En cancérologie colorectale, le recours à la technique du ganglion sentinelle n'a pas pour but de limiter les curages ganglionnaires. Il s'agit d'une part, comme en cas de mélanome malin et de cancer du sein, de focaliser la recherche de micrométastases sur les ganglions sentinelles, et d'autre part, d'identifier des trajets lymphatiques aberrants ou complémentaires conduisant à un ganglion qui serait laissé en place selon la technique chirurgicale conventionnelle. Certaines récidives locales pourraient être ainsi vraisemblablement prévenues. De plus, dans la mesure où la détection de micrométastases peut représenter un facteur pronostique, ce nouvel outil pourrait permettre de mieux sélectionner les candidats à un traitement adjuvant.
Avec l'introduction de nouvelles chimiothérapies dont l'efficacité est en passe d'être définitivement démontrée, il est de plus en plus nécessaire de déterminer quel patient peut bénéficier d'un traitement (néo)adjuvant. Ainsi pour Mamounas, des patients avec un cancer du côlon de stade Dukes B bénéficieraient d'une chimiothérapie adjuvante, que d'autres facteurs pronostiques soient présents ou pas.1 Dans ce contexte, de nouvelles études prospectives européennes (PETACC : Pan-European Trial for Adjuvant treatment of Colon Cancer) sont déjà en cours2 et, parmi les nouveaux médicaments, l'irinotecan est un traitement prometteur.3
Le traitement adjuvant du cancer colorectal repose essentiellement sur le stade TNM.4 Il est donc indispensable de parfaire la technique chirurgicale pour obtenir un curage ganglionnaire plus précis et prélever les ganglions dits apicaux-centraux.5 L'application de la technique du ganglion sentinelle peut y contribuer. La détection anatomopathologique des ganglions peut être améliorée grâce à l'utilisation des techniques de dissolution de la graisse qui permettent un upstaging non négligeable.6 La mise en évidence de micro-métastases par coupes sériées ou par immunohistochimie se heurte cependant à l'incertitude de leur signification clinique.7 La supériorité d'autres facteurs pronostiques par rapport à la classification TNM n'a jamais été démontrée. Quant à la chirurgie radio-immuno-guidée, elle a montré d'importantes limites.8
Par définition, le ganglion sentinelle est le premier relais drainant un territoire cutané ou un organe, donc le premier aussi à recevoir la lymphe provenant d'une tumeur ; il y a souvent plusieurs ganglions sentinelles pour une tumeur. Il a été très clairement démontré dans le mélanome malin et le cancer du sein que c'est ce ganglion sentinelle qui a la plus grande probabilité d'abriter des micro et/ou des macrométastases.9 Pour les patients atteints d'un mélanome ou d'un cancer du sein localement peu avancés, cette technique a complètement modifié l'approche des curages ganglionnaires ; elle a aussi permis une meilleure connaissance de leurs drainages lymphatiques respectifs. Quant à l'anatomie précise des lymphatiques du gros intestin, elle a fait l'objet de nombreux travaux,10 tel celui de Slanetz qui a observé 12% de skip metastases. Vu l'importance des réseaux lymphatiques et du status ganglionnaire pour le pronostic du cancer colorectal, il est naturellement apparu logique de leur appliquer le concept du ganglion sentinelle. Saha11 a été l'un des premiers à publier de telles observations, par la technique d'injection du bleu colloïdal. Dans sa dernière publication, il a retrouvé au moins un ganglion sentinelle chez 85 de 86 patients, sur un total de 1367 ganglions examinés. Dans ce travail, après exclusion de trois situations exceptionnelles, la spécificité est de 100% : le ganglion sentinelle négatif est prédictif de l'absence de métastases dans les autres ganglions. En outre, la technique du ganglion sentinelle permet un upstaging si l'on tient compte des micrométastases détectées uniquement par des examens spéciaux dirigés. Finalement, un drainage lymphatique inhabituel peut être repéré grâce à l'utilisation du bleu, ce qui fait modifier l'étendue de la résection colique. Ces résultats très optimistes ont été pondérés par d'autres auteurs.12,13,14 Quant au groupe de Morton,15 il a appliqué la technique du ganglion sentinelle à 65 patients, dont 50 atteints d'un cancer du gros intestin, 6 d'un carcinome de l'estomac, 5 d'un carcinome du pancréas et 4 d'un carcinoïde de l'intestin grêle. Dans leur étude, des ganglions sentinelles ont été repérés chez 62 patients, avec un taux d'identification de 94% pour les adénocarcinomes colorectaux. Dans leur observation, un upstaging a été démontré chez 20% des patients. Comme dans d'autres publications, des ganglions sentinelles ont aussi été repérés hors du territoire d'un curage ganglionnaire classique (5-10%). Dans ces cas, le curage a été étendu en conséquence et chez cinq patients, seuls ces ganglions sentinelles «ectopiques» se sont avérés être métastatiques !