La presse d'information générale ne pouvait pas ne pas y consacrer une large couverture. Et immanquablement, sur le thème «des scientifiques américains ont créé le premier singe génétiquement modifié», les couvertures de magazines et les écrans des téléviseurs racontèrent, avec le soutien actif de l'hebdomadaire américain Science autant qu'avec l'humour des biologistes aujourd'hui créateurs de mammifères génétiquement transformés, l'histoire d'ANDi, ce fils de l'équipe du Centre régional de recherche sur les primates de l'Université des sciences de la santé de l'Oregon (Portland). ANDi ? Ne voir là que le clin d'il, la référence à la technique de l'insertion de l'acide désoxyribonucléique. ANDi, star mondiale parce que doté d'un fragment artificiel prélevé auparavant sur un génome de méduse. ANDi qui a aujourd'hui trois mois et qui, puisqu'il faut bien ici croire ses créateurs «se porte très bien». «ANDi est très alerte et joue comme un enfant de son âge avec ses deux compagnons», se plaît à raconter aux journalistes Gerald Schatten, responsable de l'équipe américaine et qui publie dans Science (daté du 12 janvier) tous les détails techniques de cette première.
On apprend à cette occasion qu'ANDi n'est pas véritablement né sans mal et qu'il a fallu, pour qu'il puisse voir le jour, une hécatombe microscopique de gamètes et d'embryons. Schématiquement, les créateurs ont dû fabriquer un vecteur viral associé à un gène de la méduse qui fut injecté dans 224 ovules. Ces dernières, fécondées in vitro, permirent de produire 40 embryons qui furent portés par 20 mères. Au total, seules cinq gestations furent obtenues conduisant à trois singes rhésus mâles sains. Sur les trois nouveau-nés, ANDi était le seul à présenter la fameuse intégration génique que l'on voulait, à tout prix, réussir. L'ADN additionnel de méduse a été identifié, déterminé à partir de l'analyse de fragments d'ADN et d'ARN minutieusement prélevés dans les cellules de la joue et des cheveux ainsi qu'en étudiant le placenta et le cordon ombilical.
«Les vecteurs viraux étant programmés pour se fixer sur la surface des cellules, même lorsqu'ils sont rendus inactifs, le virus contenant le nouveau fragment d'ADN s'est rapidement attaché à l'extérieur de l'ovule de singe, explique Science. A mesure qu'il a franchi la surface de l'ovule pour atteindre l'intérieur, il a laissé derrière lui des molécules vectrices qui ont déposé le nouveau matériel génétique : un gène marqueur appelé GFP car il exprime une protéine verte fluorescente (green fluorescent protein) qui facilite sa détection». Un macaque devenu singe vert en somme. Reprenant une rhétorique aujourd'hui bien connue, les auteurs de cette première font valoir qu'elle «peut laisser espérer une longue lignée de primates spécialement créés pour la mise au point de traitements pour des maladies telles que le sida ou le cancer du sein». Les chercheurs expliquent aussi à qui veut l'entendre notamment chez les bailleurs de fonds publics ou privés que l'on pourrait tout aussi facilement introduire, par exemple, un des gènes impliqués dans la maladie d'Alzheimer pour accélérer les recherches sur un vaccin contre cette affection. «De cette façon, nous espérons combler le fossé scientifique existant entre les souris transgéniques et l'homme» annonce encore M. Schatten.
Combler le fossé séparant les souris transgéniques de l'homme encore génétiquement intact ? Bigre, rien moins que cela ! L'avenir thérapeutique humain inscrit dans celui du singe Rhésus, cette espèce du genre macaque (Macacus rhesus), dont le Grand Robert nous rappelle qu'il est de la taille d'un chien de chasse, qu'il a un pelage gris-jaune, une face cuivrée et des callosités rouge-vif
A moins qu'il ne faille passer aux grands humanoïdes si proches et si lointains de nous. Mais vers où ira-t-on si l'on en vient à humaniser génétiquement les singes anthropoïdes ? Depuis Vercors et ses formidables «animaux dénaturés», on connaît cette problématique et le vertige éthique. Vers quels rivages embarquons-nous, si nous acceptons des processus de création qui, pour combler on ne sait quel fossé, rapprocheront dangereusement l'homme des grands singes ? Les généticiens nous diront alors que leur science, précisément, permettra d'améliorer artificiellement un humain perçu comme définitivement trop naturel.
Pour prolonger le propos et poursuivre la réflexion on ne peut, sur ce thème, que proposer une délicieuse lecture, celle du «Voronoff» de Jean Réal (Editions Stock). Serge Voronoff, ce chirurgien qui, au début du siècle dernier, tenta avec succès dit-on des greffes de différents tissus et organes (dont des testicules) de singes sur des hommes. Voronoff qui aurait, avec la génétique moderne, sans doute fait des malheurs. Voronoff sur lequel nous reviendrons la semaine prochaine.