A la veille du dernier Noël du deuxième millénaire, l'Allemagne est brutalement, méchamment, entrée dans la tourmente de la vache folle. Ce grand pays qui, depuis des années, affirmait contre l'évidence ne pas héberger de prion pathologique sur son sol, paye bien cher aujourd'hui cette longue phase de déni, opinion publique et responsables politiques partagés entre une réelle psychose et de bien tardives surenchères sanitaires. Tout a réellement débuté avec l'annonce par les autorités sanitaires d'un cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, le troisième découvert, officiellement, en Allemagne, mais le premier dans ce Land qui produit environ 30% de la viande bovine du pays. Le test de dépistage avait été pratiqué par le laboratoire de Tuebingen, le seul du pays officiellement certifié par les autorités européennes. Le premier cas allemand d'ESB avait été diagnostiqué le 24 novembre 2000 sur une bête du Schleswig-Holstein (Nord). Un deuxième cas avait ensuite été diagnostiqué le 17 décembre 2000 sur une vache de l'Allgaeu, dans le sud de la Bavière, près de la frontière autrichienne.
Après la confirmation du cas bavarois, le ministère allemand de la Santé a demandé en urgence aux consommateurs de ne pas utiliser certains produits contenant de la viande à l'os «provenant d'animaux abattus avant le 1er octobre 2000». Tout en assurant qu'il s'agissait d'une mesure de précaution, la ministre de la Santé Andrea Fischer a demandé aux fabricants de certains types de saucisses de retirer leurs produits de la vente immédiatement. «Il nous faut éliminer tout risque réel», a-t-elle précisé à propos de l'ESB, ou maladie de la vache folle, dont trois cas ont été enregistrés en Allemagne. L'Institut fédéral pour la protection des consommateurs et de la médecine vétérinaire a pour sa part estimé que la consommation de tels produits pouvait constituer un risque pour la santé humaine.
Le même jour, une dirigeante écologiste allemande, Kerstin Mueller, a prôné la création d'un ministère de la Consommation pour faire pendant au ministère de l'Agriculture, accusé de défendre les intérêts du lobby agricole dans l'affaire de la vache folle. «Il n'est pas juste que les agriculteurs disposent d'une représentation de leurs intérêts au ministère alors que la protection des consommateurs est éclatée entre différentes autorités, a déclaré Kerstin Mueller, présidente du groupe écologiste au Bundestag dans le quotidien Bild. A long terme, un ministère pour la protection des consommateurs aurait plus de sens qu'un lobby d'agriculteurs jouissant du rang ministériel», a ajouté Kerstin Mueller.
Des experts allemands du secteur agricole et de la consommation avaient estimé récemment que les intérêts économiques des agriculteurs avaient primé sur le risque sanitaire dans la gestion du dossier de l'ESB. Le ministre SPD de l'Agriculture et la ministre écologiste de la Santé, Andrea Fischer, étaient alors entrés en conflit ouvert à plusieurs reprises sur ce thème, le premier défendant l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation animale, la seconde souhaitant de longue date leur totale interdiction. Des représentants des trois ministères pour l'instant responsables de la Consommation (Economie, Agriculture et Santé) devraient se réunir en début d'année pour discuter de «modifications» dans l'organisation de leur travail, à la demande du chancelier Gerhard Schroeder.
Mais pour l'heure, il faut gérer le risque et le ministère allemand de la Santé a décidé, toujours en urgence, de retirer de la vente un certain type de saucisses, jugées susceptibles de pouvoir transmettre la variante humaine de la maladie. Cette mesure avait, quelques jours auparavant, décidé d'exclure l'interdiction des saucisses et pâtés dans le pays, comme l'avait demandé le commissaire européen à la Santé et à la protection des consommateurs, David Byrne. Mais le ministère est finalement revenu sur sa décision pour les saucisses fabriquées à partir de chair de buf en contact avec l'os, si celle-ci a été prélevée sur les animaux avant le 1er octobre 2000. L'Allemagne accepte ainsi enfin de reconnaître que la viande bovine ayant été au contact direct des ganglions rachidiens puisse ne pas être sans risque pour l'homme.
Le Noël allemand 2000 se fera donc sans saucisses ni pâtés, devenus potentiellement infectieux par la grâce d'une vache bavaroise. «Sous leurs airs préoccupés, les pouvoirs publics sont les derniers à pouvoir analyser la catastrophe qu'ils ont longuement préparée, en se comportant comme des administrateurs d'entreprise. Le même système en folie qui a engendré l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme conduit aujourd'hui à l'élimination des bêtes malades, écrit aujourd'hui dans le quotidien français Libération, sous le titre «De la vache folle à l'homme fou» l'écrivain Benoît Duteurtre (dernier ouvrage paru : «A propos des vaches», les Belles Lettres). Pour ma part, je mange toujours de la côte de buf. Car cela ne change strictement rien à la question qui se pose chaque jour sous diverses formes : que sommes-nous en train de faire du monde où nous vivons ? Qu'allons-nous faire de nos corps et de nos esprits, tant que les notions de production et de rentabilité détermineront entièrement notre conception de l'existence ?» Dans quelle décennie du siècle naissant la réponse sera-t-elle fournie ?J.-Y. NauNB. Cette chronique a été rédigée avant la démission des ministres allemands de la Santé et de l'Agriculture, début janvier.