La Hollande compte introduire une norme légale admettant la licéité de l'euthanasie active, mais à certaines conditions. Notamment, la nouvelle norme projetée exige des demandes répétées de la part du patient en fin de vie, l'avis de deux médecins et l'intervention d'une commission d'éthique.
La Suisse est-elle susceptible de suivre cette voie et quelles en seraient les conséquences ?
Quelques définitions
On ne saurait entrer dans un débat si passionnel et grave sans rappeler quelques notions de base :
I l'euthanasie active directe est un meurtre, ou un homicide par compassion, destiné à abréger les souffrances d'autrui ;
I l'euthanasie active indirecte est le fait d'accepter l'éventualité d'une issue fatale en mettant en uvre des moyens curatifs qui peuvent avoir pour effet de réduire la durée de la survie ;
I l'euthanasie passive est le renoncement à des mesures de survie ;
I l'assistance au suicide est l'aide qu'une personne apporte à autrui en vue de l'aider à se suicider.
Situation légale
L'article 111 du Code pénal suisse (CPS) punit de la réclusion pour cinq ans au moins, celui qui aura tué intentionnellement une personne. Il s'agit d'un homicide ou d'un meurtre.
L'article 114 punit de l'emprisonnement, peine moins sévère, celui qui aura donné la mort à une autre personne sur sa demande sérieuse et insistante. Il s'agit là d'un meurtre à la demande de la victime.
L'assistance au suicide est, quant à elle, punie de la réclusion ou de l'emprisonnement, mais seulement si elle a été accomplie pour un mobile égoïste.
L'euthanasie passive ou active indirecte ne sont pas mentionnées dans le CPS.
Les règles d'éthique
Les dispositions du CPS s'appliquent à tout un chacun, qu'il soit médecin ou non. Le médecin est soumis en outre à différentes règles contenues dans le serment d'Hippocrate, le serment de Genève, le code de déontologie de la FMH ainsi que dans les directives de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM).
De ces principes, il apparaît que le médecin doit avant tout soulager, soigner et si possible guérir, les douleurs physiques et morales. En outre, l'assistance au suicide n'est pas considérée comme une activité médicale.
Quant à l'euthanasie active, elle n'est tout simplement pas envisageable.
Les projets en Suisse
En 1994, Victor Ruffy, ancien conseiller national, a déposé une motion, transformée en 1996 en un postulat moins contraignant, enjoignant au Conseil fédéral de prévoir l'adjonction au CPS d'un article 115 bis légalisant l'assistance au décès, le terme recouvrant tant l'assistance au suicide que l'euthanasie active. Le postulat fut accepté par le Conseil national avec proposition de créer un groupe de travail «Assistance au décès» dans le cadre du Département de Justice et Police. Le groupe a rendu son rapport en 1999.
En bref, le groupe de travail arrive aux conclusions suivantes :
I à l'unanimité, il recommande de régler expressément dans le CPS l'euthanasie passive et l'euthanasie active indirecte, mais sans proposer de texte concret ;
I à la majorité, il recommande d'adjoindre à l'article 114 cité ci-dessus, un alinéa 2 aux termes duquel, dans des cas extrêmes, l'on renonce à poursuivre et à punir l'auteur d'un meurtre sur demande ;
I une minorité du groupe recommande toutefois de renoncer à cette modification et de maintenir le principe de l'interdiction de tuer.
Désir de mourir ou d'être tué ?
Dans le cadre d'une relation malade-médecin, ce qui reste la règle dans le débat qui nous occupe, les principes d'éthique de base de bienfaisance et de non-malfaisance («primum non nocere») ont été complétés au fil de l'évolution des sociétés et des murs, par le recours à des notions essentielles indispensables au bon déroulement de la relation thérapeutique entre le soignant et le malade.
On rappellera à cet égard le principe de l'humanité, impliquant le droit à la vie, à la santé, à l'intégrité corporelle, mais aussi au soulagement de la douleur. A cela s'ajoute la transparence, tellement indispensable dans ce type de situation. C'est là en effet une condition essentielle que le médecin devra assumer en toute franchise vis-à-vis de son patient, s'il veut rester crédible et permettre le respect d'un troisième principe, celui de l'autodétermination. Sans ce dernier, le patient mal informé sur les conséquences de sa décision ne pourra pas se déterminer en toute liberté.
Ces éléments gèrent non pas seulement le rapport entre le praticien et son patient au sens du colloque d'Hippocrate, mais aussi, ne l'oublions pas, un simple contrat de mandat. Celui-ci peut donc être résilié en tout temps, et le mandant, malade, peut en tout temps décider d'interrompre son traitement et demander que l'on cesse de lui prodiguer des soins dont il ne veut plus. Cela bien sûr à la seule condition que le rapport de confiance existe toujours et que la communication soit optimale.
C'est dans ce cadre que l'on peut parler du droit à se laisser mourir, du droit à se laisser partir sans souffrance, dans la dignité et en toute confiance vis-à-vis de ses proches et des soignants.
La mort ou la fin de vie dans la dignité
Les partisans de l'euthanasie active parlent toujours d'une «mort digne». Avant la dignité d'un décès tel qu'ils l'envisagent, meurtre ou homicide même par compassion il faut mettre l'accent sur la dignité et la douceur de l'accompagnement. Dans une société actuelle déboussolée par une mort qu'elle refuse d'intégrer à tous les stades comme une fin naturelle qui peut être harmonieuse, il est indispensable de privilégier les soins palliatifs, seuls à même de fournir un accompagnement vrai, digne et sans douleurs.
C'est dans ce sens qu'il ne faut pas suivre l'exemple hollandais, qui bat en brèche le principe intangible du respect de la vie et ouvre la porte à tous les dérapages possibles.
Si l'on peut admettre de légiférer sur l'euthanasie passive et active indirecte, l'euthanasie active doit garder son caractère punissable. On ne peut pas libéraliser par la loi ce qui resterait une exception et il faut préférer à ce carcan juridique dangereux et non éthique l'appréciation laissée au juge de cas en cas. W
Article paru dans le Courrier du 11.12.2000, sous la rubrique «Débat».J.-M. Guinchard