernières années ont transformé l'infection VIH en une maladie chronique, dans les pays industrialisés du moins. Cependant, les effets indésirables multiples et les contraintes des trithérapies ont suscité de l'intérêt pour les traitements simplifiés ou intermittents dont les premiers résultats sont prometteurs. Malheu-
reusement, il apparaît qu'actuellement l'éradication du virus est impossible même sous traitement antirétroviral efficace et, par conséquent, le développement de traitements complémentaires, tels que l'immunothérapie, semble primordial.
Les travaux de recherche à venir devront se focaliser sur l'amélioration de l'observance thérapeutique (avec des traitements simplifiés, en une ou deux prises par jour), sur l'atténuation des effets secondaires (thérapies épargnant les IP, interruptions structurées de traitement) et sur les thérapies complémentaires visant à stimuler la réponse immune (vaccination, immunothérapie non spécifique).
Cependant, les immenses progrès constatés dans la prise en charge et le suivi des patients VIH-positifs ne doivent pas faire oublier que 95% des personnes infectées vivent dans les pays en voie de développement, où la problématique de l'accès aux traitements est loin d'être résolue. W